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LA FIN'AMOR, EXEMPLE POUR AUJOURD'HUI ?
Jean-Claude Marol, architecte puis
dessinateur humoristique et conteur, animait des "partages de parole"
avec les enfants des écoles et des stages destinés à réveiller notre héritage
chevaleresque. Dans ses derniers livres, il a rétabli la vérité sur l'amour
dit "courtois" : l'image du troubadour éthéré chantant sa passion
pour la Dame hélas inaccessible ne correspond ni aux écrits ni à l'époque.
Ni à ce sentiment lui-même, dont l'auteur, peu avant sa mort, nous invitait à
découvrir la truculente vigueur.
Q : En quoi le terme "amour courtois"
est-il inapproprié ?
JEAN CLAUDE MAROL: Comme "moyen-âge",
il vient du XIXème siècle, qui eut ses propres filtres. Les troubadours
utilisaient plutôt "fin'amor", pour exprimer combien il s'agissait
pour eux d'aller jusqu'au bout, mais avec finesse et conscience de la fin de
toutes choses. Le premier d'entre eux, Guillaume de Poitiers, duc d'Aquitaine
(1O71-1126), le définissait comme une soumission (obedienz) à ce "féminin"
qu'à l'époque on nommait "la dame", de Domna, celle qui domine.
Subversive, amorale, absolue, l'aventure des troubadours renverse les rôles.
Q : Nous sommes au XIIème et XIIIème siècles,
le temps des croisades et des cathédrales. L'ouverture aux textes grecs et
arabes, eux-mêmes nourris des cultures juive, persane et indienne, provoque un
bouillonnement de la pensée. En quoi cela recompose-t-il le terrain amoureux ?
J-C M : Ces turbulences provoquent une extrême
mobilité des comportements et des rapports possibles à l'amour, allant du plus
charnel au plus mystique. Chacun s'efforce de garder l'équilibre et, selon sa
sensibilité, trouve sa solution. En cela, l'époque ressemble àla nôtre. On y
voit des femmes mariées se faire nonnes, puis retrouver leurs époux, avoir des
amants, partir à la croisade, maniant la lance avant de redevenir nonnes, ou
autre chose, dont troubadours. Elles brillent d'une vitalité et d'une finesse
que ne laisse pas entrevoir le filtre du poète qui encense la dame. Elles
chantent les hommes autant que le contraire, et bien souvent avec une verve plus
truculente. Parfois, elles vitupèrent contre ces amants courtois qui ne vont
pas au bout de leurs intentions, qui ne font pas l'amour à fond. Quant aux
hommes, s'ils savent s'exclamer, comme Raimont de Cornet, "j'adore surtout
lui peloter les fesses !", leur dame ressemble beaucoup à la Shakti
indoue, avec sa flèche pour symbole. Elle anime le jeu, éveille l'esprit
chevaleresque. Certes, la contemplation de l'autre alimente l'amour, mais l'acte
charnel est aussi respecté comme source de joie et fontaine de jouvence.
"Pour ne plus vieillir, j'aime", écrit Guillaume. Il chante la joie
d'être un à deux, de se donner le souffle, de s'animer l'un par l'autre d'une
énergie qui éveille.
Q : On pense au taoïsme ou au tantrisme ?
J-C M : Oui, l'amour nourrit le corps et le régénère,
et vive-versa. Dans la langue des troubadours, corps et coeur se disent tous
deux cors. La grisaille affective et sensuelle d'aujourd'hui devrait s'inspirer
de cet élan. Alors que nous parlons beaucoup de recherche et de quête,
troubadour vient de trobar, trouver. L'amour n'est pas ailleurs, il s'incarne
ici dans la réalité. La joie de prendre son plaisir le plus cru met en phase
avec la béatitude, l'éveil, l'extase. La femme condense en elle toutes les
dimensions du principe féminin, de l'amante de chair à la mère de Dieu.
L'homme, valeureux, chevalier, tire sa force du bonheur qu'il sait lui apporter.
Guillaume s'armait d'un bouclier sur lequel était peint le portrait de son
amante nue. Il disait : "je la porte au combat comme elle me porte au
lit" ! Pour sortir des rapport de force nous devons mettre dans nos
relation un peu de cette joie, de ce dynamisme amoureux et joueur, de cette
gaieté qui ressucite les aspects vigoureux de l'être et sa capacité
chevaleresque à exprimer "vivement" pensées et émotions. Guillaume
n'emploie pas les mots de fin'amor ou d'amor cortez. Il dit simplement amor.
Les poèmes de fin'amor ou amour courtois, recueillis par J.-C. Marol
Biblio : Jean-Claude Marol : "L'amour libérée"
(Dervy), "La Fin'amor" (Seuil), "Le rire du sacré" et
" Paroles de troubadours" (Albin Michel).
Sur l'Inde : "Paroles de Ma Anandamoyi"
(éd. Accarias). "Au coeur du vent, mystère des chants Baüls" avec
Aurore Gauer (UNESCO L'originel).
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