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OGM
: quels dangers pour la santé ?
Réponse : les pesticites !
Entretien avec le professeur Gilles-Eric Séralini
publié
dans Nouvelles Clés (N°44, hiver 2004-2005)
Gilles-Eric
Séralini est LE grand expert des OGM et de leurs risques sanitaires. Chercheur
et enseignant en biologie moléculaire à l'université de Caen, il a été nommé
par le gouvernement, en 1998, dans les commissions chargées d'évaluer les OGM
avant et après leur commercialisation, et en 2003, expert
auprès de la Commission européenne. Il est également membre fondateur
et président du comité scientifique du CRII-Gen (Centre de Recherche et
d'Information Indépendante sur le Génie Génétique) et auteur de plusieurs
livres, dont Ces
OGM qui changent le monde
(Champs, Flammarion).
En.marge : Le
moratoire européen sur les importations de semences transgéniques repose, au
nom du principe de précaution, sur d'éventuels risques sanitaires. Est-ce
justifié ?
Gilles-Eric Séralini :
Précisons que nous ne parlons pas des OGM produits en laboratoire et destinés
à y rester, mais de ceux qui sont disséminés dans l’environnement. Deux
hypothèses s'opposent à leur sujet, scientifiquement soutenables à notre degré
de connaissance actuel, et relevant finalement de la croyance et de la
philosophie : pour l'Europe, un OGM est a priori différent; pour les
Etats-Unis, c'est un organisme comme les autres. Au mieux, on devrait dire qu'on
ne sait pas. Mais ces disputes font oublier l'essentiel : 99% des OGM réels
dans le monde sont des plantes qui ont été "génétiquement modifiées"
dans un seul but : produire ou absorber des pesticides. Et sur ce plan, ils sont
très peu étudiés. Or, les principes actifs des pesticides sont faits pour
tuer. Leurs effets secondaires – voyez les médicaments – peuvent donc être
dévastateurs, surtout quand on sait qu'ils atteignent l'intimité des cellules.
Un exemple : le principal OGM est le soja au roundup (62% des OGM sont des
sojas, à 90% au roundup), qui peut absorber ce pesticide sans mourir. Le
roundup a des effets secondaires connus sur le système reproducteur, mutagènes
sur les cellules, toxiques sur les cellules embryonnaires humaines à des doses
inférieures aux doses agricoles, avec perturbation du système hormonal…
En.marge. : Ces capacités de
nuisance sont-elles transmises à l'OGM ?
Gilles-Eric Séralini : Il semble
bien, en effet. Avec le CRII-GEN, nous avons obtenu communication des
commentaires des experts sur quelques tests effectués par les industriels (pour
les OGM en demande de commercialisation en Europe ou qui le sont aux Etats-Unis)
à la suite de mes demandes officielles, depuis de nombreuses années, pour des
tests de 3 mois sur des rats. Dans leurs conclusions, les industriels
admettaient des effets significatifs sur la santé des rats pour certains OGM:
sur le taux de sucre, le taux de globules rouges et de globules blancs, avec des
différences selon le sexe, tout cela pour un maïs transgénique tout à fait
banal. Mais ils en niaient l’importance physiologique.
En.marge. : Que voyez-vous
comme risque majeur ?
Gilles-Eric Séralini : Tout dépend
du pesticide et de l'organisme qui les reçoit. Le pesticide présent dans la
plupart des maïs transgéniques est une molécule qui, activée dans l'estomac
d'un insecte, lui perfore l'intestin en créant des septicémies. Mis en
contact, en labo, avec des globules rouges humains, il les éclate
progressivement. Alors, regarder s'il y a des anémies sur les vaches nourries
aux OGM, ou des malformations intestinales, comme l'a montré le chercheur
britannique Arpad Pusztaï sur des rats, ne me paraîtrait pas anormal. Mais en
fait, les risques sont bien plus larges, car les pesticides sont des
"empoisonneurs à bas-bruit" des grandes fonctions de l'organisme - au
premier chef la communication entre les cellules, c'est-à-dire le système
hormonal. Alors qu'avec une bactérie pathogène, qui se multiplie vite dans un
tissu particulier, on a généralement une "spécificité d'organe";
un pesticide va s'infiltrer un peu partout et, disons comme dans une vieille
chaussette, trouer là où l'organisme est déjà atteint ou malade. Il peut
donc affecter n'importe quel organe.
En.marge. : Donc de multiples
pathologies possibles ?
