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Réalités mexicaines

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L'homme à la quéquette douce
par Elena Poniatowska, écrivain

Elles disent qu'il est très bon, qu'il a une quéquette douce.
Jamais il ne va pêcher. Il a toujours la quéquette douce.
Elles l'ont surnommé comme ça, "Quéquette douce".
Les femmes du village l'aiment pour sa quéquette et pour rien d'autre, et se moquent.
Il est paysan, tous les paysans ont la quéquette douce,
Tous les pécheurs l'ont salée, parce qu'ils sont toujours dans l'eau de mer.
(Recueilli auprès de l'informateur Juan Olivares par Francisco Toledo)

A Juchitán, Oaxaca, les hommes ne savent plus où se mettre sinon dans les femmes, les enfants se pendent à leurs seins, les iguanes regardent le monde du sommet de leur tête. A Juchitán (à 400 kilomètres au sud d'Oaxaca, dans l'isthme de Tehuantepec), les arbres ont du cœur, les hommes ont la quéquette douce ou salée selon l'envie et les femmes sont fières d'être des femmes, parce qu'elles détiennent le salut entre leurs jambes et peuvent donner la mort à n'importe qui. "La petite mort", appelle-t-on l'acte amoureux.
Andrés Henestrosa dit : "Les femmes juchitèques ne connaissent pas l'inhibition, il n'y a rien qu'elles ne puissent dire ou faire. Je ne sais pas comment elles font. Une juchitèque n'a aucune honte, en zapotèque il n'existe pas de mots grossiers. Quand j'étais candidat au Sénat, je faisais mes discours aux femmes en zapotèque, qui est une langue tonale dont les voyelles sont les mêmes qu'en espagnol : aeiou, mais on peut les allonger à volonté en aaeeiiooouuu pour les rendre encore plus douces. "Il suffit d'une petite inflexion, d'une pause ou d'un changement de lettre, d'une minuscule réticence, pour qu'un seul mot change le monde.
- Aidez-moi - leur demandait Andrés - et je vous aiderai.
Une fois, l'une d'entre elles l'a interpellé : "Shinú, Andrés, vous avez dit "vous aiderai"ou "vous baiserai"? Parce que si c'est le second, je marche dans le coup."
- Venez avec nous, Andrés, venez dans la grotte.
Elles préparèrent une grande tamalada (pâté de viande et maïs), apportèrent quatre marimbas et Henestrosa dansa des sons et des zandungas avec ces femmes gigantesques, ces femmes montagne, ces femmes grosse caisse, ces femmes tambourin, des femmes à qui rien ne fait jamais mal, des massives, des pontifiantes, dont la sueur coule sur tout le corps, rendant leurs bras dangereusement glissants, des femmes dont la bouche est en parfait accord avec le sexe, dont les yeux sont un double avertissement, des femmes bonnes parce qu'elles sont excessives. Avec ces calebasses femelles, dans une bataille de fleurs, Henestrosa dansa La Llorona (La Pleureuse) toute une nuit, à l'âge de 84 ans, jusqu'à ce qu'on le porte pour aller se coucher.

Aïe Zandunga ! quelle Zandunga
D'argent, mama, par Dieu,
Zandunga que je pleure pour toi,
Perle de mon cœur.

Si quelqu'un te demande, aïe, mama, par Dieu !
Si mon amour te satisfait, ciel de mon cœur,
Ne donne raison à personne, aïe, mama, par Dieu !
Chacun sait ce qu'il fait, ciel de mon cœur.

La Zandunga est l'hymne de Tehuantepec tout comme La Llorona est celui de Juchitán. Toutes deux peuvent être dansées sur un rythme de valse, aïe de moi, llorona, llorona, llorona d'hier et d'aujourd'hui, à droite et à gauche, en arrière et en avant, en se balançant d'un pied sur l'autre, les jambes balayant de la jupe le sol de terre battue. Les chansons sont ancestrales, délicates, mélancoliques, lentes, jouées sur des instruments primitifs, coquillages, bongos, tambours et baguettes, marimbas apportées d'Afrique, flûtes de bois et de bambou appelées quéquettes, un tambour que l'on appelle "caja" (caisse) et le bigú indigène, une carapace de tortue qui pend au cou du musicien. Comme le dit Henestrosa, les natifs chantent avec des larmes espagnoles dans les yeux. Pancho Nácar et Nazario Chacón Pineda entonnent la psalmodie des vicissitudes de la vie des tortues marines, aïe aïe aïe, pauvre animal !, qui sortent de la mer pour déposer leurs œufs dans le sable et rencontrent alors leur destin fatal. Pour les Européens, les iguanes ressemblent à d'horribles petits dragons avec une grosse queue et une étonnante crête d'épines dressées en l'air, pour les Juchitèques le coyote est l'animal le plus malin de la terre, que seul le lapin a réussi à battre, les espadons ne sont pas effrayants, il suffit de leur chanter la chanson des pécheurs quand ils jettent leur filet. La chanson du crocodile, celle du jaguar, celle du crabe, celle de la volée de perroquets, elles les transforment tous en animaux domestiques prêts à succomber au charme des femmes. Dans le premier de ses cinq "décommandements" juchitèques, Esteban Ríos ordonnait : "Tu aimeras les femmes à tout instant de ta vie, buvant le nectar de leurs seins proéminents pendant que ton manche navigue dans leurs grottes de feu. "Dans le second : "Tu adoreras la bière et les cigares pour entraîner ton cœur à la joie éthylique sans t'inquiéter de savoir si c'est dimanche ou lundi". Et dans le quatrième : "Tu fréquenteras les prostituées, les homosexuels et tous les monstres terrestres et divins, trouvant dans leur chair la copulation promise". Le troisième et le cinquième décommandements feraient rougir le plus endurci des mécréants.
