CHAPITRE UN

LORRIS ET MÈRE (1/8)

Lorris et Mère étaient de bonnes marcheuses. Parties du village avant l'aube, elles avaient avancé rapidement, côte à côte sur le chemin droit et plat, aux ornières asséchées, qui desservait les champs gagnés sur la forêt par les moines.

Leurs pas s'étaient vite accordés. Légèrement en retrait, Lorris suivait le rythme de Mère, adoptant son glissé du pied, son poser du bâton. A l'allégresse que lui donnait toujours cette marche à découvert, prélude à leurs départs, s'ajoutait le désir d'imiter, au point de devenir, cette femme voûtée et maigre à qui elle devait tout. Aujourd'hui elle sentait sa compagne d'humeur inhabituelle, presque solennelle. Le poids de la besace dont Mère l'avait chargée lui laissait présager plusieurs jours de périple.

Vers quelle nouvelle leçon, quelle en serait l'épreuve ? se demandait la jeune fille, impatiente plus qu'inquiète. Elle savait trop combien, avec Mère, le moindre petit voyage réservait des surprises, s'avérait faire partie de son initiation. Allait-elle acquérir de nouvelles connaissances ?

Advienne que viendra ! L'automne était si chaud en cette veille des Morts, si verte la forêt dans laquelle elle pénétrèrent au bout de deux bonnes heures, que son insouciance naturelle et encore enfantine fit taire sa curiosité, et ses appréhensions.

Aussitôt sous les arbres, le chemin devint sente. Mère se mit en tête et prit son pas des bois, plus lent, plus souple, plus appuyé sur le bâton. Elle semblait plus courbée aussi, eut l'impression Lorris, se rendant soudain compte que Mère avait vieilli. Les cheveux aux reflets roux, qui tombaient en ondulations sur ses épaules étroites, s'étaient parsemés de fils d'argent bouclés. Sept ans déjà ! se dit Lorris. Sept ans qu'elle m'a remis mon bâton d'apprentie, sept ans qu'elle est mon guide. Va-t-elle bientôt mourir ? Je ne veux pas qu'elle meure!