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LES RENCONTRES DE MAZET
organisées par la Fondation Denis Guichard

Un espoir pour la santé de demain : l'alliance des sciences et des traditions.

Est-ce un symbole ? Au-dessus du mas cévenol où se tiennent les Rencontres de Mazet - où depuis quatre ans la Fondation Denis Guichard réunit quelques spécialistes sur un sujet précis - trône un cèdre du Liban gigantesque, vieux de quatre cents ans. Emergeant d'une souche haute de plus de deux mètres et que sept hommes en cercle ne parviendraient pas à étreindre, cinq troncs puissants s'élancent, trois droits et deux tordus, chacun épais comme un arbre seul dressant fièrement plusieurs branches de bonne taille vers le ciel.

Peut-on réconcilier notre médecine occidentale moderne et les médecines traditionnelles ? D'un tronc commun nous vient l'art de guérir, rappelle pour ouvrir le débat le professeur Guy Balansard, pharmacologue à l'université de Marseille, en rapportant les résultats d'une étude japonaise sur cet art appliqué… par des chimpanzés ! "L'animal, quand il est infesté de parasites, choisit deux plantes : l'une tue le parasite, l'autre fixe les larves sur des feuilles velues qui les décrochent de la paroi intestinale." Connaissance intuitive ? Pas certain ! "La mère l'apprend à son petit, car ceux qui n'ont pas reçu cette éducation ne sont plus capables de se soigner eux-mêmes", note le professeur.
Les acquis de la médecine nous viennent donc de fort loin. Cela ne saurait suffire à réhabiliter les pratiques traditionnelles aux yeux de la science contemporaine, fait remarquer le professeur Balansard. Et Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'université de Caen, de rappeler que celle-ci, avec sa démarche de rationalité et de reproductivité, est devenue tradition elle-même. Une tradition de la recherche de la preuve clinique (apportée par la comparaison avec un autre produit, une autre thérapie ou un placebo), dans laquelle Guy Balansard voit la différence fondamentale entre les deux approches. "Dans notre médecine, explique-t-il, on chemine guidé par des molécules, souvent inspirées de molécules naturelles, puis on essaye de montrer une nature pharmacologique, toxique, et ensuite on passe à la clinique. En médecine traditionnelle ou en homéopathie, le thérapeute voit d'abord un cas clinique, puis il cherche et étudie la plante qui pourrait servir." Deux logiques. Deux démarches. Pour qu'une réconciliation se fasse, plaide Guy Balansard, il faut que "les pratiques traditionnelles se soumettent à des études cliniques, la preuve clinique étant la preuve ultime en médecine."
Pauvre professeur ! Il est venu, animé par la volonté de dialoguer, ouvrir les portes d'une science jugée bien sectaire, sans y perdre pour autant la raison; et le voici qui déclenche les foudres des défenseurs d'une "cause" ! La preuve clinique, le professeur Yvette Parès, pour ne citer qu'elle, est là pour témoigner qu'elle existe. "J'ai eu la chance de côtoyer et d'être formée par les meilleurs, raconte celle qui découvrit d'abord, par des méthodes scientifiques mais pour une bien maigre gloire, comment cultiver le bacille de la lèpre. Ils ont une connaissance exceptionnelle et soignent toutes les maladies, y compris la tuberculose, le diabète, etc.…" On comptera, parmi ses victoires dans le combat titanesque qu'elle a mené toute sa vie, la guérison de 250 000 lépreux grâce à l'hôpital fondé au Sénégal avec des tradi-praticiens locaux. Mais quand elle lance des affirmations nettement plus ambitieuses - telle la cure du sida dont elle cite pourtant un exemple - et se défend des doutes levés contre elle d'un seul : "Je ne le dirais pas si je ne l'avais pas vu !" (phrase relevée plus tard lors d'une interview); on se prend, sinon à douter de sa parole ou de son expérience, du moins à trouver son discours bien audacieux… et à rêver d'études cliniques, comme Guy Balansard !
Doutera-t-on alors du docteur Jean-Pierre Willem, figure bien connue de la médecine contestataire, dernier élève d'Albert Schweitzer, chirurgien de guerre, fondateur de Médecins aux Pieds Nus et aromathérapeute ? Lui aussi prétend, et plus clairement encore lors de la Conférence à Paris, avoir "plus de 100 cas de sida soignés par l'aromathérapie, par un cocktail d'essences" - dont il ne dira guère plus.