Juchitán ne ressemble à aucune autre ville. Elle a le destin de sa sagesse indigène. Tout y est différent, les femmes aiment marcher enlacées et s'en aller ainsi aux manifs, avec leurs gros mollets, et les hommes sont comme des chatons entre leurs jambes, des chiens à qui il faut rappeler : "Tiens-toi tranquille." Elles marchent en se tripotant les unes les autres, aguicheuses, elles intervertissent les rôles : ce sont elles qui attrapent l'homme qui les regarde derrière la clôture, elles qui le traînent, elles qui font main basse sur lui mais peuvent la lever contre le gouvernement, et parfois aussi contre l'homme. Ce sont elles qui vont aux manifs et qui se battent avec la police.

Vive Juchitán libre.
Vive le conseil populaire.
Vive les prisonniers politiques.
Libérez les prisonniers politiques.
Libérez Víctor Yodo.
Libérez Polo de Gyves Pineda.
En 1981, c'est le peuple qui gouverne.

Il faut les voir arriver, massives comme des tours ambulantes, fenêtre ouverte, cœur fenêtre, leur carrure de nuit semblant toucher la lune. Il faut les voir arriver, elles qui gouvernent déjà, elles, le peuple, gardiennes des hommes, distributrices des vivres, leurs enfants à califourchon sur la hanche ou accrochés au hamac de leur poitrine, le vent dans leurs jupons, embarcations fleuries, leur sexe rayon de miel d'où coulent les hommes, elles arrivent maintenant en remuant le ventre, entraînant les mâles qui, quant à eux, portent pantalon clair et chemise, sandales et chapeau de paille qu'ils jetteront en l'air en criant : "Vive la femme juchitèque !".
C'est la femme juchitèque la patronne du marché. C'est elle qui tient le pouvoir, qui tient commerce, qui marchande, c'est elle la généreuse, l'avare, la cupide. Seules les femmes vendent. Les hommes avec leurs machettes et leurs chapeaux de paille sortent au matin pour travailler, ils sont chasseurs d'iguanes, paysans, pécheurs. Au retour, ils rapportent leurs récoltes que les femmes emportent au marché dans des calebasses peintes de fleurs et d'oiseaux, leurs têtes altières couronnées, fruits splendides et ronds, bananes plantains, corrossols qui s'ouvrent tout seuls, papayes, pastèques, fruits de saison, sapotilles, sapotes, goyaves distillant leur inimitable odeur. Au marché, à côté des services en faïence émaillée verte venus d'Oaxaca, de la céramique noire de Juchitán, de la viande séchée ou boucanée couverte de mouches, du sucre brun, verdissent les feuilles de bananier fraîches que l'on plie en carré pour contenir la pâte de farine de maïs, la viande et la sauce au piment qui donneront des tamales bien chauds ; sous des vitrines de verre scintillent des chaînes en or, des colliers de petites pièces, des boucles qui demandent des oreilles percées. Ici, le stand des chocolats, là celui de la boisson préhispanique : bu'pú, mousse faite avec du cacao frais, du sucre et des pétales de fleur de gie'suba grillés, battus jusqu'à donner une mousse odorante et épaisse, nourriture raffinée digne des rois. Et plus loin par-là, des palmes, des balais, des cordes, des moitiés de corde, et par là-bas des sandales, des étriers, des arçons de selle, des selles, des éperons, des bouts de métal, des charnières, des verrous qui ressemblent à de ronds calamars refermés sur eux-mêmes, amoncelés dans des corbeilles apportées par les Huaves, à côté d'œufs de tortue frais et de poissons séchés ratatinés de soleil. Par-là, les Totopos de l'Isthme, ces grandes tortillas que l'on fait cuire dans la terre, craquantes et rondes comme des jupes sur le sol, sont une preuve que la vie n'offre pas d'amertume. Les Totopos rient. Ils se la jouent gaie. Ils rient jusqu'à ce que des dents les enserrent. Plongés de leur refuge sous la terre au refuge de la bouche, ils deviennent part de son langage.
