En.marge                           « Méditer renforce le système immunitaire »

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 Proche du Dalaï Lama, Jon Kabat-Zinn a été le premier à proposer la méditation comme remède, au sein d’une « clinique de réduction du stress » qu’il a fondée en 1979 aux Etats-Unis, et est ainsi devenu l’un des pères fondateurs de la médecine « corps-esprit ». A l’occasion de la sortie de son dernier livre, il nous explique son parcours et sa méthode. Né en 1944, biologiste formé au MIT (Massachusetts Institute of Technology), Jon Kabat-Zin est un scientifique hors-norme. Pratiquant le yoga et la méditation, il a adapté ces techniques au mode de vie occidental, créant en 1979 le premier programme de réduction du stress Il participe aujourd'hui, au sein du Mind and Life Institute, au dialogue entre science et bouddhisme.

Question : Comment vous est venue l’idée d’adapter des pratiques méditatives bouddhistes à la réduction du stress ?
Jon Kabat-Zinn : Je suppose qu’à l’origine, on trouverait chez moi le désir inconscient de réconcilier mes parents. Mon père était un biologiste renommé, ma mère une artiste prolifique mais inconnue. Très tôt, ces deux façons radicalement différentes d’appréhender le monde m’ont semblé chacune incomplète et - comme c’était souvent le cas pour mes parents -, incapables de communiquer entre elles. Cela m’a conduit à m’interroger sur la nature de la conscience : avant d’être imprégnés par l’une ou l’autre de nos façons de concevoir le monde, comment « savons-nous » ? Comment « prenons-nous conscience » de ce qui est ? Mon intérêt pour la science est parti de là. Etudiant, j’ai commencé à pratiquer la méditation, le zen, le yoga, les arts martiaux… Le désir de relier ces pratiques avec le métier de scientifique est devenu de plus en plus fort. Quand j’ai obtenu mon doctorat en biologie moléculaire, j’ai décidé de consacrer ma vie à ce projet : adapter la méditation bouddhiste, en lui ôtant son aspect religieux, pour l’intégrer à un programme de soins scientifiquement contrôlable et philosophiquement acceptable par tous.

Q. : Avez-vous rencontré des difficultés pour créer votre clinique ?
JKZ : J’étais titulaire d’un doctorat, obtenu au célèbre MIT (Massachusetts Institute of Technology) auprès d’un prix Nobel, et je travaillais dans le monde médical. Face à de telles références, les autorités se sont dit que je devais savoir ce que je faisais. Devant le succès, elles m’ont rapidement soutenu. Ainsi est née la MBSR : un programme de réduction du stress en huit semaines, comprenant une séance en groupe chaque semaine et une heure par jour de pratique à domicile, à l’aide de cassettes audio. Peu à peu, les applications ont été étendues à l’anxiété, aux phobies, à l’addiction, à la dépression…

Q. : Quelle type de méditation employez-vous dans ces programmes ?
J. K.-Z. : Nous utilisons diverses pratiques méditatives - certaines sous forme  d’exercices précis, d’autres plus informelles -, toutes basées sur le développement de la « pleine conscience » ou « mindfulness ». Cette forme d’attention est considérée comme le cœur de la méditation bouddhiste. Ma définition la plus rapide en est : la conscience qui émerge quand on porte intentionnellement son attention sur le moment présent sans juger - ni lui, ni soi. C’est une attitude qui prédispose à la paix de l’esprit et du cœur, à la compassion, à l’amour. Nous l’enseignons d’une façon qui, nous l’espérons, respecte l’esprit de la voie bouddhiste (le dharma), mais dans un langage universel et laïque. Les exercices, décrits dans deux de mes livres (voir A Lire), comportent notamment le Body Scan (couché, on se concentre sur ses sensations dans chaque partie du corps), la méditation assise où l’attention se porte sur différents objets (respiration, sons, pensées, images mentales), ou encore l’entraînement à une attention sans objet ni effort, appelée « attention sans choix » par le philosophe indien Krishnamurti. On dit aussi : « présence ouverte ». Nous enseignons également la marche consciente, le yoga conscient, et même le fait de manger en conscience. Quant aux pratiques informelles, elles consistent à appliquer moment après moment cet état d’esprit ouvert et sans jugement à diverses activités quotidiennes : s’occuper des enfants, des courses, de la cuisine ou du ménage, faire de l’exercice, être en famille… sans se laisser distraire par son discours intérieur, mais en restant attentif à ce que l’on fait et à ce qui vient (sensations et expériences). Finalement, la vie elle-même devient une pratique de méditation, car le défi est de ne pas perdre le seul moment où nous sommes réellement vivants, c’est-à-dire le présent, l’ici et maintenant.

