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LA LEÇON DES GRANDS SINGES

Entretien avec Thomas Johnson, réalisateur du film LA LEÇON DES GRANDS SINGES, diffusé dans l'émission "envoyé spécial" sur Antenne 2 début décembre 1998.
Q. : Pourquoi avez-vous fait ce film sur les grands singes?
Thomas Johnson : Comme souvent, tout a commencé par une aventure personnelle. A l'occasion du tournage d'un petit film sur la séduction chez les animaux, j'ai "rencontré" un grand singe. J'étais resté un soir avec un gardien qui surveillait un accouchement dans un parc zoologique de Belgique, où vit une communauté de bonobos. Soudain l'un d'eux s'est approché de la vitre derrière laquelle je les contemplais. Il s'est planté face à moi et m'a regardé droit dans les yeux, m'a fait oui de la tête, puis d'autres signes et mimiques. Intrigué, je l'ai imité. Un dialogue muet s'est établi, suffisamment réel pour que je reste là un certain temps, sans vraiment avoir conscience d'être en train de "parler". Nous échangions des gestes, des expressions du visage, des regards surtout. Très vite, j'ai découvert qu'un grand singe a le même regard que nous. Comme dans les yeux d'un enfant, on lit toutes ses émotions, on a l'impression de comprendre ce qu'il pense, ce qu'il veut dire, et sans s'en rendre compte sur le moment, on établit une relation. C'est un échange trans-espèce, mais très vite la différence disparaît et la familiarité devient au contraire évidente, on se reconnaît l'un l'autre. Plus tard, tous les primatologues allaient m'expliquer leur passion par cette rencontre des regards. qui les avait fait plonger, à un moment où un autre, dans un passé remontant à la nuit des temps. L'Américain Franz Dewall appelle "liens vivants" ce contact avec des êtres qui portent en eux la clé du mystère de nos origines.
            Ce soir-là, après mon départ, j'ai seulement pris conscience que je venais de rencontrer quelqu'un. Bien sûr, c'était un bonobo, derrière une vitre, dans une cage. Mais j'avais rencontré une conscience, une personne, et même si je ne saisissais pas exactement ce qu'il m'avait dit, je savais que je devais faire un film sur les grands singes. Et que j'allais le faire.
Q.: Pourquoi était-ce soudain si important ?
T.J.: J'avais cru jusque là, comme beaucoup de gens, que les grands singes étaient simplement des animaux. Plusieurs raisons expliquent cette croyance. Elle trouve sa source dans l'idée que l'humain s'est, ou a été, coupé d'origines animales. Nous serions radicalement différents. Mais elle s'explique aussi par la lenteur avec laquelle nous avons intégré, surtout en France, les résultats des observations scientifiques menées depuis les années soixante auprès de grands singes en liberté. Or celles-ci conduisent à une révision totale du regard que nous portions sur eux, et sur nous.
Q.: Qu'est-ce qui a fait changer ce regard ?
T.J.: Au départ, les travaux de trois femmes, que l'on a appelées les "anges de Leakey" du nom de leur mentor, l'anthropologue *prénom?* Leakey. Dian Fossey, la plus connue, a été tuée en 1985 par des braconniers alors qu'elle travaillait sur les gorilles des montagnes au Rwanda. Jane Goodall, à 62 ans, vit entre la Tanzanie où elle étudie les chimpanzés, et l'Angleterre et l'Amérique où elle enseigne et donne des conférences. Birute Galdikas travaille avec les orang-outangs d'Indonésie et de Bornéo, qu'elle tente aussi de sauver.