Juchitán est un espace mythique où l'homme rencontre son origine, et la femme son essence la plus profonde. "Voici ce que je dois être." Ici aucun homme, femme ou enfant, aussi humble soit-il, ne serait capable de reconnaître la supériorité d'un individu appartenant à une autre classe sociale", écrit le grand Miguel Covarrubias. "On ne voit pas ce comportement évasif ou cette humilité servile qui caractérisent certains peuples dont la force de caractère a été minée par la répression directe d'une classe sociale."
Au marché, la femme répond sans gêne aux galanteries et aux commentaires osés. Au bal aussi. Ce sont les hommes qui se meurent d'amour. Aucune femme ne se laisse faire ou, comme le dit Jesusa Palancares, il n'y a pas de place ici pour ces abandons qui mènent aux feux de l'enfer, purs tisons dans le laminoir.
Bien que Juchitán tout entière paraisse maintenant occupée à digérer, comme la sieste tropicale l'impose, et que mères et filles soient allongées dans leurs hamacs ; c'est l'heure suspendue entre ciel bleu et bonne nuit, propice à la réflexion, à l'imagination, où fleurit le talent artistique et littéraire des femmes zapotèques, qui fait de l'Oaxaca l'état le plus créatif de la République, le plus libre, le plus travailleur. Les homosexuels vendent des fleurs. Ils s'habillent en femmes et sortent dans la rue maquillés, les ongles vernis de rouge, tentation majeure. Ils vont et viennent, déambulant comme les femmes qui vendent et achètent, ils ligotent les mâchoires des iguanes les plus mordeurs, vident les porcs et surveille l'engraissement des petits qui deviendront cochons de lait farcis de bixa orellana.
Peut-être parce que la mère a tant de poids dans la communauté, l'homosexualité est acceptée, parce que le jeune homme aide aux travaux ménagers. Une mère aime avoir un fils homosexuel : il ne part jamais. Une fille se marie et change, un fils collé à sa mère prend soin de la famille et des fourneaux, il balaie, allume les bougies, étend le linge et sort les Totopos du feu, histoire de battre de ses mains le soleil, de le faire cuire un peu sur une plaque à crêpe.
Juchitán est le lieu de la Terre où c'est la femme qui organise l'économie, et donne à son époux agriculteur de quoi payer ses cigarettes et ses coups au bistrot. Administratrice des biens, c'est elle qui sort pour les aérer ses petits poissons d'or, ses bijoux, les chaînes et les boucles d'oreille, les bracelets et les broches de perles qui, au bal, décoreront son corsage comme autant de médailles du mérite érotique et de bravoure au combat, la proclamant générale de tous les champs d'honneur.
Les femmes juchitèques ont un sacré caractère et du tempérament et, à la différence d'autres régions où les femmes se font petites et pleurent, comme Jalisco, le Bajío ou le district fédéral, décidément non, elles n'ont rien des petites mères mexicaines vouées aux larmes, dans l'Isthme les femmes s'imposent avec les vagues blanches de leurs chevelures, le tintement de leurs bijoux, l'éclair d'or de leurs sourires. "Mets ton râteau en or, Exaltación, que tes dents brillent." Femmes uniques et inimitables comme l'océan, porteuses de trésors cachés, de branches de corail rouge, de sombres coquillages au centre même de leur grâce. Grâce à elles sont conservées les traditions, l'habillement et les coutumes, les fêtes et les velas, la Vela del Ciruelo (prunier), celle du Lagarto (caïman), celle de San Vicente, patron de Juchitán, celle de San Isidro Labrador, San Juan et San Jacinto. Comme chaque jour est jour de fête et qu'il n'y a pas d'horaires obligatoires, au lendemain des fêtes le marché ouvre tard, parce que les gens se lèvent avec la gueule de bois et mal réveillés. Les femmes s'entraident pour broyer le chocolat, faire cuire le ragoût de poulet, préparer les gâteaux ; une vela s'organise en commun, dans une seule maison - celle du majordome -, on prépare les bougies que l'on ira porter à l'église à la messe de demain ; dans une autre maison, on pétrit le pain d'œuf sucré pour le goûter, dans une autre on bat les Totopos, et dans une quatrième on fait bouillir les ragoûts. Pendant ce temps on papote joyeusement, tout est dit avec une connotation érotique, on bat des mains, on pétrit, on s'agite, on goûte les plats : "Ça manque de sel." Dans la rue quelqu'un appelle. Une voix répond : "Va donc là-bas battre les œufs", et les rires retentissent. Les femmes zapotèques ont toujours été ouvertement érotiques, elles vivent leur sensualité à fleur de peau. Le sexe est un petit jouet d'argile, elles le prennent dans leurs mains, le modèlent à leur goût, un peu par-ci, un peu par-là, le pétrissent à côté du maïs pour les Totopos. N'importe quoi y fait penser, le tintement d'un bijou en or, le passage d'un papillon, le rouge du guachinango. Au point que les étrangers (et à Juchitán quiconque ne vient pas de l'Isthme est un étranger) se scandalisent ou sont fascinés pour toujours, comme Eisenstein qui filma les Tehuanas allongées dans leur hamac, dévêtues jusqu'à la ceinture, et écrivit dans son journal qu'une "vision du jardin d'Eden restera dans les yeux fermés de celui qui a vu, ne serait-ce qu'une fois, les étendues illimitées du Mexique. Tenacement dès lors le poursuivra l'idée que l'Eden ne s'est jamais situé entre le Tigre et l'Euphrate, mais plutôt à l'évidence ici, quelque part entre le golfe du Mexique et Tehuantepec ! Cela n'empêche ni la saleté des marmites de nourriture que lèchent les chiens galeux pullulant alentour... ni le retard séculaire."
