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Couples maudits II

Abélard et Héloïse
On ne saurait trouver mieux, puisque ces deux-là avaient existé, ici et maintenant ou presque, en tout cas dans un monde qu'on entendait garder soumis aux mêmes lois, aussi "amoricides" et masculines qu'elles fussent. Et quel exemple ! Tout semble les vouer au bonheur le plus parfait. Abélard (1079-1142) n'est-il pas un grand professeur, aussi riche que renommé ? Héloïse (1101-1164) n'est-elle pas une jolie jeune fille surdouée et cultivée ? Le maître séduit l'élève, et vice versa, il en naîtra un fils. Mais l'oncle d'Héloïse ne l'entend pas de cette oreille et les oblige à se marier. Ils gardent leur mariage secret. Pire encore : ils se séparent puis se rejoignent, Héloïse s'installant dans un couvent pour travailler puis retrouvant son époux pour quelques mois. A la séparation suivante, l'oncle Fulbert, croyant ou feignant de croire qu'Abélard l'a abandonnée, le fait émasculer. Chacun se retire dans la vie monacale, trouvant dans la religion les consolations attendues. Sans doute faut-il savoir que cette idylle dramatique se situe au plus fort de la discussion sur le célibat des prêtres, qui n'a pas encore force de loi – ce sera fait au deuxième concile de Latran, en 1139 – mais qui est depuis plusieurs siècles fortement conseillé par Rome (l'abstinence étant prescrite à ceux qui sont mariés !). Le scandale de leur malheur servira dans ce débat, et leurs lettres, qui témoignent d'un amour démesuré donc coupable, seront colportées comme l'exemple de la folie à laquelle conduit l'amour absolu. Héloïse ne proclame-t-elle pas : "le titre d’épouse a été jugé plus sacré et plus fort, pourtant c’est celui de maîtresse qui m’a toujours été plus doux et, si cela ne te choque pas, celui de concubine ou de fille de joie" ? C'est bien la preuve que l'indécence est au rendez-vous. Ne se défend-elle pas : "ce n’est pas la vocation, c’est la volonté seule qui a jeté ma jeunesse dans les rigueurs de la vie monastique. Je n’ai point de récompense à attendre de Dieu ; il est certain que je n’ai rien fait pour l’amour de lui" ? Qu'à cela ne tienne : Héloïse restera l'exemple de la femme sauvée de sa tendance romantique et lubrique par la foi et le célibat, devenant la brillante abbesse du couvent du Paraclet, le portrait de la femme de tête, la "très sage Helloys" chantée plus tard par François Villon.

Tristan et Iseult
Si Héloïse et Abélard forment un couple atypique mais bien réel, Tristan et Iseult appartiennent, eux, à une légende galloise importée au XIIè siècle, ce qui ne les rendit pas moins célèbres, même au Moyen Age puisqu'on compte des dizaines de versions en une centaine d'années. Tristan, enfant voué au malheur, orphelin de mère et fils d'un roi déchu, est recueilli par son oncle Marc de Cornouailles, qui le charge d'aller en Irlande chercher sa fiancée, Iseult la blonde. Sur le bateau du retour, les deux jeunes gens boivent par erreur le philtre d'amour destiné aux futurs époux. Selon les versions, leur union sera plus ou moins consommée, et la vengeance du roi Marc plus ou moins terrible. Mais dans tous les cas Tristan, chassé de Cornouailles, meurt avant d'être rejoint par Iseult qu'il a appelée à son secours, et celle-ci meurt à son tour en arrivant trop tard (parfois trahie par une autre Iseult, aux blanches mains, que Tristan avait épousé par dépit. Romantique ? Exemplaire surtout, car illustrant le message que le christianisme s'efforce d'opposer à la revendication portée par l'amour courtois : l'amour conduit à un destin funeste. Le propos est de rétablir la hiérarchie que l'amour courtois cherche à inverser, non seulement entre l'homme et la femme, mais entre l'amour et la raison : c'est la raison qui doit commander à l'amour, car celui-ci, et la femme elle-même, tiennent d'une magie sauvage qui – comme le montre le philtre d'amour – conduit à un comportement immoral. Et l'on brûlera en 1310 Marguerite Porète, pour avoir chanté Dieu en poèmes d'amour et témoigné trop ouvertement d'une philosophie, pourtant chaste, de l'amour universel et du "Libre-Esprit". Ce n'est pas un couvercle qui se referme, mais les bûchers qui s'allument.

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