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PIERRE TEILHARD DE CHARDIN (1881-1955)
Mère est une pieuse catholique, Père l'incite à observer la nature : ce fils de noblesse auvergnate sera prêtre et savant. Entreprise périlleuse en ce siècle comme en d'autres !
Ordonné par les Jésuites en 1911, brancardier en première ligne de 14 à 18, il devient Docteur ès sciences en 1922. Une brillante carrière de paléontologue le conduit dès lors à voyager sur tous les sites de fouilles du globe, à séjourner longuement en Chine, où il participe à la Croisière Citroën en 1931 et passe la Deuxième Guerre Mondiale. Un vie errante que favorise sans doute, comme un appel à l'exil, l'interdiction d'enseigner et de publier opposée par son Ordre, dès 1926, à son approche théologique. Teilhard obéit mais résiste. Il s'éloigne mais continue à écrire des essais, qu'il n'ose appeler philosophiques tant ils lui paraissent simples. Rome les refuse un à un. Il les fait circuler comme des samizdats, participe à toutes les réunions où il est invité, donne des conférences. En 1946, il s'installe aux USA où sa pensée passe mieux et où il meurt à l'âge de soixante-quatorze ans.
Rien de bien révolutionnaire, ni même de critique, dans l'opiniâtreté de cet homme grand et maigre, chaleureux et digne. Pour lui, "l'univers a un dessein". Energie physico-morale, l'amour divin l'anime. De la particule élémentaire à l'organisme le plus sophistiqué, la matière, en se complexifiant, devient aussi plus consciente. L'évolution procède par sauts. Aux sphères successives qui ont recouvert la Terre (lithosphère, biosphère, atmosphère), l'humanité a ajouté la technosphère, fruit de sa conscience réflexive qui l'amène au seuil d'un nouveau bond, dont Teilhard emprunte l'idée au géologue russe Vladimir Vernadsky. "Par l'accroissement de leur nombre et la multiplication de leurs liaisons, (...) les hommes de l'avenir ne formeront plus, en quelque manière, qu'une seule conscience," annonce Teilhard dès 1924. Pour que vive l'organisme qui naîtra de cette "noosphère" de pensée collective, l'individualité de chacun devra être préservée, dans une "conspiration animée d'amour, approfondissement de notre moi le plus intime dans le vivifiant rapprochement humain".
Trop spiritualiste pour la Science, trop évolutionniste pour l'Eglise, Teilhard invitait l'une et l'autre à un impossible dépassement de leurs dogmes. Il ne fut guère entendu. Ses propos sur la guerre ("quantum d'énergie orgiastique") ou sur la fonction libératrice du chômage et de la mécanisation paraissent aujourd'hui encore provoquants. D'aucuns trouveront chimérique son "point Omega", but ultime de l'avenir qu'il prévoit, "condition de base à l'accession, par le retour du Christ en gloire, à l'union créatrice avec Dieu". Cependant, avec sa noosphère qui semble se forger sous nos yeux, Teilhard de Chardin se révèle le précurseur ignoré des idées post-modernes et du mouvement "New Age".
Ce texte a été publié dans Le siècle rebelle, dictionnaire de la
contestation au XXè siècle, éd. Larousse, 1999.
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