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Prendre soin de la Terre, mais pourquoi ?
Pourquoi sommes-nous si inquiets, face au climat qui change, aux espèces qui disparaissent, à la pollution de l’air, des sols et des eaux ? Hier encore, nous rêvions de nous libérer le plus possible de la nature, et la promesse du progrès méritait bien quelques dommages collatéraux. Ne pourrions-nous pas continuer dans la même direction ? La science n’a pas dit son dernier mot : villes bulles, eau reconstituée, cultures hors-sol, tout existe déjà, et plus de la moitié de l’humanité vit en ville. Mais ce projet ne soulève plus l’enthousiasme. Inconsciemment, subtilement, une voix nous souffle que la nature va nous manquer, et pas seulement physiquement. Bien sûr, nous voudrions respirer un air pur et nous nourrir d’aliments sains, puisque notre organisme s’en porte mieux. Pourtant ces arguments, bien que fondamentaux, ne suffisent pas à expliquer notre malaise – derrière lui se cache un autre besoin. Un besoin psychique, voire spirituel, comme nous le suggère l’émotion ressentie devant un coucher de soleil ou un beau paysage…

Soigner la Terre pour se soigner

Parmi les multiples raisons qui nous poussent à nous soucier de l’état de la planète, peut-être oublions-nous l’essentielle : la Terre ne fait pas que nourrir notre corps, elle est aussi indispensable au bien être de notre esprit.

 

L’amour du vivant
Des liens affectifs complexes nous relient en effet à la nature, et selon le  biologiste américain Edward Wilson, curateur du musée d’histoire naturelle de l’université Harvard et lauréat du prix Pullitzer, le premier d’entre eux est l’affection. Une affection qui nous dépasse car elle vient, dit-il, de notre « biophilie, capacité innée à se focaliser sur la vie et sur les processus vivants. »(*) Nous aimons la nature parce qu’elle symbolise la vie et que nous penchons pour la vie. « A un degré encore sous-évalué par la philosophie et la religion, ajoute Edward Wilson, notre existence dépend de cette tendance, notre esprit en est tissé, c’est un courant qui nous entraîne vers l’espoir. » Ecrivains et artistes en avaient eu l’intuition. Le poète latin Horace, repris plus tard par La Fontaine, opposait ainsi le rat des villes, opulent mais inquiet, au rat des champs à la vie simple mais tranquille – et finalement plus heureux. Quant à l’écrivain américain Henry Thoreau, précurseur de la décroissance dès 1850, il s’isolait pendant des mois dans une cabane au fond des bois dont il revenait en s’écriant : « Allons, nature est un autre mot pour santé ! » (*) A en juger par le succès du tourisme vert, du jardinage ou des résidences secondaires, nous sommes de plus en plus nombreux à nous en rendre compte, rêvant d’un coin de verdure, de randonnées, de lieux sauvages… La nature nous fait du bien au moral, et d’innombrables recherches le confirment.

La nature, agent anti-stress
Dès 1972, une étude menée pendant dix ans par l’administration américaine des forêts montrait que passer une ou deux semaines en pleine nature augmentait le sentiment de confiance, le calme intérieur et la capacité à penser clairement. (**) Même un contact beaucoup plus indirect apporte des bénéfices : avoir une vue donnant sur des arbres plutôt que sur des bâtiments ou une cour améliore la vie en prison (les internés sont moins souvent malades ou dépressifs) (1), à l’hôpital (on se remet mieux d’une opération) (2), ou au bureau (les employés sont en meilleure santé, ressentent moins de frustration et davantage d’enthousiasme pour leur travail). (3) A l’école, les effets sont encore plus nets : à catégories socioculturelles égales, les élèves ont des jeux plus créatifs et imaginatifs s’ils disposent d’une cour de récréation boisée. (4) Quant aux relations entre voisins, elles sont meilleures quand leurs maisons sont séparées par des haies naturelles, et la vie est plus calme dans les quartiers bénéficiant d’espaces verts, lieux de rencontres informelles où la convivialité peut s’exprimer plus librement. (5)
Non seulement la verdure fait du bien à notre psychisme, mais de plus, elle le soigne. Une étude récente menée à l’université d’Essex (Grande-Bretagne) montre qu’une promenade régulière est plus efficace contre la dépression quand elle a lieu dans un parc ou à la campagne, et qu’à l’inverse, marcher dans la rue (en passant dans un centre commercial) augmente le stress et les idées noires. (6)
Pour expliquer le bien être moral que nous apporte ce contact, Rachel et Stephen Kaplan, professeurs de psychologie environnementale à l’université du Michigan (Etats-Unis), avancent une explication : la nature restaure notre attention. Par ses nombreuses stimulations sensorielles, la ville sollicite notre système nerveux davantage que la campagne, et d’une tout autre façon. Vitrines, enseignes, spectacle de la rue et circulation nous invitent sans cesse à diriger notre attention vers de nouveaux objets, déclenchant une multitude de discours intérieurs disparates. Cette activation permanente de l’attention provoque une fatigue mentale qui rend impulsif, distrait et irritable, estiment les Kaplan. S’appuyant sur les nombreuses études menées depuis trente ans, ils pensent que seule la nature peut y remédier : « Offrant un environnement à fort pouvoir de fascination, elle favorise une attention apaisée », écrivent-ils. (**) Dans cet état, focalisation sur soi-même et disponibilité envers l’extérieur s’équilibrent, le cerveau « récupère ». Résultat, les performances intellectuelles s’améliorent. Profiter d’une pause entre deux examens pour marcher dans un parc permet de mieux réussir le second test que marcher dans la rue, a ainsi montré une étude de l’université d’Uppsala (Suède). (7) .