Avec raison, Andrés Henestrosa raconte que San Vicente ne voulut pas que Juchitán soit fondée dans un endroit où les hommes ne connaîtraient ni entraves ni dangers, de peur qu'ils ne deviennent indolents et lents d'esprit. Aussi chercha-t-il un terrain où l'air serait épais et sale, la terre aride, l'eau bien en profondeur, la pluie indocile et la forêt étendue au pied de l'horizon. Quand il l'eut trouvé, il réunit les premiers hommes et construisit la première maison en plein vent, personnage mince, grand et pourvu de deux ailes gigantesques. Il y a encore quatre ans, José Joaquín Blanco constatait l'anarchie (bien que dans de nombreuses rues les voisins se soient organisés pour ramasser et brûler les ordures), "comme si cette ville n'avait jamais été gouvernée, et avait grossi jusqu'à atteindre 150 000 habitants sans eau potable, ni égouts, ni rues pavées, ni services publics, ni centres de santé, et avec un seul marché, si insuffisant qu'il déborde et envahit toutes les rues du centre. "Les rues pleines de nids de poule sont un sujet de blagues et de jeux de mots à Juchitán, "des rues qui jamais ne connurent le moindre cantonnier", les Juchitèques les parcourent en s'en moquant, trébuchant sans arrêt, s'invitant à grands cris au café ou pour la fête de ce soir, marchant chargés de fruits, par milliers et par milliers, une véritable foule qui se sent en famille dans la rue, où tous se connaissent et, entre ingénieuses exclamations et belles embrassades, transforment la voie publique en vitrine de leurs émotions. Quelle différence avec le district fédéral où tous s'éclipsent, collés aux murs ! C'est avec raison que Benito Juárez, vêtu de deuil, n'en pouvait plus avec eux. Il les accusait d'insubordination, les disait révoltés, ingouvernables, désordonnés, menteurs, sans manière, désobéissants, effrontés, ils disaient que c'étaient des ploucs. Le 2 juillet 1850, au Congrès de l'Etat d'Oaxaca dont il était Gouverneur, il affirmait qu'ils se livraient sans entrave aux excès que la morale réprouve, qu'ils se soustrayaient à toute obéissance à une quelconque autorité et au joug salutaire de la loi.
Les Juchitèques ont toujours été punis, toujours.
Quand les Espagnols arrivèrent là, ils réprimèrent les Zapotèques pour leur idolâtrie ; ils imposèrent la religion catholique alors qu'ils avaient déjà leurs propres dieux, Coqueelaa le dieu de la richesse, Leraa Huila celui des enfers, Nohuichana la déesse des rivières, du poisson ou des grossesses et des accouchements, le Ciruelo (prunier) ou le Lagarto (caïman), et d'autres maîtres de la terre. Le culte perdura quand même, car les gens n'abandonnèrent pas l'habitude du pèlerinage annuel au marais et du transport du caïman jusqu'en ville pour qu'un hommage lui soit rendu. Comme il n'y a plus de caïmans, ils transportent aujourd'hui un animal empaillé et apportent de l'église croix et ciboires, encensoirs, ostensoirs, chandeliers et patènes, objets appartenant tous à la sacristie et qu'ils appellent "l'attirail du caïman". Par ce mélange d'idolâtrie et de religion, ils perpétuent les coutumes des temps préhispaniques et chaque année, les paysans font fête au caïman, chantant et priant en zapotèque.
Il n'y a plus de caïmans mais il reste des iguanes. Les Huaves les apportent à Juchitán. Ils disent que l'iguane mange l'insecte veilleur de nuit et qu'après l'avoir ingéré, il est tout distrait et facile à chasser. La crotte d'iguane sert contre l'infection des yeux. Un peu de crotte sur les paupières et hop, on est guéri, l'œil frais ! Les mains de bois sont miraculeuses, les gens rêvent qu'ils vont en trouver dans les arbres, à califourchon dans le feuillage. Ils prennent des branches fourchues, les taillent un peu et les appellent les "mains de Dieu". Par le pouvoir qu'elles exercent, ces mains de bois sont presque féminines.
