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MEDECINES NON-CONVENTIONNELLES, DROIT EN EUROPE...... et situation française !!!

Entretien avec Isabelle Robard, docteur en droit et avocat. Elle est non seulement l'auteur avec Thierry Souccar de Santé, mensonges et propagande (éd. du Seuil), un pavé dans la mare des autorités sanitaires françaises, en passe de devenir un best-seller. Elle est également l'égérie juridique des médecines non-conventionnelles en Europe. Spécialiste du droit comparé en ce domaine et surtout, cheville ouvrière de nombreuses réformes, en Belgique, au Portugal et en France, elle a écrit La santé hors la loi, les hors-la-loi de la santé, éditions Ancre, 1991, 92 et 94; Médecines non-conventionnelles et droit, éditions Litec, 2002

En.marge : "En France, tout n'est pas bloqué", dites-vous dans notre tour d'Europe ?

Isabelle Robard : Certes, la résolution du Parlement européen est restée ignorée. Mais elle a inspiré la Belgique, et le changement de la législation belge a inspiré notre ministre de la santé, d'après sa propre lettre de motivation, à mettre en place une commission dont le travail a abouti à l'article 75 de la loi "Droit des malades" (*date), qui légalise l'ostéopathie et la chiropraxie comme des professions de santé à part entière.

En.m : Cela veut dire le même statut qu'un médecin ?

I. R. : Oui, mais la médecine n'est pas la seule profession de santé, rappelons-le : il y a aussi les sages-femmes et les chirurgiens dentistes ! Avec la Chambre nationale des ostéopathes, nous proposons que la chiropraxie et l'ostéopathie fassent partie d'une quatrième profession. Tout va se jouer avec les décrets d'application : leur légalisation comme professions paramédicales - une tendance "kiné plus" que l'on pouvait sentir poindre par moments au ministère - signerait leur arrêt de mort. Pourquoi ? Parce que les professions paramédicales, en France, ne peuvent pas bouger un doigt sans l'accord d'un médecin ! Or les ostéopathes, par exemple, savent très bien où il faut regarder et comment il faut faire, ce qui n'exclut pas le partenariat entre les professions de santé, bien au contraire - un médecin sera d'autant plus libre de travailler avec un ostéopathe que celui-ci sera légalisé. Mais surtout, l'intérêt premier de ces thérapies réside dans la prévention, dans leur capacité à éviter qu'un coup du lapin en voiture, une grossesse fatigante ou une mauvaise position au bureau ait des conséquences dramatiques (inflammations, médicaments, opérations). Ce n'est pas en les assujettissant au corps médical, en obligeant à payer deux consultations, que l'on va les aider à contribuer au dégrèvement du budget de la sécurité sociale ! Il va falloir être très vigilant sur le statut juridique qui leur sera donné.

En.m : Mais du coup, cette reconnaissance laisse à la traîne les autres thérapies ?

I. R. : Chaque chose en son temps. Pour l'instant il faut laisser ces professions s'installer. Beaucoup dépendra de la façon dont les autres se structureront sur le plan éthique, sans empiéter sur le champ médical, car il n'est évidemment pas question d'éradiquer la médecine allopathique ni d'interdire aux médecins de pratiquer des médecines non-conventionnelles, l'excès ne servirait ni la société ni le droit des individus à un accès libre aux soins. Il y aura d'autres changements, c'est évident, mais je n'ai jamais vu qu'on brûle les étapes, tant au niveau des mentalités, que de la structuration des professions, de l'éthique, des conditions de formation… et de l'union que tous ces thérapeutes doivent faire, aussi, entre eux.

En.m : Organisation, structuration, c'est partout la rançon de la liberté de soigner ?

I. R. : Evidemment ! Outre que cette structuration permet aux autorités de mieux appréhender le paysage sanitaire, c'est le seul moyen pour que la liberté de soigner s'accompagne de la transparence indispensable à la précaution envers les malades. Quand on va voir quelqu'un, on veut savoir comment il est formé, ce qu'il peut apporter. Les pays où cette liberté fait partie de la tradition nous en donnent l'exemple. Regardez la Scandinavie, regardez l'Angleterre, qui a réglementé plus récemment : chemin faisant, les pouvoirs publics anglais se sont rendu compte que les organisations professionnelles n'avaient pas attendu une législation pour s'organiser, tant sur le plan éthique que sur le plan de l'obligation de souscrire des assurances responsabilité ou sur les conditions de formation. Considérant qu'il était plus intelligent de fonctionner de cette façon souple, et tout en observant ce qui se passe, ils ont en quelque sorte délégué à ces organisations le soin de mettre en place leurs propres critères. En plus d'organiser leur formation, les disciplines légalisées ont ainsi créé des registres, des conseils et toute une organisation disciplinaire. En France, la naturopathie, pour ne citer qu'elle, est prête : elle possède une fédération nationale depuis le milieu des années 80, avec un code de déontologie, une charte, des formations avec troncs communs obligatoires harmonisés entre les écoles, etc.. On parle même d'une harmonisation au niveau européen, voire mondial pour la médecine traditionnelle chinoise.

