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L'idéal chrétien
Si le christianisme se dit la religion de l'amour, chacun sait qu'il entend par là autre chose que le sentiment entre un homme et une femme, ou les joies du corps ! Car les paroles prononcées par Jésus nous ont été transmises en grec, et l'amour, en grec, porte bien des noms : porneia (avidité sensuelle), éros (amour érotique), philia (amitié intense) et agapè (amour universel). Aussi "aimez-vous les uns les autres" se dit-il "agape te aleios"… et le christianisme profite de son double héritage grec et juif pour assimiler, dès saint Paul, le message des sens aux tromperies du diable, la femme à la part sauvage de l'homme, la sexualité au péché.
Là est la voie de la souillure, et les meilleurs s'en préserveront : chasteté pour les moines, valorisation de la virginité, célibat des prêtres catholiques, union mystique avec Dieu, un arsenal se met en place, qui va contre la femme autant que contre le corps. Dès le concile de Laodicée, au quatrième siècle, la danse est interdite pendant les noces ! Et puisqu'il faut bien que l'espèce perdure, ceux que l'idéal chrétien ne prive pas de tout instinct se résoudront à un mariage aussi chaste que possible, où les rapports seront régis selon le précepte édicté par saint Paul : "Femmes, soyez soumises à vos maris comme au Seigneur; car le mari est le chef de sa femme comme Christ est le chef de l'Eglise.(…) Maris, aimez vos femmes comme Christ a aimé l'Eglise…" 
Les Evangiles, à vrai dire, semblaient donner le ton : Jésus naît d'une vierge, on ne lui connaît ni épouse ni sœur, le seul personnage féminin important est celui de Marie-Madeleine, pécheresse ramenée dans le droit chemin par la vertu et la chasteté. Certes, Jésus dit qu'il n'est pas juste de répudier sa femme, mais Malachie le disait déjà dans l'Ancien Testament. Certes, il faut pardonner et non plus lapider la femme adultère, mais il faut pardonner tant de choses qu'on en conclura à tout autant d'indulgence envers le mari s'il la tue… 
C'est en réaction à l'hédonisme romain que va se développer le christianisme occidental, et plus encore en opposition contre les visions celtes, slaves et germaines qu'il va rencontrer, bien plus égalitaires dans leur répartition des rôles entre les sexes. La religion orthodoxe est beaucoup moins sévère, qui voit dans le mariage un moyen d'accéder à la plénitude, sinon à la sainteté. L'Eglise de Rome, elle, ne cessera d'enfoncer le clou : le péché est dans le corps de la femme. On lui donnera donc à choisir entre épouser un homme dont elle deviendra l'objet, ou devenir "épouse du Christ", comme disent de nombreux ordres monastiques féminins, entièrement dévoués à une Eglise dirigée uniquement par des hommes. Seul garant contre la folie du désordre féminin, l'ordre masculin va s'imposer, sans heurt ou presque, jusqu'à culminer dans le Code Civil napoléonien, légalisant l'asservissement sans plus faire référence au divin.
Mais sans doute convient-il de replacer cet idéal chrétien dans son contexte historique : pour beaucoup de femmes, choisir le monastère valait mieux qu'être livrée à une brute ayant sur vous tous les droits ! De plus, en faisant de l'amour envers Dieu le modèle de l'amour humain, le christianisme concourait à spiritualiser les rapports entre les sexes. C'était planter au cœur de l'institution une graine – l'amour entre conjoints – qui ne demanderait qu'à germer, avec pour engrais cette question : comment parler d'amour sans liberté ni égalité ?
Les réponses sont simples, quoique multiples, comme le sont les différents rouages par lesquels s'exerce le pouvoir. La première consiste bêtement à empêcher les femmes de parler. On les maintiendra donc coûte que coûte dans leur statut inférieur. Privées d'éducation, de droits civiques, d'existence légale autre que la tutelle, comment pourraient-elles exprimer dans l'espace public la moindre revendication ? Quant à l'espace privé, ne sont-elles pas redevables de tout ? Le consensus s'installe, guère meilleur que les précédents : aux hommes, les privilèges (sauf, cette fois, celui de répudier ou de divorcer), aux femmes la sécurité d'un servage maintenant l'illusion de leur incapacité.
Mais parler est le propre de l'être humain, et trop de preuves viennent montrer combien, dans la vie de tous les jours, cette incapacité supposée des femmes s'avère relative et surtout, équitablement partagée entre les sexes. Il faut donc un discours, proposer un modèle : Marie fera l'affaire, femme parfaite puisque devenue mère sans éprouver de désir ni connaître la souillure. S'il est besoin de remonter plus loin, la Vierge paraissant trop abstraite, on piochera dans la Bible – quand on en a le droit. De nombreux couples y sont stériles tant qu'ils n'ont pas obéi à Dieu. David et Bethsabée enfanteront Salomon uniquement quand ils auront cessé leurs frasques et appris à se comporter comme Dieu le veut. On remontera plus loin encore : le péché originel devient l'acte de chair lui-même, là où la Genèse parle de connaissance du bien et du mal. Et puisqu'à tout modèle il faut un repoussoir, on procédera à l'éternel retour, sous de multiples figures, du thème ô combien pédagogique du couple maudit, destiné à montrer qu'amour ne peut rimer avec bonheur, et encore moins avec la durée que demande un vrai couple.

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