Si le don de douceur a été donné à quelqu'un, c'est bien à Graciela Iturbide. A juste titre, elle a pu dépeindre les plus intimes recoins de Juchitán. A peine assise, elle tisse autour de chacun de ses sujets une toile d'araignée invisible qui l'emprisonne. Elle sort son appareil photo d'un petit sac et en un vol de papillon, clic, clic, clic, battent des mains qui sont des ailes et s'évaporent dans le vent. Les codex, les énigmes fondent devant elle, si douce, les barrières tombent. Elle même est un nuage, comment pourrait-elle ne pas être reçue par le peuple des nuages, les biniza, les anciens Zapotèques ? Vent elle-même, elle a pu se confondre au peuple du vent, et son esprit de grâce-gracile-graciela s'est emparé de l'âme du pays. Ses photos traduisent en espagnol la langue nuage des vallées de l'Oaxaca et les images de leur esprit sortent du liquide révélateur. Elle les met à sécher et nous offre sur papier l'eau de ses yeux qui savent voir plus loin que nous. Avec les Zapotèques, Graciela a contracté une alliance de sang. Minuscule, fragile, elle se dresse devant ces montagnes molles de lymphe et de graisse que sont les femmes juchitèques, qui la soulèvent dans leurs bras et l'emportent à la rivière pour laver le linge et se baigner. Elles lui font manger du ragoût d'iguane et battre le chocolat, s'éclater à la bière au soleil de midi, elles la balancent dans un hamac en faisant attention à ce qu'elle ne tombe pas, et le soir, elles lui demandent de les accompagner au cimetière ou de les regarder tresser leurs cheveux de cordons de couleur, mettre leur ceinture, empiler jupons et tissus. Graciela, grain de poussière, participe à tous leurs rites, sésame de tous leurs plats, larme de tous leurs chagrins, casserole de tous leurs ragoûts, drap de tous leurs lits, puce de toutes leurs nattes, écume de toutes leurs rafraîchissantes boissons.
Il y a depuis toujours à Juchitán deux façons de se marier : la forme occidentale et étrangère de la demande en mariage, et celle de doña Urraca et de don Conejo (dame Pie et sire Lapin), c'est à dire celle du rapt. Quand on ne leur donne pas la permission de se marier, le jeune homme, en accord avec son amoureuse, décide de l'enlever et l'emmène à la maison de ses parents. Ils entrent dans la réserve et là, il la déflore avec le doigt. Répandre le sang est symbole de vertu, de virginité, honneur suprême, et la virginité est pour les Zapotèque un véritable objet d'adoration. S'il y a du sang, le jeune marié met le drap à la fenêtre pour que tout le monde voie, ou il le plie comme un mouchoir, la tache bien en évidence, et le pose sur l'autel, et les hommes tissent une couronne de fleurs et l'apportent aux parents de la jeune fille pour les prévenir que leur fille était bien entière, complète, bonne. La famille entière est restée toute la nuit en attente. Quelles félicitations, quels vœux de bonheur ! Les deux familles boivent et pleurent, pleurent et boivent, se disputent à grands cris, s'embrassent, dansent, recommencent à pleurer puis à boire. Sur le lit solitaire, la vierge déflorée se repose, car perdre sa virginité est une vraie blessure qui exige que l'on garde la chambre. Le drap est recouvert de tulipes rouges, de fleurs de flamboyant incendiaires comme des taches de sang, preuves de pureté que les autres contemplent depuis la porte, à partir de ce moment la jeune fille se considère comme le bien de l'homme qui l'a déflorée. C'est comme si chaque femme naissait pour un homme. C'est cet homme-là qui doit la toucher. A cause de cela, une femme qui n'est plus vierge ne peut pas se marier, à moins de le proclamer aux quatre vents, aux passants, aux nids de poule de la rue. Que tout le monde le sache. Un Juchitèque n'est ni menteur ni hypocrite. C'est pourquoi les mères juchitèques disent à leur fille : "Si un homme te touche, accroche-toi à lui pour renseigner les gens, que tous sachent qui c'était. Ainsi tu ne seras pas déshonorée et tu pourras rencontrer un autre homme avec qui te marier. Ce que personne ne te pardonnera, c'est la tromperie. "Il faut faire comme Naila, l'héroïne de la chanson, qui dit à son amoureux qu'elle n'est plus à lui, parce que "hier soir je me suis soûlée avec un autre. Je ne suis plus Naila pour toi."