En.m : L'Europe est-elle la clé ?

I. R. : Je vais vous répondre très clairement : le parlement européen ne peut émettre que des résolutions, influentes mais sans force de loi. Le seul organisme compétent est la Commission de Bruxelles, et celle-ci n'est pas prête ! Il est trop tôt. Mieux vaut pour l'instant la laisser travailler sur les produits de santé. Elle a déjà fort à faire avec les compléments alimentaires, les plantes à usage traditionnel avec recul d'utilisation et autorisation allégée de mise sur le marché, la modification du code communautaire du médicament… Faire avancer le droit pharmaceutique, ça c'est constructif, ça permet, derrière, de faire avancer de nouvelles professions. J'y pensais déjà quand je travaillais avec le député Paul Lannoye sur la résolution européenne, et ma proposition de réglementer le complément alimentaire avait été retenue. Sans doute est-elle venue s'ajouter à l'engorgement de la Cour de justice, submergée de plaintes à ce sujet, pour persuader la Commission de prendre des initiatives ! Résultat : une directive de juin 2002 légalise les compléments alimentaires, permettant notamment leur importation - quand la France le voudra bien car, pour ne rien vous cacher, elle freine des quatre fers et nombre de ces plaintes, pour entrave au commerce, sont dirigées contre elle.

En.m : D'où votre dernier livre, avec Thierry Souccar, sur le comportement des agences sanitaires françaises ?

I. R. : En fait, tout est parti d'un avis rendu par l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (l'afssa) en 2000, sur la créatine, très utilisée par les sportifs parce qu'elle favorise la densité musculaire sans doper. La créatine, dit l'afssa, ne sert à rien. Plus grave, elle est cancérigène ! Thierry Souccar, qui est journaliste et biochimiste, contacte les deux spécialistes mondiaux de la créatine et là, surprise : aucun n'a été auditionné par notre agence, qui a pourtant utilisé dans son rapport une publication de l'un d'eux, et pire, a inversé son propos affirmant, lui, que la créatine est un cancéro-protecteur ! Vous imaginez ses lettres de protestation ! Mais s'il y avait un problème pour la créatine, que penser des autres recommandations de l'afssa ? Avouons que nous avions quelques petites idées - Thierry Souccar est spécialisé dans la nutrition et l'alimentation, j'oeuvre dans le droit de la santé depuis 15 ans - mais nous voulions savoir. Notre méthodologie a été simple : nous avons confronté les recommandations nutritionnelles françaises aux publications scientifiques internationales et aux travaux des épidémiologistes indépendants travaillant dans ce domaine. Et bizarrement, ça ne correspondait pas.

En.m : Pourquoi ?

I. R. : En investigant, nous avons établi le labyrinthe des liens étroits entretenus entre l'industrie agro-alimentaire et les "sachants", les experts, qui siègent aussi bien au niveau gouvernemental qu'à l'afssa que dans les comités scientifiques mis en place par les industriels eux-mêmes. Exemples ? Le Programme national nutrition santé, lancé en 2000, dont le responsable détient 16 liens avec l'industrie agro-alimentaire, dans les secteurs des céréales, du lait, des viandes, des graisses. A l'afssa, près de 65% des experts ont des liens avec l'industrie, et tous ne les déclarent pas. Or une étude publiée dans The American Journal of Medical Associations en novembre 2003, analysant mille publications scientifiques, a conclu qu'un scientifique payé par une industrie pour une étude est quatre fois plus enclin à donner un résultat favorable à l'industriel qui l'a payé pour faire cette étude.

En.m : Mais n'est-il pas difficile de trouver des experts sans lien avec l'industrie ?

I. R. : Sans doute, mais cela devient un enjeu majeur quand les conséquences sont à ce point néfastes, constatables à l'augmentation des maladies cardio-vasculaires, des cancers, du diabète et de l'obésité. D'autant plus que la France sert de modèle européen, et même mondial : premier exportateur alimentaire au monde (avec 134 milliards d'euros de chiffre d'affaires contre 34 pour l'industrie pharmaceutique), nous exportons aussi les problèmes sanitaires que cette industrie engendre. 5% d'augmentation de l'obésité par an, 16% d'enfants obèses, si rien n'est fait bientôt 25%, et pour la première fois dans l'histoire, une diminution de la durée de vie de nos enfants ! C'est un cri d'alarme. L'industrie agro-alimentaire peut faire de l'argent propre, en conciliant les objectifs de santé publique avec un intérêt économique. Mais il faut absolument que les Français se ressaisissent, reprennent leur santé en main, ce qui passe d'abord par l'alimentation, mais aussi par de sérieuses réformes. C'est pourquoi, outre une enquête, notre livre propose un récapitulatif pour manger sainement… et des formules-types de lettres aux autorités pour faire changer les choses.

Un article par En.marge publié dans Nouvelles Clés  (n° 44, 2004)  

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