Dommage ! Les journalistes resteront frustrés par tant d'imprécision, qui leur interdit d'outrepasser la prudence de rigueur au sujet du sida. Mieux vaut donc revenir au cœur du débat et oublier non seulement les déclarations sujettes à polémique, mais aussi le gouffre qui s'ouvre sous nos yeux lorsque l'une ou l'autre raconte les déboires auxquels leur démarche les a conduits. Il n'a d'égal que la masse de découvertes que le lobby pharmaco-universitaire qui les accable (pourquoi establishment est-il un mot tabou ?) a ainsi, au cours des dernières décennies, laissé passer ou condamnées : le docteur Gernez et sa théorie sur le cancer, la théorie de l'acidose de Barbour, le bio-électromètre de Vincent… autant de poids sur l'humeur du docteur Willem, don Quichotte sans écuyer. Yvette Parès, pour sa part, n'aura que mots amers pour qualifier la grossièreté avec laquelle ses découvertes et ses propositions furent reçues, et l'ostracisme dont elle souffrit. Est-ce la cause de leur radicalisme, ou disons : de leur radicalité ? On le comprendrait à moins. Mais peut-être est-ce l'arbre qui cache la forêt.
Car la raison n'est pas non plus absente d'autres remarques critiques à l'égard de la science et de ses "preuves cliniques". Ainsi, le docteur Pierre-Jean Thomas-Lamotte, neurologue à Lisieux, ne se prive pas de relever la faiblesse de certaines études contre placebo, allant jusqu'à accuser la "façon dont on étudie les médicaments" de "supercherie, faite pour vendre des médicaments". Balansard pourra bien faire remarquer que les études se font en phase 2 et 3 contre des médicaments analogues et non contre placebo, rien n'y fait : la preuve clinique elle-même est remise en question.
Du côté science occidentale - car deux côtés semblent se dessiner, sans que la tension en naisse -, Guy Balansard montre le front serein d'un esprit ouvert. Et c'est bien au nom de la clinique qu'il défend l'homéopathie, même si - ou puisque - on ne comprend pas comment elle marche. "Etes-vous en train de dire que la preuve d'un mécanisme chimique n'a jamais été à la base de la médecine occidentale scientifique ?", l'interroge Gilles-Eric Séralini, qui en animateur de talent ne sera pas pour rien dans l'apaisement et la qualité des débats. - "Les choses sont diverses. Dans certains cas, cette preuve est indispensable, dans d'autres pas", déclare Guy Balansard.
Ne croirait-on pas entendre un appel au relativisme, porte ouverte à d'autres approches ? Résonnent pourtant alors quelques propos de contestation péremptoires sur "le monde des preuves" comme "réservé à la médecine occidentale" (Ananas, guérisseuse et néochamane), qui semblent présumer que les malades soignés par la médecine traditionnelle ne sont pas aptes à porter témoignage, sinon de la cure, du moins de la qualité d'un praticien. Mais témoignage ne vaut pas preuve…
On sent pointer la question majeure - la différence repose sur une idée philosophique et presque spirituelle - mais ce ne sera pas pour tout de suite. Car avant de partir, le professeur aura lancé sans le vouloir une flèche du Parthe, en appuyant ses demandes d'un exemple percutant : "Certaines variétés d'une plante (arestolochiae) utilisée en médecine chinoise provoquent des cancers du rein après quelques années d'utilisation. La toxicité à long terme n'est pas prise en compte par la médecine traditionnelle", conclut-il, avant de proposer de "monter des études cliniques avec le concours des praticiens".