            Leur maître, Louis Leakey, est l'homme qui a découvert les restes de notre plus vieil ancêtre, plus ancien que Lucy ou l'australopithèque. Il l'appela le proconsul. On pense aujourd'hui, grâce à Leakey, que l'animal dont l'humain est issu s'est divisé voici environ vingt millions d'années, donnant d'un côté les anthropoïdes et de l'autre les singes. La branche anthropoïde se sépara ensuite, pour faire apparaître l'orang outan (quinze millions d'années), puis le gorille, le chimpanzé et le bonobo (entre huit et six millions d'années), et enfin l'hominidé (quatre millions). Nous ne descendons donc pas du singe mais d'un ancêtre commun. Leakey estimait que, pour comprendre comment vivait ce lointain aïeul dont on connaît à peu près la morphologie, la posture et l'alimentation, il fallait étudier les grands singes encore vivants, qui sont aussi issus de lui. A l'époque, on les connaissait mal. Avant Jane Goodall, par exemple, l'observation la plus longue de chimpanzés en liberté avait seulement duré un mois et demi, le temps de constater les difficultés d'une approche animalière classique. Lorsque ces femmes vinrent, l'une après l'autre, travailler avec Leakey, il les forma puis les envoya sur le terrain en prédisant qu'elles mettraient dix ans pour observer leur premier grand singe. Ce fut plus rapide, mais elles durent faire preuve d'une patience extrême avant d'établir les premiers contacts, au bout de longs mois de recherche et de parties de cache-cache.
Q.: Comment ont-elles procédé ?
T.J.: Un premier fait majeur rend l'approche plus facile pour les femmes : à la différence des hommes, elles ne suscitent pas l'hostilité des mâles. Ce qui prouve déjà que ceux-ci font la distinction dès le premier coup d'oeil ! D'autre part, les femmes ont des méthodes bien àelles. Elles cherchent moins à imposer leur volonté ou leur présence, acceptent plus facilement de se retirer si la situation n'est pas favorable. Plus patientes, plus symbiotiques, habituées à commander d'une voix douce plutôt qu'autoritaire, elles sont aussi meilleures que les hommes pour décoder le sens des messages non verbaux. Peu à peu, les trois pionnières ont réussi à s'immiscer au sein des groupes pour noter scrupuleusement leurs activités et leurs comportements, les distances entre sujets, leurs réactions aux événements. Au bout de quelques années, elles disposaient de résultats suffisants pour revenir secouer la communauté scientifique, en lui parlant d'émotion, d'intelligence, de personnalité, à propos d'animaux que l'on croyait être des brutes !
Q. : On les a accusées d'anthropomorphisme ?
T.J. : Jane Goodall fut critiquée pour sa décision d'attribuer des noms aux chimpanzés, au lieu de numéros comme le voulait alors la pratique. Elle répliqua que cela lui permettait de définir de façon plus chaleureuse et plus exacte les différentes personnalités qu'elle rencontrait. De plus, donner aux membres d'une même famille des noms commençant par la même lettre permettait d'indiquer immédiatement les appartenances familiales, si importantes dans la communauté. Bousculant la règle scientifique de séparation maximale entre observateur et objet observé, ces femmes vivaient au contact des grands singes, entraient en relation avec eux, essayaient de comprendre leurs émotions et l'expression qu'ils en donnaient. Heureusement, l'empathie pour les êtres qu'elles côtoyaient ne les a jamais empêché de noter soigneusement et scientifiquement leurs observations. Elle les a contraire facilitées. Sans ce contact, le travail eût été plus ennuyeux, donc plus limité dans le temps, et surtout moins productif, car les grands singes peuvent facilement se cacher s'ils le veulent, voire même vous snober en s'arrangeant pour vous tourner toujours le dos ! Le sérieux des recherches menées par ces trois femmes, l'ampleur et la qualité de leurs résultats ont conduit les scientifiques àadmettre qu'elles ne faisaient pas preuve d'anthropomorphisme en reconnaissant une personnalité individuelle, voire des qualités presque humaines, à des êtres que l'on nomme après tout des anthropoïdes. N'oublions pas que nous partageons 98 % de notre patrimoine génétique avec les bonobos.