Gilles-Eric Séralini : Les désherbants
mutagènes utilisés avec les OGM pourraient favoriser certains cancers ou des dérèglements
du métabolisme, ou encore une baisse de l'immunité, ou même pour
l’insecticide produit par nos maïs OGM, des microperforations intestinales si
les effets sont comparables à ceux observés chez les insectes. Une autre
considération justifie à mes yeux de prendre les OGM pour des organismes
nouveaux : notre manque de recul. Par tradition - 11 000 ans d'agriculture ! -
nous savons que deux maïs n'ont jamais donné une souris; alors qu'aujourd'hui
on peut mettre un gène de chien ou d'humain dans du maïs – on l'a fait en
France. Cette nouveauté mérite d'être prise en compte, et soigneusement étudiée
s'il s'agit d'en nourrir la planète.
En.marge. : Hors pesticides,
existe-t-il des dangers spécifiques à la manipulation génétique ?
Gilles-Eric Séralini : Il est certain
que l'on passe la barrière des règnes et des espèces avec une méthode
nouvelle. Notre ignorance devrait nous inciter à la modestie. Certains vantent
notre précision chirurgicale ou notre bonne connaissance du gène introduit,
mais il y a une grande imprécision dans la manière dont on introduit le gène,
comme dans le patrimoine génétique finalement greffé, que l'on ne connaît même
pas - on n'a pas fini de séquencer le génome du maïs, du coton, du soja ou du
riz, et ce n'est que l'une des inconnues ! On sait d'après la littérature
scientifique que l'introduction de gènes artificiels dans un réseau de gènes
vivants – un tissu vivant, en permanente reconstruction et remaniement –,
peut créer des effets tout à fait inattendus, selon l'endroit où le gène
artificiel va arriver. On appelle ce phénomène la "mutagenèse
insertionnelle". Ces mutations peuvent interrompre des gènes actifs et créer
de nouveaux métabolismes toxiques, des cancers, des vieillissements prématurés,
etc. Quand on crée des OGM en labo, 99% ne marchent pas ou marchent mal. On
oscille entre aucun effet apparent, même pas l'effet du gène introduit, et des
anomalies inattendues.
En.marge. : Par exemple ?
Gilles-Eric Séralini : La plante présente
des anomalies de croissance, des malformations des feuilles, toutes sortes de défauts
semblables aux malformations congénitales des maladies génétiques. En fait,
on ne peut pas très bien faire la part entre l'OGM lui-même et la technique
agressive qui consiste à introduire du matériel génétique de manière forcée,
violente, dans la cellule. Car on ne "fabrique" pas vraiment des OGM.
Ce que l'on fait, c'est en somme violer la cellule avec beaucoup d'ADN, en espérant
qu'un petit fragment de cet ADN va s'introduire dans le patrimoine génétique
et y rester. La cellule agressée, faisant feu de tout bois pour essayer de
recoller les bouts de son ADN, va prendre un peu d'ADN étranger et s'en
accommoder… ou pas (99% des cas). Je comprends qu'on fasse cela pour la
recherche et sans connaître tous les résultats d'une expérience. Mais il me
semble malhonnête, pour des prétextes économiques, d'en donner à manger sans
avoir pris des précautions d'usage, comme celle qui consiste à les essayer sur
des rats avant d'en nourrir les bébés. Malhonnête également de dire que les
OGM ne présentent aucun risque alors qu'aux Etats-Unis par exemple, on n'a fait
aucune étude pour savoir qui mange quels OGM et depuis combien de temps. Mais
il y a un énorme intérêt économique derrière : mettre un gène artificiel
dans une plante permet d'obtenir des brevets sur la plante et donc, de la posséder.
En.marge. : N'est-ce pas un autre problème ?
Gilles-Eric Séralini : C'est à cause
de cet intérêt économique que l'on renonce à prendre la précaution de faire
des tests alimentaires. Comme pour un nouveau médicament, cela obligerait à
des études animales et humaines, diminuant considérablement la rentabilité.
De fait, les effets pesticides des OGM ne sont pas vraiment étudiés.
En.marge. : Arrivez-vous à
comprendre les arguments adverses ?
Gilles-Eric Séralini : Ces arguments
ne sont justifiés que pour ceux qui visent à une mainmise sur les ressources
alimentaires mondiales. Argument majeur : les OGM aident à la productivité
agricole en facilitant l'usage de certains pesticides. Pour les vendeurs de
pesticides, c'est merveilleux, mais pour le consommateur ? Autre argument : les
bienfaits potentiels. Certes, produire de l'insuline par le génie génétique
en milieu confiné offre un avantage si l'on n'a pas facilement d'insuline sûre
par ailleurs. Mais l'utilisation d'OGM agricoles ou alimentaires ne vise pas
cela, et ne prend pas en compte ses propres effets sur l'environnement et la
santé. Des plantes high-tech, bourrées de vitamines ? Pas rentables : beaucoup
de ces vitamines seraient perdues avant même la préparation de l'aliment, il
vaut mieux les incorporer à la fin. Depuis 20 ans que l'on fait des OGM, aucun
n'a apporté de propriétés réellement nouvelles aux aliments. Dernier
argument : produire des plantes résistant à la sécheresse, au gel, à l'eau
salée, etc. Les études montrent qu'il existe déjà des variétés plus adaptées
que d'autres à ces différentes conditions, et que des centaines de gènes sont
recrutés pour permettre à ces caractères de s'exprimer. Or le génie génétique
ne sait pas maîtriser, aujourd'hui, plus d'un ou deux gènes à la fois. On est
donc plus dans la publicité et le rêve que dans la physiologie. On parle de ce
qui se fait en serre, en labo ou même seulement sur le papier, et qui n'a
aucune réalité agronomique, alors qu'on ne parle pas des plantes à
pesticides… Voilà pourquoi j'accepte de parler en public, j'écris des livres
: mon engagement est celui d'un enseignant. Je souhaite que la population soit
informée.
