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L'inattendu amour courtois, ou "fin'amor"
On l'appelle courtois parce qu'il concerna uniquement les petites cours féodales du XIIè – XIIIè siècle, et qu'il voulait donner l'exemple d'une maîtrise de soi aristocratique. Il en fallait pour vivre ce trio, tel qu'on nous l'a présenté : le seigneur, son épouse et le chevalier, chaste amoureux de la dame. Mais les troubadours qui lui prêtèrent leurs voix l'appelaient "fin'amor" et il semble bien que cela fut dans tous les sens du terme : amour absolu, plein de finesse mais aussi, allant "jusqu'au bout". Si l'on en garde l'image d'une amitié particulière entre une femme mariée et un homme célibataire de moindre condition, qui pousse ce dernier à accomplir des exploits en l'honneur de sa Dame, on reste prisonnier des déformations que lui fit subir l'histoire. Aujourd'hui, de nombreux auteurs ont montré qu'il s'agissait d'une véritable révolution.
En réaction contre le mariage – soumission imposée à la tutelle d'un homme – l'amour courtois propose en effet de lui ajouter un couple où s'exercera exactement l'inverse : la domination féminine. Evidemment, comme il ne saurait être officiellement question d'adultère, cette domination comporte la maîtrise des instincts sexuels, lors du rite de "l'asag" dont l'image est connue : "l'amant" passe une nuit étendu près de sa dame, nus, une épée entre eux symbolisant la chasteté de leur rapport. Mais on est pris de doute à la lecture des textes. Certes, ils offrent un code de l'amour déjà bien audacieux, car l'homme doit obéir non seulement aux ordres de la dame, mais aussi à ceux de l'amour lui-même : contre toute raison, il doit être capable, comme Lancelot du Chevalier à la Charrette, de sauter dans la charrette des condamnés uniquement parce que c'est là que le conduit la recherche de sa Guenièvre bien aimée. Mais comme les poèmes le suggèrent abondamment, comme le dictent les Lois d'amour écrites par Chrétien de Troyes pour Marie de Champagne, obéir aux lois de l'amour ne consiste pas tant, lors de cette fameuse nuit où vient la récompense, à réprimer l'instinct de l'amant. Il s'agit bien, plutôt, d'obtenir de lui qu'il le canalise selon le bon vouloir de la dame, lui apportant satisfaction sans outrepasser l'ultime interdit. Et voilà comment deux valeurs fondamentales de l'amour pour les femmes vont être clairement affirmées : le langage et le respect de leur corps. Car l'amant, s'il n'est pas toujours troubadour, doit être poète et témoigner avec panache et sincérité de sa flamme, par ses paroles comme par ses actes. Et nombre de textes indiquent que la chasteté connaissait ici sa définition la plus permissive, puisqu'elle incluait la contemplation des corps nus, les attouchements et les caresses, se réduisant finalement (un pas de plus et ce serait le tantrisme indien !) à la continence masculine. L'amant, en renonçant à l'orgasme, développe une sensibilité plus féminine. La femme, par le respect, obtient le plaisir que le mariage lui interdit. Sur le plan social (la dame est toujours de rang supérieur) comme sur le plan amoureux, c'est un chemin d'égalité qui est tracé.

L'ordre établi ne s'y trompa pas, et sa réaction ne se fit pas attendre. L'Eglise procéda en diluant la dame, figure centrale de l'affaire, dans un réveil du culte de la Vierge. Les pouvoirs en place renforcèrent les lois affirmant la domination masculine, les romans de chevalerie achevant de transformer l'amour courtois en un idéal désincarné justifiant bravoure et vertus chevaleresques, pour faire de la chasteté l'attribut de la force, de la droiture, du courage et du droit. La revendication à l'amour absolu, égal et sans concessions, charnel et spirituel, fut pour longtemps enterrée. Dès la fin du XIIIè siècle, le Roman de la Rose venait témoigner d'un retour de l'antiféminisme. C'était une véritable offensive : Jean de Meun, le plus machiste des deux auteurs, publia également une traduction de la correspondance entre Abélard et Héloïse. Il s'agissait de réveiller l'image parfaite, mais vieille de deux siècles, du couple le plus célèbre d'amants maudits.

Voir aussi : poèmes de la fin'amor
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