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Professeur Jacques Touchon, doyen de l’Université de Médecine de Montpellier, professeur de neurologie et directeur du département de neurologie des CHU et CHR de Montpellier.

Extraits de son discours d’inauguration du Forum du bouddhisme et de la médecine, Montpellier, 29 avril 2006

« La médecine occidentale a fait des progrès tout à fait extraordinaires, mais malheureusement au prix d’une fragmentation de l’être, et sa tendance actuelle n’est pas de soigner l’homme mais de soigner un fragment de l’homme. Nous avons oublié, me semble-t-il, cet aspect essentiel du soin, de la relation d’aide - c’est-à-dire de la médecine -, qui est l’appréhension de l’être souffrant comme une globalité. J’ai l’habitude de dire aux étudiants : quelles que soient les raisons d’admirer les techniques, le soin - la médecine – n’est technique qu’à 20%. Pour 80%, c’est de la relation à l’autre. L’écoute de l’autre et la relation. Il n’est pas inintéressant de noter que ‘relation’ vient de ‘relier’, ‘religion’, et il n’est pas inintéressant non plus de rappeler que la faculté de médecine que j’ai l’honneur de diriger actuellement a été créée en 1280 par le Pape, et qu’à côté de la faculté de médecine actuelle, il existait une relation étroite, qui n’existe plus actuellement mais qui a existé au début, de la même façon que la première école tibétaine, si mes connaissances ne sont pas trop imparfaites, a été créée au 8ème siècle par des moines tibétains, et que les premières structures de soins étaient intégrées dans les monastères. Donc il y a eu, tout au début, une relation importante entre des mouvements philosophiques ou religieux et la médecine, et ensuite, cette médecine s’est écartée, du moins la médecine occidentale, de l’homme inclus dans un ensemble : déjà la dichotomie psyché-soma, âme et corps, a fait des ravages dans notre médecine, mais il y eut aussi dissociation entre l’homme malade et l’univers, l’univers relationnel, l’univers physique. L’homme malade est réduit à un organe malade isolé, et lui-même isolé dans un univers technique et spécialisé.

Alors c’est peut-être un peu dommage, parce que la médecine a été à l’origine le partage et qu’on a oublié l’enchaînement universel, qui avait créé le vitalisme. Cette notion de vitalisme est importante, elle renvoie à ce que Bergson évoquait quand il parlait d’élan vital : l’homme, et surtout l’homme souffrant, doit être considéré comme un tout derrière une somme plus vaste : un ensemble synchronique, qui est celui de l’environnement dans lequel il vit, et déjà son environnement culturel et social ; et un ensemble diachronique, qui est celui de son inscription dans une histoire, son histoire et celle des siens. On ne peut pas envisager l’homme souffrant, et en particulier un homme d’aujourd’hui, si l’on ne s’inscrit pas dans la relation avec lui, et si on n’inscrit pas cette relation dans un ensemble plus vaste qui est le genre humain. L’homme d’aujourd’hui est un homme à envisager dans sa globalité. En évitant de croire, comme certains de nos collègues actuellement, que seul l’organe malade compte.

Je dis toujours, lors de la première visite en hôpital avec mes étudiants : ‘Je vais vous apprendre quelque chose de fondamental. Si vous devez ne retenir que ça de votre stage, vous aurez réussi ce stage.’ Arrivé à la porte de la chambre du patient, je frappe, j’attends que l’on me dise d’entrer, j’entre et je dis : ‘Bonjour monsieur’, ou : ‘Bonjour madame’. Et puis ensuite, après la visite, je demande à mes étudiants : ‘Que vous ai-je appris d’essentiel ?’ Alors ils me parlent d’examens, de diagnostic, tout ça, et je dis : ‘Non, l’essentiel, c’est de frapper, d’attendre que l’on vous dise d’entrer, de saluer.’ Voilà, je crois, le moyen de leur montrer, dès leur première leçon sur le terrain, que nous ne soignons pas des malades, et encore moins des organes, mais des personnes. »


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