Le débat reste ouvert, entre savoir des Anciens et méconnaissance de tous. Les deux approches sont-elles irréductibles, puisque l'une veut des preuves et l'autre s'enferme dans l'affirmation de ses résultats ? Le docteur Thomas-Lamotte lance un premier pont : l'explication par la psychologie de toute pathologie et a fortiori, de toute cure. "On guérit parce qu'on n'a plus besoin d'être malade, parce qu'on a pu parler du conflit ayant provoqué la maladie, affirme-t-il. N'oublions pas la dimension symbolique des médicaments, la façon de les donner, qui est capitale." Il suffit donc d'interpréter le langage du corps pour aider le patient à retrouver ce conflit, par un emploi maîtrisé du symbolisme qui permet au docteur Thomas-Lamotte de défendre : "Je vois des miracles dans mon cabinet toutes les semaines !" Suivent des explications qui mériteraient plus ample développement, "tout conflit venant de notre révolte contre la mauvaise mère au départ" semblant une justification quelque peu facile pour une approche, par bien des aspects fort intrigante, de la maladie. On ne peinera certes pas à reconnaître que la santé passe par la réconciliation, "qui signifie accepter tout ce qui nous a fait souffrir et en venir à se dire que pour rien au monde on aurait voulu ne pas en passer par là"; à condition toutefois que cette acceptation ne serve pas, par dérive religieuse, à une justification de la souffrance faisant l'économie de ses causes.
Mais Françoise Bellossi, pharmacien mais non pharmacienne, et fondatrice de l'association Santorun qui aide les médecines traditionnelles africaines, peut faire remarquer que "toute maladie se joue à trois niveaux : le symptôme, le malaise de l'esprit et une maladie de l'âme"; c'est bien plus loin que les plus ardents défenseurs des pratiques traditionnelles veulent nous entraîner : vers la reconnaissance d'une "inaliénable étrangeté", si j'ose dire.
Irma Morales Felix, sage-femme indigène du Mexique, explique le refus de sa communauté d'envoyer des tradi-praticiens donner des cours à l'université : "Nous n'avons pas besoin de cours, car la sagesse et le savoir sont dans le peuple." On comprend mieux un tel dédain quand elle raconte comment elle-même, tout comme Alberto Herrnández García avec les rites mayas, passe son temps à tenter de récupérer et sauver les restes menacés de ce savoir, de cette sagesse… et de leur peuple.
Sagesse ! Serait-ce le grand mot, venu se coller ici au côté du Savoir ? La vraie raison du divorce, en effet, est beaucoup plus profonde, surtout pour le docteur Parès. Jean-Pierre Willem ne se départit pas, quant à lui, d'une exigence de rationalité qui fleure bon l'irréductibilité gauloise. Le rationalisme est-il d'ailleurs en question ? Yvette Parès clarifie les enjeux, qui se cachaient au fond depuis le début dans la distinction élaborée par Guy Balansard entre approche clinique (les malades) et approche pharmacologique (le produit ou la plante) : "La médecine traditionnelle demande 15 ans d'études sur le terrain - y compris des journées de 15 heures sous le soleil tropical pour ramasser les plantes. Tout le monde n'est pas apte à ces efforts, ni apte à recevoir cette sagesse et ce savoir. D'autant qu'un vrai savant ne se vante jamais, ne dit jamais qui il est, fait l'homme ordinaire, à l'encontre de notre image du maître." La démarche paraît bien, à entendre ses explications, là encore inversée : nous formons des étudiants à un savoir au terme de l'étude duquel ils deviendront pour certains de véritables soigneurs d'hommes - peut-être, car c'est en fonction de qualités humaines que cet enseignement ne privilégie pas. Le guérisseur traditionnel, lui, recherche tout d'abord chez son disciple les qualités humaines - sagesse, intelligence, compassion et sans doute un je-ne-sais-quoi de magique.
D'où le grand problème de cette médecine : la transmission. Car, comme le rapporte Claire Laurant, anthropologue spécialiste des médecines aztèque et maya… mais aussi de Hildegarde de Bingen (entre lesquelles elle dresse d'étonnants parallèles), "les thérapeutes traditionnels ne trouvent plus de disciples à former". "C'est parce qu'ils ne reçoivent plus le "bénéfice social" de cette profession", explique Jean-Pierre Nicolas, ethno-pharmacologue et fondateur des Jardins du Monde, association qui, comme les Médecins aux Pieds Nus du docteur Willem, œuvre au renouveau de ces méthodes et à leur harmonisation, notamment par le biais des pratiques de culture médicinale. "Des sociétés en pleine déstructuration, en passage d'un mode communautaire à un mode social, ne valorisent plus les détenteurs du savoir ancien." La solution ? "Les regrouper !", proclame Jean-Pierre Nicolas. C'est également l'avis d'Yvette Parès, qui a pu en mesurer les bienfaits en Afrique, où, dit-elle, 'la médecine traditionnelle est en plein renouveau, malgré l'ostracisme de la part des autorités, souvent corrompues par l'occidentalisation de leur mentalité, voire plus directement encore, ce qui n'aide pas des médecines fondées sur les ressources locales !" Regrouper, propose-t-elle, jusqu'à la création, en parallèle de l'OMS, "d'une véritable Organisation Mondiale des Médecines Traditionnelles". Nul doute, il leur faudra d'abord balayer devant leur porte et éliminer les charlatans. Mais elles soignent encore, rappelons-le comme il fut fait maintes fois, la grande majorité des humains sur cette planète - sans parler des bestiaux.