Comme signe supplémentaire de sa virginité, un foulard rouge enserre le front de la mariée. Affaiblie, apeurée, elle ne peut se lever du lit avec ces traces rouges entre les jambes, ni abandonner le lit souillé de sang. Dehors on chante, on danse, on se soûle et on rit. Elle, elle écoute et attend. Le tissu mouillé et rougi de son sang repose sur l'autel, la Vierge mère de Dieu et saint Joseph le surveillent. Les cierges et les bougies grésillent et dessinent sur le mur des silhouettes menaçantes. Il faut pouvoir saigner. Si la mariée est vierge elle doit pouvoir le prouver, et son sang sert à l'édification de tous. Si elle n'est pas vierge, les beaux-parents la ramènent chez elle, surtout s'ils sont allés voir son père pour la demander. Alors la honte retombe sur son père, car si la famille tout entière fait honneur à la fille qui arrive vierge à l'autel, ses parents répudient devant tous celle qui ne l'est pas et proclament sa disgrâce en accrochant une cruche cassée ou un plat ébréché au linteau de la porte pour que les arrivants sachent à quoi s'en tenir.
Les choses vont mieux pour la jeune fille que l'on enlève et, de nos jours, les amoureux se mettent d'accord, tuent un poulet ou une poule dont le sang fera une jolie tache bien rouge. Blanche et rouge, rouge et blanche, rouge les fleurs, rouge les roses, bégonias, tulipes, géraniums, hibiscus, bougainvillées, rouge le vin, écarlate sont les lèvres des femmes qui le boivent, tulipes et baisers, baisers dans la bouche du baiser, les invités entrent dans la cour, la femme en grandes jupes et corsage tissé, un bouquet de roses rouges dans les mains, les cheveux tressés en l'air avec des fleurs et des rubans, iguanes couronnant le tout ; les hommes viennent tout chargés de bouteilles. Les baguettes des marimbas retentissent, les guitares accompagnent la joie et la chanson du Guachinango, le plus érotique de tous les chants, à un point tel qu'on a peine à l'entendre. Elle est dans l'esprit de chacun, avec ses allusions bien crues à la défloration, au guachinango rouge qui saigne parce qu'il a trop mangé de bananes, à la quéquette qui durcit, à l'étalon assoiffé, à la jupe retroussée pour montrer le ventre rond, couvert d'un duvet doux comme le néflier, au coït, à l'hymen tout neuf, intact, au sexe récemment ouvert et encore frais. On appelle le guachinango, en zapotèque, Behuá, qui signifie rouge, et par redondance on dit Behuá shiña, shiña voulant aussi dire écarlate. A Juchitán, pendant toute la nuit, les pas de danse sur la terre battue sentent la poissonnerie.
Pour la cérémonie, Maclovia, Isabel (etc..., ndt) arrivent, chacun un poulet à la main. Elles plument, vident, farcissent et font frire, elles se donnent des coups de coude et se racontent leurs amours. Leurs mains ont l'habitude de tenir la marmite autant que le sexe de l'homme. La bouteille de bière aussi est un sexe d'homme, elles la portent à leur bouche encore et encore. Les jeunes, les vieux, tout le monde boit beaucoup, autrefois des alcools et du vin et maintenant de la bière. Autrefois les femmes buvaient de l'orgeat mais depuis que la brasserie s'est installée, elles ont échangé le liquide blanchâtre pour le malt qui mousse. Beaucoup de bière. Enormément de bière. Jusqu'au vertige. Comme l'amour, jusqu'au vertige. Elles s'enfilent les bières l'une derrière l'autre. Parfois elles battent les hommes. La maîtresse de Porfirio Díaz, son amante juchitèque, non pas la Tehuana Juana Catalina Romero mais Petrona Esteva, avait l'habitude de passer à l'auberge où les soldats allaient se soûler. A plus de cent ans, Petrona Esteva marchait pieds nus, en petit corsage tissé et jupons de percale imprimé, un petit chiffon sur la tête. Tous les jours, en revenant du marché avec son panier à moitié plein, elle s'arrêtait et le serveur, qui avait des instructions de son patron Juvencio, lui offrait un petit verre de mescal.

Petronita ma vie, 
Petronita lumière du jour, 
quand tu t'éloignes de moi ; aïe, Petrona,
mon âme se vide.
...
A Jaltipan naissent des fleurs,
A C.. des primeurs,
A T ; elles sont jolies, aïe P.
A Juchitán elles sont meilleures.

Tous voudraient me voir mort,
Sans savoir ce que j'ai fait,
Quel plaisir ce serait pour toi, aïe P,
De m'avoir mort et enterré.

Tu es la jolie P,
P. de bleu céleste,
Je ne cesserai pas de t'aimer, aïe P
Même quand la vie m'aura quitté.

Autrefois les femmes prenaient juste un petit fond pour goûter, et non sans se faire prier, aujourd'hui elles boivent mille bières et en demandent encore autant. Alors ressort le nationalisme et elles crient à tue-tête que rien ne vaut Juchitán et que celles de Tehuantepec ne leur arrivent pas à la cheville. Quand une femme perd son mari ou est abandonnée, elle peut se mettre à vendre de la bière. On la paye ou non et, si elle veut, elle couche avec le client. Vendre de la bière est un métier aventureux. Elle peut vendre son amour en même temps que des bouteilles ou bien l'offrir en faisant payer l'emballage. Ou n'exiger d'argent ni pour l'emballage ni pour son contenu. Ou refuser. Ça dépend. Une veuve reste chaste et un beau jour tout change. Alors elle va au cimetière et elle parle au défunt : 
- Jusqu'à maintenant je t'ai été fidèle. Aujourd'hui je ne le suis plus.