Q. : Quelles maladies la méditation guérit-elle ?
J. K.-Z. : La liste des maladies où elle s’est montrée utile ne cesse de s’allonger (voir p. xx). Mais cela dépend de ce que l’on entend par « guérir ». Est-ce restaurer l’organisme pour qu’il soit comme avant la maladie ou l’accident (to cure en anglais) ? Ou bien est-ce accepter et assumer la situation telle qu’elle est, avec ses maux, mais dans le plus grand confort possible (to heal) ? Dans le premier sens, guérir n’est pas toujours faisable, même avec le meilleur traitement de la médecine actuelle. Mais dans le second, guérir est possible tant que nous sommes en vie. C’est l’une des choses que les patients apprennent – mieux, dont ils font l’expérience – en pratiquant la MBSR ou d’autres méthodes basées sur la pleine conscience, à usage médical ou psychologique. Pour nous, il s’agit d’une « médecine participative » : elle conduit le patient à s’engager personnellement vers de plus hauts niveaux de bien-être et de santé en optimisant ses propres capacités autorégulatrices. Le travail de méditation est un complément précieux à la « guérison » qu’apporte – ou pas – le traitement médical ou chirurgical.

Q. : Au fond, vous proposez une nouvelle approche de la maladie et du malade ?
J. K.-Z. : Oui, il s’agit de placer la notion de soin au cœur de la thérapie, en accord avec les principes d’Hippocrate. Ces principes ont fondé la médecine moderne, mais ils sont aujourd’hui négligés, parce que les médecins sont contraints de traiter le maximum de patients en un minimum de temps. L’entraînement à la pleine conscience peut d’ailleurs les aider eux aussi, comme en témoigne le succès de nos programmes pour les professionnels de santé.

Q. : En avez-vous personnellement bénéficié ?
J. K.-Z. : Nul ne peut animer un programme basé sur la pleine conscience s’il ne médite pas lui-même. Personnellement, la méditation a transformé ma vie. Je me demande si je serais encore vivant si je n’avais pas commencé à pratiquer à l’âge de 22 ans. Cela a réconcilié tous les aspects de mon existence et de ma personnalité, tout en répondant à la question : que vais-je pouvoir apporter au monde ? Je ne connais rien de mieux que la méditation pour apprendre à être présent dans sa vie et dans ses relations, aussi difficile que cela puisse parfois être. J’aime dire que la pleine conscience est simple, mais pas facile ; c’est un dur travail, mais à quoi d’autre sommes-nous destinés ? Ne pas s’y employer, ce serait rater tout ce qu’il y a de meilleur, de plus profond et joyeux dans nos vies, parce que nous sommes « perdus » dans notre mental, à vouloir être mieux, ailleurs, sans réaliser la richesse du moment présent.

Q. : C’est donc une façon de vivre et une pratique préventive plutôt qu’une thérapie ?
J. K.-Z. : Mais non, je vous l’ai dit, les effets curatifs sont amplement prouvés – ce n’est simplement pas un médicament ou une intervention classique. Evidemment, la méditation a aussi un effet préventif : en prenant du temps pour écouter vos sensations, vous augmentez vos chances d’être averti si quelque chose cloche ! En outre, méditer renforce le système immunitaire et la capacité à assumer le présent. Or, plus votre santé physique et mentale est robuste, mieux vous résistez au stress et aux processus maladifs, et plus vite vous vous rétablissez quand vous tombez malade. Je parle d’une optimisation de la santé à travers la vie entière. Les objectifs changent donc à mesure que nous vieillissons…

Q. : N’y a-t-il pas de contre-indications ?
J. K.-Z. : Je répondrais volontiers que non, même si mes collègues de la MBCT déconseillent la méditation en cas de phase dépressive aiguë, estimant qu’elle risque d’aggraver la rumination d’idées noires qui en est le moteur. A mon avis, le problème principal est la motivation. Si elle est faible, difficile de pratiquer la pleine conscience : cela demande un changement immédiat de mode de vie, puisqu’il faut s’accorder du temps à la fois pour les exercices formels de méditation et pour l’entraînement à la présence consciente dans l’activité quotidienne.

Q. : Puisque ça marche, pourquoi la méditation n’est-elle pas utilisée à l’hôpital ou en clinique ?
J. K.-Z. : Mais elle l’est ! Plus de deux cent cinquante hôpitaux et cliniques dans le monde proposent des programmes de MBSR ou de MBCT, et le chiffre augmente chaque année. J’ai le sentiment que la culture médicale française résiste quelque peu, alors que dans d’autres pays comparables, ces méthodes sont en pleine expansion et ont été acceptées par la médecine depuis des années, et plus récemment par la psychologie. Je suis moi-même professeur émérite de médecine à l’université du Massachusetts, et dès que nos résultats sont apparus, j’ai bénéficié, aux Etats-Unis, du soutien entier des responsables des services de médecine et de chirurgie, comme des autorités médicales ou universitaires. Des facultés de médecine d’universités aussi prestigieuses que Stanford, Duke ou Harvard enseignent désormais la MBSR. Les programmes sont remboursés par l’une des principales compagnies d’assurance-maladie en Amérique (Kaiser Permanente).

MBSR : Mindfulness Based Stress Reduction, réduction du stress par la pleine conscience.
MBCT : Mindfulness Based Cognitive Therapy, thérapie cognitive par la pleine conscience.



                                                                                                            Un article d'En.marge pour Psychologies

 

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