Immersion thérapeutique
C’est donc un fait : la nature nous apaise, calme le stress, le grand mal de notre époque, à l’origine d’une large part de nos pathologies (70% selon le docteur Thierry Janssen). Les pouvoirs curateurs du jardinage, à la fois proche de la gymnastique et de la méditation, sont aujourd’hui mis en avant par les défenseurs de la médecine corps-esprit (ou psycho-neuro-immunologie). Mais comment faire sans jardin, comment renouer le lien quand la vie moderne semble l’avoir définitivement rompu ? C’est la question que tente de résoudre l’écopsychologie (voir encadré), qui conseille notamment de s’immerger pendant quelques jours au grand air. « Mais pas n’importe comment, explique la psychanalyste Marie Romanens, l’une des rares thérapeutes à pratiquer cette approche en France. (****) Il ne s’agit pas d’accomplir un exploit sportif, mais de faire s’exprimer le corps vivant, éprouvant, ressentant, l’image du corps dont parlait Françoise Dolto. » Entre diaporama montrant l’étendue des dégâts, exercices destinés à se relier au corps et doses massive de nature, chacun est invité à parler de son rapport avec elle et de son expérience, à identifier ses émotions et sentiments. Affection, peur, souffrance, émerveillement, tout ce qu’évoque la nature est passé au crible. « Cette démarche s’appuie sur la théorie du neurologue américain Antonio Damasio, poursuit Marie Romanens : nos prises de conscience se font, à partir de nos sensations, quand nous faisons l’effort de mettre en mots les émotions et sentiments que ces sensations provoquent. Il faut donc passer par le corps, pour ressentir notre interdépendance fondamentale avec la nature et l’intégrer dans toutes nos pensées – sans plantes nous ne pourrions pas respirer. La conscience de cette interdépendance change notre rapport au monde et donne envie d’agir dans le respect de la planète, sans se forcer, même en ville. Prendre soin de la Terre prend alors tout son sens : c’est une part de nous-mêmes que nous soignons »

Action à distance
Mais les stages d’apprentissage ne sont pas indispensables pour s’engager dans cette voie. La douleur, la tristesse, le dégoût ou la honte que provoquent les informations alarmistes sur l’état de la planète suffisent parfois à réveiller cette « biophilie » qui nous porte à lui vouloir du bien. « Le message passe cette fois davantage par la raison, le sens moral, l’idée qu’il serait criminel de laisser une planète aussi mal en point à nos enfants », précise Josette Halegoi, psycho-sociologue auteure de plusieurs enquêtes sur la conscience écologique. La nature vient alors en aide à ceux qui s’engagent, en supprimant une autre souffrance des temps modernes : la perte de sens. « En participant au combat pour sauver la planète, même par de petits gestes, on retrouve en même temps le respect de la vie et l’estime de soi, défend Anne de Béthencourt, hier responsable commerciale dans une agence de pub et aujourd’hui cadre de la fondation Nicolas Hulot. Agir pour la préservation de la nature et l’avenir de l’humanité m’a apporté la satisfaction de ‘’faire quelque chose’’, et un travail qui a du sens renforce le bien être. Cela m’a poussée à sortir des limites que je m’étais fixées, à développer ma sensibilité et ma créativité – j’étais très « intello », j’essaie de l’être moins. Certes, l’estime que la plupart des gens portent à mon action renforce mon ego, mais devant l’ampleur et l’urgence de la tâche, on est vite ramené à l’humilité ! » Confiance en soi et humilité, calme, paix et beauté… la nature, décidément, est un vrai livre de sagesse. Perdre l’une serait perdre l’autre : «  Fatal error ! » disent les jeux vidéo.

