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                                       MÉDECINES NON-CONVENTIONNELLES : VERS UNE HARMONISATION EUROPÉENNE ?

Ainsi, on peut pratiquer n’importe quelle thérapie en Irlande et au Royaume Uni ? Ainsi un Heilpraktiker allemand commet chaque jour des actes qui lui vaudraient en France une condamnation ? Voilà qui fait apparaître l’archaïsme de l’exception française, et pousse à penser que les médecines alternatives auront tout à gagner, dans ce pays, d’une harmonisation des législations à l’échelle européenne !

Voilà qui montre aussi, au passage, combien un tel regard est finalement français : vu d’Irlande au contraire, cette harmonisation signifiera une perte de liberté. Mais qui voudrait d’une complète libéralisation ? Et à l’échelle européenne, quel est l’enjeu, la liberté d’exercer ou l’emprise de la médecine allopathique ? Le débat contre le blocage statutaire dans tel ou tel pays particulièrement rétrograde ou pour leur reconnaissance par la science et les institutions ?

Telles sont les questions qui agitaient les militants de ces médecines au début de la décennie 90, lorsque comme leurs homologues de la cause environnementale, ils se sont tournés pleins d’espoir vers les institutions de l’Europe. L’Organisation Mondiale de la Santé ne montrait-elle pas l’exemple ? Elle reconnaissait dès 1976 l’importance des médecines traditionnelles, définies comme liées à une tradition ancienne (comme l’acupuncture et la culture chinoise) et “ par opposition à la médecine scientifique moderne officielle ou allopathie ”(1). De plus, elle forgeait dès 83 le terme bienvenu de “ médecines non-conventionnelles ” pour désigner celles qui ne sont ni traditionnelles ni allopathiques (comme l’homéopathie, la kinésiologie ou la médecine anthroposophique). L’Europe semblait le lieu idéal où porter le débat : les différences d’approches et de droits entre les pays se montraient incompatibles avec la libre circulation des citoyens européens instaurée par le Traité dans ses articles 52 à 66, qui incluent la liberté d’établissement pour les praticiens. Apparaissaient d’autres incohérences : depuis 92, une législation communautaire spécifique réglemente les médicaments homéopathiques alors que l’homéopathie n’est pas reconnue comme une discipline médicale.

Le débat eut bien lieu, au Parlement européen de Strasbourg comme il se doit. Il prit d’abord la forme, entre 92 et 96, d’une vaste consultation des milieux associatifs et professionnels liés aux médecines alternatives, organisée par la commission de l’environnement et de la santé, sous la houlette de Paul Lannoye, député belge écologiste et docteur ès sciences. Et si nous retrouvons ici le docteur Kempenich, c’est parce qu’il participa activement aux travaux, en tant que président de la plus grande association de médecins non-conventionnels en Europe, riche de 43 000 médecins. “ Il nous a fallu déchanter, raconte-t-il aujourd’hui. Apprendre d’abord que ces consultations ne déboucheraient en aucun cas sur une proposition de loi, car le Parlement n’a pas cette initiative, mais uniquement celle de “ résolutions ” invitant la Commission européenne à légiférer. Voir ensuite le milieu exposer ses dissensions au grand jour, certains médecins venaient avec leur avocat, craignant la chasse aux sorcières. Et enfin le 27 mai 97, il a fallu voir, réuni en séance plénière, le Parlement réduire et dénaturer, d’amendement en amendement, la proposition de résolution défendue par Paul Lannoye. Ce dernier coup fut rude, même si nous savions que les parlementaires avaient subi un rude lobbying.”

“ Le poids du lobby médical a en effet été suffisant pour affaiblir dans une large mesure la prise de position politique du parlement, reconnaît le député Paul Lannoye. En dernière minute, un amendement déposé par les députés socialistes français, belges et espagnols a été voté de justesse, supprimant du texte de la résolution toute demande relative à une législation communautaire. C’était l’expression finale de la stratégie d’obstruction utilisée par le milieu médical pour empêcher le changement (1). ” De fait, sur les 22 médecins membres du parlement, aucun n’aura voté en faveur du paragraphe 1 de la résolution finale.

Qu’à cela ne tienne ! Ce paragraphe a été voté, qui “ demande à la Commission européenne de s’engager dans un processus de reconnaissance des médecines non-conventionnelles ”. Le paragraphe 2, lui, “ demande à la Commission d’élaborer en priorité une étude approfondie sur l’innocuité, l’opportunité, le champ d’application et le caractère complémentaire et/ou alternatif de chaque discipline non-conventionnelle, ainsi qu’une étude comparative entre les modèles juridiques nationaux auxquels sont affiliés leurs praticiens.

Aujourd’hui, si la première demande attend toujours réponse la seconde est assez largement satisfaite. Grâce au programme COST B4 (coopération science et technologie), il a été montré qu’une vaste littérature scientifique plaidait déjà en faveur de ces médecines, mais aussi que le statut juridique de certaines d’entre elles dans tel ou tel pays rendait incontournable, à terme, leur reconnaissance par les autres. Quoique peu concrets, les acquis de cette résolution s’avèrent surtout considérables au niveau symbolique. Les médecines alternatives n’ont pas seulement gagné un nouveau nom. Sont proposés également des critères pour leur future reconnaissance : “ bénéficier d’une certaine forme de reconnaissance légale dans certains États membres, disposer d’une structure organisationnelle au plan européen et disposer d’un mécanisme d’auto-réglementation ” (3). Outre de belles intentions, cette résolution offrirait-elle comme un programme de route ? L’avenir ne dépend pas seulement du bon vouloir de la Commission.

(1) Médecines traditionnelles et couverture des soins de santé, OMS, 1983.

(2) Vers un statut des médecines complémentaires en Europe, Paul Lannoye, intervention au Entretiens internationaux de Monaco, 1999.

(3) Résolution sur le statut des médecines non-conventionnelles, 29 mai 1997, Parlement européen, Considérant F.

Un article par En.marge publié dans Nouvelles Clés  (n°37)  

 

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