Q.: On pourrait faire remarquer que cela montre simplement l'importance des 2 % qui restent et rendent les grands singes bien différents de nous. Quels sont les faits précis justifiant que nous les considérions comme de très proches cousins ?
T.J. : Un certain nombre d'éléments qui, pris isolément, peuvent alimenter la dispute, mais emportent l'adhésion quand on les prend dans leur ensemble. On touche ici la frontière entre le monde animal et l'humain, que la science a toujours essayé de définir. Longtemps, l'outil constituait la fracture. Mais Jane Goodall est revenue d'Afrique avec des observations de chimpanzés qui vont chercher des termites au fond de trous à l'aide de branches qu'ils effeuillent, dont ils aiguisent le bout, et qu'ils enfoncent délicatement par une entrée de la termitière. Ils attendent que les termites montent sur la branche, qu'ils retirent lentement avant de la lécher. Cela s'appelle un outil. Si leur branche se casse à l'intérieur du trou, les chimpanzés en retravaillent le bout et recommencent. A l'époque, on a dit à Jane Goodall qu'elle était folle, que la confection d'outils était le propre de l'homme. Aujourd'hui, ses observations ayant été confirmées, cette définition ne tient plus. La différence homme-animal est repoussée, la question reposée : qu'est-ce que l'humain ?
Q.: Un être doué de conscience ?
T.J.: Voilà un terme bien imprécis aux yeux des scientifiques, qui sont loin de l'avoir défini. La conscience de quoi ? D'exister ? Il ne fait pas de doute que les grands singes ont conscience d'exister. Ils reconnaissent leur image dans un miroir, ils savent qui ils sont, quelle est leur place dans l'environnement et celle de chacun dans la communauté. Ils repèrent immédiatement sur une photo ce qu'exprime le sourire d'un autre grand singe. Des expériences ont par ailleurs prouvé que nous faisons de même, même sans jamais avoir vu de grand singe auparavant.
Q.: Ont-ils conscience de la mort ?
T.J.: Compte tenu des difficultés de communication, il est difficile de savoir ce qu'ils pensent de leur propre mort. Mais on constate qu'ils sont tristes quand l'un d'eux meurt ou part. Le deuil dure un certain temps. J'ai assisté au départ d'une jeune femelle d'un zoo de Hollande, éloignée pour éviter les problèmes de consanguinité. Ses compagnons se sont tous rassemblés au moment du départ, puis ils sont restés prostrés pendant toute la journée, sans manger, en se consolant les uns les autres de temps en temps. On dit que les Bonobos auraient un rituel funéraire, mais cela n'a pas été confirmé. Jane Goodall rapporte par contre l'histoire d'une mère chimpanzé qui a transporté son bébé mort pendant plusieurs jours avant de l'abandonner. Elle essayait de le ranimer, l'auscultait, se lamentait de sa perte.
Q: Une empathie pour autrui que l'on cite comme source de la naissance du sens moral ?
TJ: Pour Franz Dewall, on ne peut pas parler de notions de Bien et de Mal, trop humaines. Mais il y a ce qui est acceptable pour la communauté et ce qui ne l'est pas. Un comportement qui relève de l'inacceptable est immédiatement sanctionné. On empêche le contrevenant d'agir, on le houspille, on le réprimande, on le bat, il peut même être chassé. En ce sens il y a une loi, les prémisses d'une morale. Ne sombrons pourtant pas dans l'angélisme ! Cette loi est dure, même chez les bonobos, bien connus comme premiers adeptes du slogan "make love not war" parce qu'ils résolvent généralement leurs conflits en faisant l'amour. On imaginerait à tort un paradis pour machos ! Matriarcale, la société bonobo n'est pas tendre. Elle repose sur un axiome simple : àla différence des mâles, pourtant plus forts qu'elles, les femelles savent s'unir. Quand un mâle agresse une femelle ou tente de se nourrir avant elle, toutes les autres viennent la défendre. Donc, en général, les mâles n'attaquent pas les femelles. Elles règnent, c'est-à-dire qu'elles sont détentrices de l'élément-clé de la survie de la communauté : l'accès à la nourriture. Si un mâle veut plus que ce qui lui a été donné, il peut proposer ses services de "galant homme". Les scientifiques appellent cela social sex. L'échange sexe contre nourriture donne à la relation sexuelle une autre raison que l'instinct de procréation : la recherche du plaisir. Mais ce n'est pas la seule. Quel que soit leur sexe, deux bonobos qui se sont disputés ou battus s'observent ensuite longuement à distance, attendent qu'un médiateur vienne faciliter le rapprochement, et se réconcilient finalement par une petite partie de jambes en l'air. Nous sommes là en face d'une régulation du conflit par la recherche du pardon, pas d'un oubli. C'est un autre fondement de la morale. Encore un mur qui tombe, à la frontière entre l'homme et l'animal.