On en oublierait presque les triomphes de la médecine occidentale ! Il n'y a pas lieu ici de les relativiser, et cette route pourtant facile (ses succès sont-ils si évidents ? et quid de l'alimentation, de l'hygiène, de la prévention ?) ne sera guère empruntée. C'est cependant d'une personnalité issue de ses rangs et peu portée à la controverse que viendra, en conclusion lors de la conférence de remise du prix de la Fondation, l'attaque la plus frontale contre l'incohérence occidentale dans la dispute. "Ce qui m'a le plus surpris, et a fini par me choquer, avoue le docteur David Servan-Schreiber, sémillant auteur du best-seller Guérir, c'est qu'un grand nombre d'approches alternatives ou traditionnelles ont été examinées et validées par des études scientifiques publiées dans les revues reconnues en Occident, et que personne ne les utilise." Même esprit critique quand il s'agit de comprendre pourquoi : "Ces médecines, naturelles, ne sont pas brevetables, il n'y a donc pas d'argent à gagner, pas de moteur économique. On ne peut pas breveter une plante, une connaissance millénaire, une technique de respiration." Voilà le clou enfoncé. Reste le tableau à accrocher ! En l'occurrence, non, on ne parle pas du Prix Denis Guichard et du diplôme qui l'accompagne, estampillé Fondation de France. Mais plutôt des perspectives d'avenir, s'il faut s'allier quoi qu'il en coûte.
Là encore, même si de nombreuses esquisses furent lancées à Mazet, chacun témoignant de son propre affairement à retisser les liens, David Servan-Schreiber propose une réponse : "Il existe des approches, qui ne sont ni des médicaments ni de la chirurgie, mais qui induisent de véritables transformations de la physiologie." Diantre, voici un bon rappel ! Et le docteur de décliner les trois cerveaux de McLean, les capacités inexplorées (par la conscience en tout cas) du cerveau limbique, voire reptilien, dans la commande de nos émotions et de notre physiologie. "Tout cela, affirme-t-il, les médecines traditionnelles l'ont compris depuis longtemps. Elles savent comment ouvrir des voies d'accès à ce cerveau émotionnel pour guérir." Serait-ce parce qu'elles font appel à une dimension spirituelle de l'homme, à son statut d'être "entre ciel et terre" ? Comme au Mazet le professeur Balansard, David Servan-Schreiber n'aborde guère cet aspect et, tout en avouant avoir favorisé leur intégration a l'hôpital de Pittsburg, plaide pour des études scientifiques et cliniques. Décidément ! Mais qui leur donnerait tort ? Personne n'en est plus là. Comme le rappelle Diego Gradis, co-lauréat du Prix Denis Guichard 2004 avec les guérisseurs mexicains et fondateur de l'association Traditions pour Demain qui les aide, il s'agit bien plutôt de sauvegarder, parmi ces traditions, ce qui peut encore l'être.
Encore faudrait-il savoir emporter, dans cette sauvegarde, un peu de l'esprit qui anime les tradi-praticiens, au dire de tous. Les happy few présents au Mazet auront-ils profité des rites protecteurs et purificateurs effectués par Alberto, avec l'aide d'Irma, dès le début des Rencontres ? Cercle de branches, de fleurs et de fruits; fumigations, danse collective pour "réveiller la Terre Mère et le Père Ciel". L'homme entre ciel et terre, disions-nous ? Là bas, au Mazet, le grand cèdre est resté pour assurer ce lien, et rappeler qu'il est garant de la vie. Pour les auditeurs parisiens de la conférence, les remerciements et le sourire des lauréats du prix en auront tenu lieu, rappels d'un monde où l'on cultive avant tout, et entre toutes choses, ce principe spirituel premier qu'est la recherche de l'union.

