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Tout aussi passionné que Jean Staune par la révolutions scientifique en cours, Jean-Paul Baquiast, dans son livre-plaidoyer "Pour un Principe Matérialiste Fort", en tire la conclusion exactement inverse : les nouvelles découvertes permettent plus que jamais d’affirmer le matérialisme, certes revisité. Une urgence car, pour cet ancien haut-fonctionnaire spécialiste des technologies de l’information, les tentatives d’explication spiritualiste du monde nous ramènent tout droit à l’obscurantisme religieux et à l’intégrisme.

En.marge : Votre titre est-il un pied de nez aux défenseurs du principe anthropique fort, pour qui les constantes de l’univers sont si finement réglées pour permettre notre apparition qu’elles résultent forcément d’une intention au départ, voire d’une volonté divine ?
Jean-Paul Baquiast : Pas vraiment, car les termes faible et fort sont couramment utilisés aujourd’hui en science. Mais le principe anthropique est un bon exemple des raisons qui me conduisent à défendre le matérialisme scientifique. Dans sa version faible, ce principe est une évidence, et même une tautologie : bien sûr que l’univers est cohérent, permet la vie et la conscience, puisque nous sommes là pour le dire ! Et alors ? D’abord, rien ne prouve que nous soyons seuls – notre connaissance de l’univers est encore très partielle – et surtout, rien n’indique que ce soit le fruit d’une intention, comme le voudrait le principe anthropique fort en tentant de réinsérer la parole divine dans le discours scientifique. Comme disent les statisticiens, gagner à la loterie n’est pas prévisible au départ, les probabilités sont infimes, mais si je gagne, j’ai gagné. L’improbabilité de notre existence ne prouve pas une intention, elle montre que nous avons gagné, c’est tout.
Mais il y a mieux encore : les constantes qui servent d’indices au raisonnement anthropique ne sont pas si constantes que cela ! Elles sont plutôt les reflets, à un moment donné, de notre connaissance. Les défenseurs de la « gravité modifiée », par exemple, font l’hypothèse que la force de gravité ne s’exerce pas de la même façon selon l’échelle. De même, la vitesse de la lumière est une limite dans le modèle einsteinien, mais que devient-elle dans le monde quantique ? Comme la célèbre constante de Planck pour l’infiniment petit, la gravitation ou la vitesse de la lumière sont des constantes temporaires, des paramètres de description d’un univers aux limites, qui peuvent changer si l’on découvre d’autres instruments pour appréhender ces limites. Et c’est là tout le problème : si vous faites intervenir la volonté divine, plus besoin de chercher… ce qui signifie la mort de la science et de l’esprit critique. Car derrière cette démarche, comme le montrent le retour du créationnisme et les théories du Dessein Intelligent, il y a la volonté d’imposer une parole présentée comme absolue car divine, et donc supprimer la liberté de pensée, la laïcité, l’égalité homme-femme, bref tout notre héritage européen des Lumières, pour le plus grand bien d’intérêts idéologiques, politiques et économiques.

EN.MARGE : Ne peut-on pas, sans adhérer à ces théories extrêmes, relever certains faits qui s’opposent au matérialisme ? Que pensez-vous, par exemple, de la remise en question du darwinisme ?
J.-P. B. : Evidemment, la critique du darwinisme est possible. Mais elle n’aura rien de scientifique si elle se contente d’invoquer, comme réponse aux questions qui se posent, une intention ou des formes présentes dès l’origine. Les nouvelles recherches montrent que l’évolution est bien plus compliquée que ne le pensait le darwinisme classique. Le génome, par exemple, peut évoluer autrement que sous l’effet de mutations purement aléatoires. Ainsi des observations de plus en plus nombreuses montrent que la barrière germinale réputée étanche protégeant l'intégrité de la partie codante du génome peut être franchie par divers facteurs extérieurs (rétrovirus, radiation…), résultant de l'activité de l'organisme dans son milieu. Il en résulte que le génome est modifié de la même façon que s'il avait subi une mutation aléatoire ne tenant pas compte du milieu. On peut parler d’auto-évolution ou de co-évolution associant l’organisme et son milieu, sa niche. Certains expliquent ainsi le développement du cerveau. A partir de signes symboliques et de cris, les préhumains ont pu échanger des données que leur cerveau, par mutation dirigée, a été entraîné à traiter. Il s’est donc développé. L’important est de voir que, dans une perspective plus générale, organisme et milieu constituent un super organisme – un concept nouveau en science, qui permet d’appréhender la complexité.

EN.MARGE : Mais le théorème de Gödel ou la mécanique quantique ont bien poussé de nombreux scientifiques à dire que la réalité nous échappe et, ontologiquement, nous échappera toujours. Est-il interdit de penser que derrière, il puisse y avoir une conscience ?
J.-P. B. : Je ne dis pas qu’il faille l’interdire. Mais vous ne pouvez pas dire que cette conscience soit humaine, anthropomorphe ou divine. Si, quand on parle de « réel voilé », on veut dire « Dieu », on stérilise immédiatement la recherche. Le physicien quantique, en principe, ne fait pas cela, il sait qu’il ne voit pas le réel, car il n’y a pas de « réel en soi ». Le monde quantique n’est pas un monde newtonien d’objets en trois dimensions dont on peut faire le tour, c’est un monde de micro-états qui restent indéterminés tant qu’ils n’ont pas été qualifiés grâce à des instruments. Le physicien quantique ne sait pas ce qu’est un photon en soi : il voit un micro état quantique qui se manifeste d’une certaine façon sur son instrument – et qu’il interprète par sa conscience, d’où l’interaction entre conscience, instrument et monde observé. Mais il n’a pas accès au photon en soi. 

EN.MARGE : Ne croyez-vous pas que le matérialisme, en désenchantant le monde, en bannissant la quête de sens, fait précisément le jeu des intégrismes ?
J.-P. B. : Le matérialisme ne désenchante pas le monde, il refuse d’aller chercher de vieux enchantements et en propose au contraire un autre : la recherche. De même, aucun matérialiste sérieux ne prétend que le monde n’aurait pas de sens. Mais quel sens ? Est-ce un sens qui existait avant, que le scientifique progressivement découvre et révèle aux autres, comme un prêtre ; ou est-ce un sens qui se construit spontanément, par l’évolution du monde ou par l’évolution des humains au sein du monde? Autrement dit, est-ce que le sens du monde a déjà été défini, ou bien est-ce que le monde acquiert tous les jours un sens qui se construit,  notamment par l’action des scientifiques. ? Cette notion de construction est fondamentale pour le matérialisme fort que je défends.
Prenez la robotique qui sera, je pense, la plus grande révolution de notre siècle. Face à un robot prédateur programmé pour attaquer les autres, les robots dits « évolutionnaires » sont aujourd’hui capables de construire, en utilisant leurs systèmes de reconnaissance des formes, un langage pour communiquer entre eux et se prévenir de son arrivée. Comme des insectes sociaux, ils inventent des comportements pour se protéger du robot prédateur : l’éviter, se grouper pour l’empêcher de passer, etc. Ce faisant, ils inventent une culture, ils créent un sens : survivre contre un prédateur, tout comme les animaux. Le temps viendra où un robot aura la capacité de reconnaître les signaux émis par l’expression d’un visage, de naviguer dans le langage et de prêter des intentions aux autres en fonction de leurs réactions (disons, comme un enfant de 8 ans), ce qui lui permettra d’adapter son comportement. Il y aura des interactions, et robots et humains s’élèveront  à un niveau supérieur de conscience. L’enchantement n’est-il pas là, plutôt que dans un monde déjà tout programmé par un dieu ?

 

 

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