Q. : Abordons-en quelques autres. Les grand singes ont-ils le sens de l'humour, ou de l'esthétique ?
T.J. : Ils ont les mêmes sourires que nous pour exprimer la séduction, la soumission, le plaisir ou l'amusement. Les mêmes rires aussi, qui vont du petit ricanement au fou-rire absolu. La primatologue Zilde Prochoff, assistante de Dewall à Atlanta, a observé des chimpanzés captifs qui avaient pris l'habitude de monter sur une caisse pour attraper la nourriture située trop en hauteur, une utilisation classique de l'outil. Parfois, quand la caisse n'était pas disponible, un chimpanzé se mettait ostensiblement à quatre pattes en imitant une boîte, et se laissait pousser jusqu'au bon endroit par un affamé. Juste au moment où ce dernier lui montait dessus, il le faisait tomber, dans un grand éclat de rire partagé. Cet exemple est moins anodin qu'il ne paraît car l'humour suppose de véritables capacités intellectuelles. Il faut prévoir le déroulement logique des événements pour pouvoir le précéder et l'inverser.
            Quant à l'art, là encore des prémisses existent, non pas d'une esthétique mais de la représentation symbolique. Les bonobos de l'ex-Zaïre marquent leur piste en cassant, dans la direction de leur pas, les branches de certains arbustes, ou en foulant l'herbe selon des dessins géométriques. Certains se mettent parfois à taper sur des troncs, selon des rythmes très construits. Comme chaque phase ne dure que 17 secondes, le temps du coït, on pense qu'il s'agit d'un succédané de masturbation.
            Les bonobos de Hollande ont imprimé, avec leurs excréments, la trace de leurs mains sur les murs à l'entrée de leur maison. Le premier chimpanzé "parleur", élevé par Sue Savage Rumbaugh dans les années ??*, reconnaît 3OO signes écrits avec lesquels il compose des phrases, selon un modèle sujet-verbe-complément qu'il a découvert par lui-même. De nombreux autres grands singes ont appris le langage des signes. On peut aborder avec eux des sujets portant sur leurs désirs ou leurs émotions, utiliser les notions de présent, passé et avenir proches ou plus lointains. Ils combinent les signes entre eux, se forgent une grammaire, inventent d'autres signes.
Q. : Transmettent-ils ce langage à leurs enfants ?
T.J. : Aucune expérience ne le prouve encore. Koko, la gorille la plus avancée qui "parle" depuis 2O ans, n'a pas d'enfant mais elle manipule sa poupée en lui faisant imiter les signes. On sait d'autre part qu'en liberté, une communauté peut détenir et transmettre à ses enfants des compétences ignorées de ses voisines (casser certaines noix, employer une feuille comme éponge pour recueillir l'eau dans le trou d'un palmier). Comme s'il existait des sortes de micro-cultures chez les grands singes.