Sylvain Michelet




VERSION COURTE ET LEGEREMENT DIFFERENTE PROPOSEE A NOUVELLES CLES :

Exemple légende photo
Les lecteurs de Clés retrouveront de vieilles connaissances dans les lauréats 2004 de la Fondation Denis Guichard : Diego Gradis - animateur de l'association Traditions pour Demain interviewé dans le numéro 33 - partage les honneurs avec Irma Morales Felix et Alberto Hernández García, sage-femme et sauveteur culturel indigènes du Mexique, deux héros du livre Madre Tierra ! de Daniel Wermus, publié dans la collection… Clés. 

L'alliance de la science et des traditions, un espoir pour la santé de demain ?

C'est la question dont ont débattu chercheurs, médecins, pharmaciens, anthropologues et guérisseurs, lors des Rencontres de Mazet organisées par la Fondation Denis Guichard - philantrope discrète placée sous l'égide de la prestigieuse Fondation de France -, puis lors de la remise de son prix annuel à Paris par Jean-Marie Pelt, son président.

Qui ne suivrait le professeur Guy Balansard, pharmacologue enseignant à l'université de Marseille, lorsqu'il avertit : "La médecine chinoise, pourtant fort reconnue, emploie sans toujours faire attention une plante (arestolocheae) dont certaines variétés provoquent des cancers du rein, non diagnostiqués car survenant vingt ans plus tard. Il faut que les pratiques traditionnelles se soumettent à des études cliniques - comparaisons avec un autre produit, une autre thérapie, un placebo."
Seulement voilà, des preuves, certains estiment en avoir apporté. Le docteur Jean-Pierre Willem - élève d'Albert Schweitzer, chirurgien de guerre, fondateur de Médecins aux Pieds Nus et aromathérapeute - tire de son expérience une leçon acide : "La médecine officielle ne veut tout simplement pas voir." Et c'est avec amertume que le professeur Yvette Parès, qui découvrit dans les années 1970 comment cultiver le bacille de la lèpre, conte ses déboires, après la gloire passagère. Formée pendant 15 ans par des guérisseurs africains, elle a fondé un hôpital traditionnel où furent soignés, dit-elle, 250 000 lépreux - alors que les médicaments occidentaux, quand ils sont disponibles, ne font que bloquer les symptômes. Corruption, occidentalisation des esprits, vindicte des universitaires : c'est d'une ONG allemande que vint l'aide, aujourd'hui relayée par l'association Santorun.
La rupture serait-elle consommée ? Irma Morales Felix, sage-femme indigène du Mexique, explique le refus de sa communauté de l'envoyer enseigner à l'université : "Nous n'avons pas besoin de cours, car la sagesse et le savoir sont dans le peuple." On comprend mieux un tel dédain quand on sait comment, tout comme Alberto Hernández García avec les rites mayas, elle tente de récupérer et sauver les restes menacés de ce savoir, de cette sagesse… et de leur peuple.