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L’écopsychologie ou la psy aux champs
« Considérer les besoins de la planète et ceux de la personne humaine comme un tout, et contribuer à nous reconnecter à la vérité de notre communion avec le reste de la création. » Telles sont les ambitions de l’écopsychologie, fondée en 1992 par l’historien et romancier américain Theodore Roszak, professeur à l’université de Californie. Vaste programme, que ce courant de pensée en plein essor Outre-Atlantique attaque sous plusieurs angles : identifier les processus qui nous conduisent à nous éloigner de la nature, évaluer les données sur ses bienfaits, inviter chacun à tester son rapport avec elle pour savoir s’il est « biophile », traiter les effets psychologiques de sa dégradation...
« Ce mouvement se situe dans la logique de l’évolution de la psychologie, estime Jean-Pierre Le Danff, juriste de l’environnement également diplômé en gestalt-thérapie. Après s’être concentrée sur l’individu et son inconscient, puis sur ses relations affectives et sociales, la psychologie élargit encore le champ pour s’intéresser à la relation avec l’environnement. Un écopsychologue ne cherchera pas seulement les causes d’une dépression dans l’histoire personnelle du patient ou dans ses relations avec son conjoint. Il le questionnera aussi sur son lieu d’habitation, ses modes de transport, son environnement, son rapport à la nature… »
La nature. Pour l’écopsychologie, tout est là : si nous la détruisons, c’est que nous en avons peur, une peur atavique mise en évidence par François Terrasson, pionnier français de cette discipline. A cette crainte primitive s’ajoute la peur de notre côté sauvage, de cette « part d’ombre » dont parlait Jung, de la nature en nous. Résultat, selon les écopsys : autrefois dépendants comme des enfants d’une Terre Mère toute puissante et divinisée, nous avons cherché comme des adolescents le salut dans la contre-dépendance, l’opposition, la maîtrise technique qui nous rendait tout puissants à notre tour. Il est temps désormais de devenir adultes, de mesurer notre force et de comprendre que c’est une interdépendance qui nous relie à notre vaisseau. Nous ne pouvons le détruire sans périr. « La crise écologique est une crise de l’esprit », dit l’environnementaliste David Orr, professeur dans plusieurs universités américaines.    

 

IDEES CLES

- Nous sommes animés d’un amour inné du vivant, la « biophilie », qui explique notre affection pour les plantes et les animaux.

- Anti-stress, le spectacle de la nature équilibre le cerveau.

- S’immerger dans la nature peut s’avérer thérapeutique.

- Prendre soin de la planète donne du sens à la vie et restaure l’estime de soi.

NOTES
(*) Le terme ‘biophilie’ fut inventé par le psychanalyste américain Erich Fromm pour designer l’attraction pour ce qui est vivant et vital.
(*) Dans Biophilia (Harvard University Press, 1986). Dernier ouvrage paru en français : Sauvons la biodiversité (Dunod, 2007).
(**) The experience of nature : a psychological perspective, Rachel & Stephen Kaplan (Cambridge University Press, 1989)
(***) Stages “changer de vision”, tél : XXXXXXX

REFERENCES
(1) Moore, E. O. (1982). A prison environment's effect on health care
service demands. Journal of  Environmental Systems,11,17-34.
(2) Ulrich, R.S. (1984). View through a window may influence recovery from
surgery. Science, 224,420-421.
(3) The role of nature in the context of the workplace, Rachel Kaplan (Landscape  & Urban Planning, 26, pp. 193-201, 1993).
(4) Moore, R.C. (1989). Plants as play props. Children's Environments Quarterly, 6, (1),3-6.(
(4) When children play, Frost & Sunderlein, Proceedings of the
International Conference on Play and Play Environments (1985).
(5) Where does community grow ? Public spaces and community in urban housing, Kuo & Sullivan, Symposium presented at the fifth biennial Conference on Community Research and Action, Chicago, IL. (1995)
(6) The mental health benefits of green exercise activities and green care, Peacok, Hine & Pretty, Mind week report (2007)

A LIRE
Ecopsychologie pratique et rituels pour la Terre, de Joanna Macy et Molly Young Borwn, est une introduction théorique et pratique à la réconciliation prônée par l’écopsychologie  (Le souffle d’or, 2008).
La peur de la nature, de François Terrasson, explore les ressorts inconscients qui nous ont conduits à détruire la nature (Sang de la Terre, 2007).

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