Elle se couche face contre terre et appuie son sexe sur la tombe.
- Je te préviens, je vais sortir avec un autre. Jusqu'à présent je t'ai appartenu. A partir de ce soir, c'est fini.
La vendeuse de bière est une femme libre qui ne s'afflige pas, finalement Juchitán est rouge, l'amour se disperse dans les champs de maïs, au pied des plants de pastèque, au bord de la rivière, l'amour là-bas se fait à la belle étoile, Juchitán joue la saga des passions primales d'un monde conçu avant le péché originel.
Gabriel López Chiñas, Víctor de la Cruz, F. Toledo, Manuel Hatus, Leopoldo de Gyves, alias Polín, Juan Stubi, Héctor Sánchez, Guillermo Petrikowsky et Daniel López Nelio boivent et chantent un corrido en l'honneur de el Che Gómez, mort sous le feu des mitraillettes en criant : "Justice et Démocratie, le peuple souverain".
Ils parlent en zapotèque parce qu'autrefois on ne connaissait pas l'espagnol. Quand les Mixtèques du Barrio la Séptima entendent parler zapotèque, ils se cachent ; ils ferment leurs portes et se barricadent chez eux. Le zapotèque est une langue plus douce, plus docile que le castillan. C'est une langue femelle. Là-bas, les femmes Tèques rient derrière la haie, entre les roseaux comme des raies vertes dans le ciel. Le dicton dit que celle qui rit toute seule, est en train de se souvenir de ses méchancetés. Andrés Henestrosa raconte qu'en zapotèque, "on appelle le mari trompé Ne é yaqui, celui aux pieds brûlés, ou encore Cuauhtémoc parce que selon la légende, Malintzin, épouse de Cuauhtémoc, partit avec Cortés pour son plaisir, Cortés la vola quand il eut renversé Cuauhtémoc par traîtrise.
Un jour, nous parlions de l'infidélité des femmes quand une Tèque protesta en zapotèque : "Laissez tomber. Ils ont brûlé San Vicente, Cuauhtémoc était roi et ils lui ont cramé les pieds, alors vous ! Qui êtes-vous donc pour qu'on ne puisse pas vous brûler les pieds, à vous ?" Elle porta une main à sa bouche et continua : "Aïe, aïe, aïe, voici mon mari." Mensonge, elle savait très bien qu'il écoutait depuis le début. A Juchitán les hommes supportent tout, il n'y a pas de disputes, la femme peut dire ce qu'elle veut tant qu'elle n'ajoute pas le geste à la parole. Ce que ne supporte pas l'homme, c'est l'infidélité, et les femmes juchitèques sont très fidèles (enfin, presque toutes) et la loyauté ne leur pèse pas, pas plus que ne les quitte leur grand goût pour la vie. Ah les barbares ! Les Juchitèques sont d'extraordinaires fornicateurs, vraiment ?, incroyables. "Nous sommes des êtres de chair, désespérément fornicateurs. Nous montons la femme à toute heure pour qu'à toute heure elle ait un homme dessus." Les Juchitèques ont un nagual très puissant, il montre en marchant les traits de son visage et les membres de son corps. Il récupère le sang de tigre ou de lapin, ou de zanate ou de coyote ou de tortue ou de caïman ou de poisson ou de tatou. C'est selon. Seuls comptent les animaux, à Juchitán. Ce sont eux les rois, les totems, les marques d'identité. Chaque Juchitèque possède son animal et c'est lui qui décide, en définitive. Je ne fais rien de ce que je fais si ce n'est pour cet animal que je porte en moi. Je marche parce que mon double marche, parce que mon double vit, je vis, et je meurs quand mon double meurt. Ce n'est pas moi qui meurs le premier, c'est lui, et ensuite moi je meurs. Ou alors nous mourons ensemble. Cette croyance est si profondément ancrée et si vraie qu'un chroniqueur comme le frère Francisco Burgoa, qui n'était pas du genre à s'impressionner, raconte qu'il alla un jour dans un village derrière Izmatlán donner l'extrême onction. En traversant une rivière, le cheval du moribond avait marché sur le plexus d'un caïman (à supposer que les caïmans aient un plexus solaire) et l'homme, effectivement, mourait d'une douleur au plexus. Le caïman était son nahual (nahual et non nagual comme plus haut, ndt), son double, auquel sa vie était liée, et si le double était mort, lui-même devait mourir.