La transmission est bien le grand problème, comme l'expliquent tous ceux qui tissent le lien, tels Diego Gradis ou Claire Laurant, anthropologue spécialiste des médecines aztèque, maya et… médiévale européenne : "Leur vision du monde disparaît là-bas comme elle le fit ici. Les tradi-praticiens ne trouvent plus de disciples." "Dans une société passant du mode communautaire au mode social, leur profession ne reçoit plus de "bénéfice social"", explique Jean-Pierre Nicolas, ethno-pharmacologue et animateur de Jardins du Monde, association qui œuvre au renouveau de ces méthodes et à leur harmonisation, notamment par le biais d'aide aux cultures médicinales. "La seule solution : qu'ils se regroupent !" Voilà qui plaît au docteur Parès, qui milite pour la "création, en parallèle de l'OMS, d'une véritable organisation mondiale des médecines traditionnelles". Car le problème lui semble relever d'une différence plus essentielle. Selon elle, nos écoles forment des étudiants qui deviendront pour certains de véritables soigneurs d'homme - peut-être, car cela dépend de qualités humaines que cet enseignement ne privilégie pas. Le guérisseur traditionnel, lui, recherche d'abord chez son disciple ces qualités - sagesse, intelligence, compassion et un l'on-ne-sait quoi de magique.
Une alliance semble difficile, peut conclure le docteur David Servan-Schreiber, psychiatre et auteur du best-seller Guérir : "Un grand nombre d'approches alternatives ou traditionnelles ont été validées par des études scientifiques, et personne ne les utilise. Il faut dire que, naturelles, elles ne bénéficient d'aucun moteur économique. On ne peut breveter une plante, une thérapie millénaire ou une technique de respiration !" Mais la science occidentale s'ouvre : il évoque l'intégration des médecines alternatives à l'hôpital de Pittsburg, les trois cerveaux de McLean et les capacités inexploitées par la conscience du cerveau limbique, voire reptilien, dans la commande de nos émotions et de notre physiologie. "Tout cela, affirme-t-il, les médecines traditionnelles l'ont compris depuis longtemps. Elles savent comment ouvrir des voies d'accès à ce cerveau émotionnel pour guérir." Serait-ce parce qu'elles font appel à une dimension spirituelle de l'homme, à son "statut d'être entre Ciel et Terre", comme le défend Alberto García, le sauveteur de rites chontal ? Si alliance il y a un jour, on en voit poindre les termes : médecine occidentale, échangerait trop-plein technique contre un peu de spiritualité; médecine traditionnelle, échangerait savoirs contre moyens d'exister.


Dr Jean-Pierre Willem, Aroma Minceur, éd. Albin Michel, 2004; Prévenir et Vaincre le Cancer, éd. Guy Trédaniel, 2004
Médecins aux Pieds Nus, 9 rue du Gal Beuret, 75015 Paris, 01 42 50 10 58
Pr Yvette Parès, La médecine africaine, une efficacité étonnante, éd. Yves Michel, 2004
Association Santorun, 18 montée de l'église, 69620 Oingt, 04 74 71 14 97
Les Jardins du Monde, Meilh ar Greuz, 29190 Braspart, 02 98 81 40 17
Traditions pour Demain, B.P. 477-07, 75327 Paris cedex 07, 01 47 05 16 24

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