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DORMIR DANS LA NATURE
entretien avec FRANCOIS TERRASSON
Q: Comment l'idée de faire dormir des gens
dehors est-elle venue à un chercheur du très sérieux Muséum d'Histoire
Naturelle ?
François Terrasson: Ma tâche est la
conservation de la nature, et plus spécialement l'introduction des notions d'écologie
dans l'agriculture moderne. En accomplissant ce travail dans le monde entier, je
me suis aperçu qu'il ne suffisait pas de se promener avec des graphiques pour
sensibiliser l'opinion aux problèmes d'environnement. Car la réaction était
avant tout émotive et dépendait essentiellement d'un jugement général porté
sur la nature.
Q: De quel ordre était ce jugement ?
F T: On n'en savait rien. J'avais beau fouiller
la littérature, je ne trouvais aucune enquête expliquant comment les images
mentales de la nature s'organisent dans la tête de nos contemporains. C'est
alors qu'une amie m'a donné l'idée d'une expérience qui permettrait d'y voir
plus clair. Elle avait remarqué que les gens poussaient des cris d'effroi
chaque fois que je parlais dans mes conférences de mes nuits de jeunesse passées
en pleine nature. Elle me suggéra de proposer cette aventure à d'autres
personnes et d'analyser leurs réactions. Nous avons commencé avec une dizaine
d'individus dans le domaine de Chambord. Les stagiaires devaient se retrouver
seuls dans la nuit, sans lumière et sans tente, car une tente est encore comme
une maison qui nous protége.
Q: Quel fut le résultat?
F T: Le domaine de Chambord étant clos de
murs, il n'y avait aucun danger. Pourtant cette première expérience fut une révélation
: personne n'avait dormi, tout le monde avait eu peur. Par la suite nous sommes
allés dans le Vercors, les Ardennes, les Pyrénées et j'ai dû admettre qu'une
faible dose de nature sauvage est insupportable à la plupart de nos
contemporains.
Q: Que vous racontent donc les stagiaires au
petit matin?
FT: Les récits sont révélateurs du
fonctionnement de chacun. On trouve une diversité incroyable à travers une
unité de base. Les gens ont plein d'idées qui leur passent par la tête à
propos de la nature et d'eux-mêmes, mais leurs fantasmes et leurs peurs
s'articulent toujours autour de la mort et de la sexualité. Au moindre bruit,
ils imaginent des animaux prêts à les dévorer, des monstres décidés à leur
faire subir des sévices inommables !
Q: Il existe bien des êtres qui ignorent ces
peurs ?.
F T: Oui, dans 1% des cas, qui ne concernent
pas toujours des gens élevés à la campagne. Ce premier contact avec le monde
sauvage est d'ailleurs souvent pour eux une véritable découverte. On a
l'impression que leur organisme est programmé pour considérer la nature comme
un temple. Leur émotion tient du religieux ou du chamanique. Ils semblent posséder
de naissance ce que j'appelle un animisme positif spontané, qui les conduit à
se sentir à l'aise dans une nature dont ils se considèrent membres sans jamais
y penser. Un sentiment qu'on aimerait voir partager par beaucoup plus
d'individus !
La peur de la nature, François
Terrasson Edition le sang de la terre.
La civilisation anti-nature, Brigitte de
Zellicor, Edition du Rocher.
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