Q. : Voilà le grand mot lâché ! Tout le débat porte donc sur la différence entre nature et culture ?
T.J. : La thèse psycho-sociologique du tabou de l'inceste comme fondement de la culture humaine ne tient pas non plus, car les gorilles et les bonobos respectent cet interdit. Un tabou apparemment appris, puisqu'un bonobo élevé par une autre mère le respectera avec sa mère adoptive, et non avec sa vraie mère, ce qui contredit l'idée de l'empreinte par l'odeur. L'étude des primates prouve qu'il n'y a ni frontière ni opposition entre nature et culture. On observe chez les grands singes la naissance de la conscience individuelle et collective, donc d'une certaine culture. Le pouvoir chez les chimpanzés, par exemple, n'est pas héréditaire, mais un chef apprend souvent à son fils comment y accéder et s'y maintenir. La culture naît de la nature.
Q. : Il y a pourtant bien une différence entre homme et grand singe ?
T.J. : L'homme fait beaucoup de choses que le grand singe ne peut pas faire. La différence est plus quantitative que qualitative. *attention Thomas : ailleurs ds l'inteview tu suggères le contraire*. Birute Galdikas dit très clairement qu'il faut considérer d'un côté l'homme et les grands singes, et de l'autre les singes et les animaux. On peut discuter sur la nature exacte de la frontière, il ne fait pas de doute qu'elle est là, et non entre l'homme et le reste.
            Tout ceci peut sembler anecdotique, mais la primatologie a provoqué ces dernières années ce que les Anglo-saxons appellent la "seconde révolution darwinienne", tant elle bouleverse l'idée d'évolution. Darwin avait établi le fait que l'homme est le fruit d'une évolution, faite de mutations et de sélection naturelle. La révolution actuelle remet moins en question ces principes que le hasard et la loi du plus fort qui sont supposés les gouverner. Au hasard de la mutation, elle oppose l'idée d'un processus, qui a commencé depuis la nuit des temps et se manifeste sous la forme d'un continuum, toujours dans la même direction. Depuis notre lointain ancêtre commun, la tendance est au redressement, qui a d'abord libéré la main. Les grands singes s'en approchent mais même les adroits bonobos n'ont pas vraiment acquis notre station debout. Il leur manque un léger basculement du bassin qui redresserait leur colonne vertébrale. Par un concours de circonstances diverses, l'humain a réussi. Il a aussi redressé sa tête et étiré son cou, dégageant l'appareil phonatoire qui a permis d'autres conquêtes. Cette poussée vers la verticalisation s'accompagne d'une augmentation des facultés cérébrales et de la conscience. Dans ce sens, on peut dire que la conscience est le but de l'évolution. Il n'y a pas de chaînon manquant. La seule différence, c'est que nous sommes conscients du processus.
            Le problème de la sélection naturelle est plus ambigu, car la "survie du plus adapté" dont parle la théorie darwinienne a été assimilée à la loi du plus fort. Ce point de vue, très incomplet pour les grands singes, témoigne des présupposés masculins sur la lutte pour la domination entre mâles. L'examen de la journée d'un grand singe et celui de sa vie ne corroborrent pas cette thèse. Il existe en fait toute une gamme de comportements et de stratégies qui n'appartiennent pas au modèle du mâle dirigeant par la force toute sa communauté.
            Les grands singes sont capables d'entraide, de don actif, d'actes allant à l'encontre de la loi de sélection naturelle. Ils sont tendres, ils s'épouillent, se massent, se caressent, s'embrassent et leurs effusions ont un sens. Ils tombent réellement dans les bras l'un de l'autre avec des cris de joie sans ambiguïté. L'aide aux plus faibles prend diverses formes. On va mâcher la nourriture d'un vieil édenté ou nourrir un singe ayant perdu l'usage de ses mains, ou encore, une femelle infirme ne sera pas chassée du camp comme le sont les autres à leur arrivée à la maturité sexuelle.