En.marge. : En parlant de
modestie, c'est également aux chercheurs que vous vous adressez ?
Gilles-Eric Séralini : Il est temps
que la biologie s'ouvre à la complexité et accède à la maturité. Elle doit
devenir une "éco-biologie". Car nous découvrons un véritable écosystème,
une "écogénétique" où les gènes se remanient les uns les autres,
où de nouvelles espèces peuvent apparaître quand certains fragments génétiques
se déplacent très vite dans le génome. Nous n'en sommes qu'au premier degré
dans la connaissance d'un monde superbe de réseaux, de gènes actifs tirés
ensemble, de gènes recroquevillés sous des carapaces et ne fonctionnant pas,
de gènes sauteurs, d'interactions et de corrélations entre les gènes, d'ADN
"poubelle" qui ne l'est pas du tout. Il y a un ordre, et surtout une
lecture des gènes qui n'est pas directement inscrite dans le code génétique
primitif, cette suite de base que tout le monde connaît. Les gènes sont habillés
d'une certaine manière, portent des drapeaux disant ici "lisez-moi",
ici "ne me lisez pas facilement", ici "je veux collaborer avec
untel", des morceaux de gènes se correspondent et s'attirent les uns les
autres dans l'espace, en boucles interactives. Il faut au moins une centaine de
gènes pour en ouvrir un nouveau ! On découvre un monde vivant, en permanente
reconstitution. L'éco-biologie, c'est l'étude de ce monde, et notamment de
l'effet de l'environnement sur les gènes et sur leur fonctionnement en réseaux;
pour mieux comprendre l'effet des polluants, en particulier des pesticides.
C'est aussi étudier l'effet des gènes artificiels sur l'environnement et sur
la santé. En bref, c'est mieux prendre conscience des problèmes posés par le
génie génétique.
En.marge : Comme la physique en
son temps, la biologie doit s'ouvrir à la pensée de la complexité ?
Gilles-Eric Séralini
: Oui.
Une petite cause peut avoir de grandes conséquences : on peut, en
intervertissant deux petits gènes, avoir l'abdomen à la place du thorax et
vice versa chez une mouche. Ou encore, un train peut en cacher un autre : un gène
aura différents effets selon son niveau d'expression – car les gènes
"s'expriment", un peu comme des chanteuses, en participant plus ou
moins activement à la synthèse des protéines. Ainsi, un même gène peut
produire différemment selon les circonstances, l'environnement, le réseau de gènes
au sein duquel il fonctionne. Il peut même avoir des rôles opposés. Je
travaille sur un gène qui synthétise les hormones sexuelles : s'il
"s'exprime" un peu, ça provoque l'ovulation, beaucoup, ça la bloque,
créant l'effet pilule. Ou cela favorise le cancer du sein. On descend au cœur
du vivant et on rejoint l'universel, l'infiniment petit rejoint l'infiniment
grand, c'est une toute jeune science. Et l'on croit la maîtriser ? En
caricaturant la réalité avec "un gène, une fonction" ? Au moment où
la génétique essaye d'influer sur le devenir de l'homme et de tous les êtres
vivants, nous découvrons l'aspect réducteur de certains de ses raisonnements
actuels et ses travers, alors qu'elle a de merveilleux potentiels. L'écobiologie
à laquelle j'aspire doit cultiver l'éthique. Avec l'Institut européen d'Ecologie
et le CRII-GEN, nous proposons un "serment d'éthique" – comparable
à celui d'Hippocrate prêté par les médecins – pour tout jeune chercheur en
sciences de la vie, qui l'engage à se questionner sur le sens et les objectifs
de ses recherches, et à respecter la biodiversité. Peut-être faudrait-il
aussi un conseil de l'ordre pour les scientifiques ?
A lire :
CRII-GEN, 40 rue de Monceau, 75008 Paris, CRII-Gen