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Entretien avec le docteur Kespi, Président d'honneur de l'Association Française d'Acupuncture.

- "La Faculté n'a pas à accepter ou refuser, à croire ou à ne pas croire. Elle doit nous laisser entrer dans les hôpitaux et voir ce que nous sommes capables de faire."

- "L'acupuncture fait appel à une autre grille de lecture de l'homme, du vivant, de la maladie, à une autre grille de diagnostic, à une autre thérapeutique, mais c'est une médecine au même titre que la médecine occidentale."

- "Dans cinquante ans, peut-être moins, dès qu'un bilan aura établi qu'une stérilité est fonctionnelle on commencera par l'acupuncture ! "

En.marge : Quel est le statut actuel de l'acupuncture en France ?

Dr Kespi : N'oublions pas que, depuis les années trente, l'école française d'acupuncture est à l'origine de tout l'essor de cette médecine en Occident. Quant à la Faculté, il lui est psychologiquement plus facile d'accepter une pratique née en Chine il y a cinq mille ans que l'homéopathie ou l'osthéopathie, plus récentes et plus proches. L'acupuncture est donc en voie de reconnaissance. Neuf universités françaises délivrent depuis quelques années un diplôme officiel sanctionnant une formation de base réservée aux médecins. Les acupuncteurs sont considérés comme des généralistes, mais avec une orientation acupuncture aujourd'hui reconnue par le Conseil de l'Ordre. Leur quotation à la Sécurité Sociale est cependant moins forte que celle d'un généraliste, alors qu'une consultation prend deux fois plus de temps ! Quand l'acupuncture aura une chaire à l'université, quand ses actes seront quotés comme en médecine interne, quand une évaluation de son efficacité aura confirmé en hôpital les présomptions obtenues "en ville", nous pourrons dire qu'elle est pleinement reconnue. A ce jour, aucun hôpital ne nous est encore ouvert.

En.marge : L'acupuncture est-elle largement pratiquée ?

Dr Kespi : Nous sommes une centaine de spécialistes, six cents généralistes "font" de l'acupuncture et, d'après les estimations du Conseil de l'Ordre, six mille l'utilisent, "piquent", comme l'on dit, c'est-à-dire qu'ils ont appris dans les livres, sans suivre une formation dans une école ou une université.

En.marge : Quel avantage présente-t-elle pour le médecin ?

Dr Kespi : Je suis acupuncteur, évidemment, parce que j'adhère à la vision de l'homme que cultive cette médecine traditionnelle chinoise. Mais son plus grand mérite à mes yeux est de me ramener sans cesse à la médecine clinique, celle enseignée dans les années cinquante par mes maîtres, des hommes qui savaient diagnostiquer à l'oreille un caverne tuberculeuse d'un centimètre de diamètre. On interroge, on regarde, on palpe, on écoute, on ausculte. On peut s'aider d'examens paracliniques, mais ils sont au deuxième plan et non au premier.

En.marge : Et pour le patient ?

Dr Kespi : Devant un malade, l'essentiel est de trouver la meilleure thérapie maintenant. Allopathie, ostéopathie, homéopathie, psychothérapie, acupuncture, qu'importe ? Pour faire cette démarche, il faut suivre à la fois la médecine chinoise et la médecine occidentale, il faut avoir une vue large des choses. Car aucune comparaison ou jonction théorique n'est possible entre elles. L'acupuncture fait appel à une autre grille de lecture de l'homme, du vivant, de la maladie, àune autre grille de diagnostic, à une autre thérapeutique, mais c'est une médecine au même titre que la médecine occidentale.

En.marge : S'adresse-t-elle à un type particulier de pathologies ou de patients ?

Dr Kespi : Elle ne soignera évidemment pas un limphôme, par exemple. Mais elle peut aider à mieux supporter une chimiothérapie. Son champ d'action est très vaste, il s'étend des dépressions, angoisses et insomnies jusqu'aux troubles fonctionnels de toute nature, respiratoires, digestifs, hormonaux, en passant par les névralgies et les douleurs. Pour l'instant, nous soignons surtout des malades en bout de course, qui ont déjà tout essayé. Dans cinquante ans, peut-être moins, dès qu'un bilan aura établi qu'une stérilité est fonctionnelle on commencera par l'acupuncture !

En.marge : Elle reste liée pour nous à des images d'anesthésies spectaculaires, analgésies devrait-on dire car le patient ne dort pas. Pourquoi n'est-elle pas utilisée en chirurgie ?

Dr Kespi : Ces images relevaient de la propagande. Les patients étaient toujours pré-médiqués en médecine occidentale avant l'acupuncture. Nous avons obtenu dans les années soixante-dix, avec notre maître Nguyen, des analgésies d'en moyenne 7O %. Une preuve d'efficacité, mais 3O % de douleur c'est encore trop. De plus, cela impliquait d'être présent pendant une heure ou deux pour stimuler les aiguilles et demandait du chirurgien des techniques à l'antique beaucoup plus lentes, fines, et précautionneuses. On n'a pas toujours le temps ou la patience d'opérer ainsi.

      Par contre, nous obtenons d'excellents résultats en médecine pré- et post-opératoire. Là aussi, j'attends le jour où l'on nous laissera le vérifier en hôpital, car il me paraît clair que les gens qu'il m'arrive de piquer avant leur opération dans une clinique privée, ont moins mal, saignent moins, cicatrisent plus vite et supportent mieux l'anesthésie. Les chirurgiens me l'ont confirmé. En post-opératoire, nous sommes efficaces pour la douleur, les hoquets et d'autres symptomes.

En.marge : Que vous manque-t-il donc pour être vraiment reconnus ?

Dr Kespi : La Faculté n'a pas à accepter ou refuser, à croire ou à ne pas croire. Elle doit nous laisser entrer dans les hôpitaux et voir ce que nous sommes capables de faire. Une recherche sur l'aide à la chimiothérapie, l'asthme ou les allergies ne peut être menée sérieusement que dans un service hospitalier. Il ne s'agit pas de nous mettre dans un placard au fond de la cour avec les malades qu'on n'a pas pu soigner, mais d'intégrer l'acupuncteur au sein même d'un service et de voir, au quotidien, ce qu'il peut apporter comme diagnostic et proposer au plan thérapeutique. Le jour où nous serons ensemble devant les mêmes malades, la jonction se fera. Ce n'est pas théorique. Nous voulons être jugés sur nos résultats.  

Un article par En.marge publié dans Nouvelles Clés (n°20)

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