            La découverte de nourriture provoque beaucoup d'excitation, des prises de bec ou même des agressions, mais on s'aperçoit qu'au bout de quelques minutes tout le monde a de quoi manger. On voit même des grands singes se donner mutuellement de la nourriture. Bien que les jeunes se soient précipités, ce sont en général les plus âgés qui mangent avant eux. La chasse, rare et solitaire, donne lieu chez les chimpanzés à une distribution presque rituelle qui ne suit pas la hiérarchie du pouvoir. Le chef aussi se soumet à une loi, qui le dépasse. Ce n'est plus la loi du plus fort mais une loi transversale qui permet à tout le monde de survivre, et prône donc des valeurs telles que la solidarité, l'échange et le partage.
            Il ne faut bien sûr pas idéaliser. Les chimpanzés, par exemple, ont un côté démoniaque, violent, cruel. Une femelle peut tuer les petits d'une autre pour l'empêcher de grimper dans la hiérarchie sociale. Mais l'observation révèle qu'un tel acte n'est ni fréquent ni gratuit. Il provoque un malaise dans la communauté. La femelle agressée peut se défendre, d'autres venir l'aider, spontanément ou en fonction d'alliances établies au préalable. A "l'intelligence" primaire que suppose déjà l'assassinat d'un être pour en gêner un autre, répond une intelligence sociale, avec ses mécanismes de régulation. On est loin du règne de l'instinct, mais dans une sorte de jeu social qui implique une faculté de conceptualisation.
Q. : La présence simultanée de la cruauté égoïste extrême et de la générosité altruiste remonte donc aux origines de l'être humain ?
T.J. : C'est une source d'espoir. S'ils ont le choix entre le recours àla force et d'autres pratiques plus calmes pour régler leurs conflits, notre propre combat contre la sauvagerie humaine s'inscrit dans un autre processus, qui l'éclaire d'un jour nouveau. Et qui devrait nous inciter, comme le prônent les deux survivantes des "anges de Leakey", àsauver les grands singes et la nature qui les abrite.

Faits en vrac pouvant servir

En français, nous appelons grands singes des animaux qui ne sont pas des singes, comme le prouve leur nom exact d'anthropoïdes, que l'on n'emploie jamais. Primates serait plus parlant mais englobe aussi le singe, le lémurien et l'homme.  
L'anglais distingue l'ape du monkey.
. L'orang-outang, le gorille, le chimpanzé et le bonobo, observé pour la 1ère fois en 1963 *dateTJ?*, composent ce groupe. Orang-outang signifie "homme de la forêt" en malais.
Le gibbon, autrefois compté comme un anthropoïde à part entière, est considéré aujourd'hui comme une espèce intermédiaire.
"Le savoir que j'ai acquis nous oblige à changer complètement notre façon de considérer la nature." Jane Goodall
Jane Goodall est la scientifique vivante la plus connue aux USA.
L'expérimentation animale sur les grands singes a été interdite en Angleterre par un décret parlementaire.
" Je sais aujourd'hui ce que me disait à sa façon le bonobo du premier soir : "Tu n'es pas coupé du monde, à part, tout ce que tu fais a des répercussions sur tous ceux qui t'entourent. Ma destruction te concerne. Que fais-tu pour mériter de te targuer d'être un humain, supérieur à moi ? En quoi as-tu plus de conscience, plus de culture ? Je ne parle pas, et pourtant je passe mon temps à communiquer. En quoi es-tu ouvert à ce langage non-verbal que tu utilises aussi, et que fais-tu de la parole qui t'a été donnée en plus ?"" Thomas Johnson.

 

Biblio :            
Franz Dewall, Le Bon Singe, bases naturelles de la morale. Ed. Bayard Presse.
                        La poétique du chimpanzé. Ed. ??        Goodall ??
            Galdikas ??

Coordonnées de l'association Roots and Shoots dirigée par Jane Goodall pour encourager les initiatives d'éveil écologique.