Aucun autre Mexicain ne vaut le Juchitèque. Il est d'une autre classe. A la prise d'Ocotlán, le général Charis, fidèle au gouvernement Obregón, combattit les delahuertitos et cinq cents Juchitèques traversèrent la rivière Lerma avec le Mauser dans la bouche et établirent un pont. L'ordre qu'il donna en zapotèque était clair :
- Si vous me voyez me baisser, ce sera parce que j'ai peur. Tuez-moi sans hésiter. Mais si vous, vous vous baissez, c'est moi qui vous tue.
Obregón disait qu'il n'y avait pas de soldats plus braves dans son armée. A Juchitán pas un homme n'est plus homme que les autres, tous sont également téméraires.
Pendant la Révolution et plus tard pendant la guerre civile de nombreuses recrues de l'Isthme moururent. Juchitán a donné à la Révolution dix généraux et mille hommes. Obregón, déjà manchot, vint à Juchitán en octobre 1920 et termina son discours au Zócalo en disant : "Il n'y a pas un cimetière dans la République sans un Juchitèque mort pour la cause. "
Pendant la grève des chemins de fer de 58, Demetrio Vallejo, le leader ouvrier, racontait que les Tèques en jupe longue et corsage tissé se mettaient sur la voie pour empêcher le train de passer, et remplissaient leurs jupes de pierres. Quand Andrés Henestrosa était petit, deux partis se disputaient le pouvoir, le vert et le rouge. Le parti vert était révolutionnaire, le rouge, conservateur, comme pendant la Guerre d'Intervention de l'Empire. La classe dirigeante, riche, était huertista et applaudit l'assassinat de Madero. Les verts furent les soldats de la révolution. Le 5 mai 1920, le général Charis entra à Juchitán et les femmes du parti vert se battirent contre les femmes du parti rouge. Aujourd'hui encore, le but des femmes qui se battent est de soulever la jupe de leur opposante pour montrer son sexe à l'assistance. Avoir le pubis bien garni est une garantie politique ; dans sa frondaison réside sa férocité. La rouge vaincue s'exclamait : "Je lui pardonne d'avoir dit que moi, mariée et bien mariée, j'ai des amants, je lui pardonne tout. Mais ce que je ne lui pardonnerai jamais, c'est de dire que je n'ai pas de poil au ventre. "Dire à une femme : "Tu as le sexe tondu ", c'est la condamner à la droite : "Même là, tu es une réactionnaire ! ".
***
Dans l'obscurité de la nuit, le chat sauvage miaule (les félins sont scandaleux dans l'amour, ils s'entendent de loin). A la rivière, le martin pécheur et l'oiseau charpentier martèlent ; ils érigent leur membre-œil-guetteur-antenne-périscope en le faisant liane parmi les lianes et les amates blancs. Toute la nuit, dans la buée nocturne, on entend leur va et vient inquiétant, l'accouplement et la course de ceux qui s'en payent une tranche et s'envolent en vitesse. Sous les arbustes palpite une vie mystérieuse, des millions d'êtres vivants sont conçus, une végétation débordante pousse, dense, sauvage, luxuriante. La terre halète. A Juchitán, qui signifie pays des fleurs blanches, c'est la semence qui fleurit : l'abondance d'animaux prouve cette interminable activité sexuelle. La jument ne bouge plus, les deux sabots du mâle sur le dos. La jument se fait enfiler presque sans ciller, lèvres ouvertes. Autour du couple le vent s'est arrêté, puis reprend, il mugit comme les taureaux qui mugissent pour une vache, comme les chiens qui n'arrêtent de hurler après les chiennes en chaleur que lorsqu'ils sont en elles, collés à elles pour une éternité. "Jette-leur de l'eau, jette-leur de l'eau." "Mais ils ne se battent pas, ils s'aiment !" "Si tu ne les arroses pas, je les sépare à coups de bâton." Le chien, le désir palpitant dans les yeux, chaque poil de son pelage dressé, saillit debout et se retrouve ensuite à l'envers, coincé. L'âne saillit, le bouc saillit, le taureau est sur le point de briser le dos d'une génisse, le cochon renifle la proximité d'une truie en chaleur et déjà, avant même de commencer, il éjacule une cataracte de semence, son membre est un tire-bouchon, un tire-bouchon énorme, une banderille de foire, il entre et sort en un mouvement frénétique. Les tortues mâles viennent s'achever sur les femelles ; ils font l'amour jusqu'à se tuer. L'accouplement des langoustes, des calamars ou des singes est moins sacré que celui des iguanes. Deux pigeonnes se déplument en l'air pour s'approprier un mâle. A Juchitán, c'est chaleur toute l'année. Les iguanes, les coyotes, les singes, les lapins et les crapauds copulent, et Toledo, en les peignant, peint l'origine de la vie. Le vent de San Mateo del Mar embrasse celui d'Ixtepec, la brise de Salinas Cruz monte à Espinal à la recherche de sa moitié. A Juchitán les vents disséminent sur la terre leurs odeurs maritimes, celles qui enflamment le désir. Et l'espérance.

Elena Poniatowska, traduction En.marge

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