En.marge               Hervé Chneiweiss (Collège de France)

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POUR EN FINIR AVEC LE DETERMINISME :  LA NOUVELLE BIOLOGIE ET LES SCIENCES DU CERVEAU

ENTRETIEN AVEC HERVE CHNEIWEISS

Fécondation in vitro, clonage, manipulation génétique, séquençage du génome humain, tout va si vite en biologie qu'on est un peu dépassé. Ajoutez  les découvertes des neurosciences et l'impression qu'elles donnent de nous cartographier le cerveau, et tout cela prend un petit air Meilleur des Mondes qui ne laisse pas de terrifier. Mais "la peur est la petite mort", comme il est dit dans le roman Dune. Un mauvais cap à passer. Se pourrait-il que les percées froudoyantes des sciences du vivant soient au contraire porteuses d'espoir, parce qu'elles nous renvoient à nous-mêmes, non seulement par les connaissances qu'elles apportent – et les thérapies qui en résultent –,mais aussi par le défi qu'elles lancent à notre conscience… voire à notre démocratie ? Et d'ailleurs, que nous apprennent-elles vraiment sur la vie ou sur notre cerveau ? Tour d'horizon des nouvelles avancées et de leurs conséquences, avec Hervé Chneiweiss, neurobiologiste, directeur de recherche au CNRS, professeur au Collège de France, conseiller pour les sciences du vivant auprès du Ministre de la Recherche entre 2000 et 2002, auteur avec Jean-Yves Nau, journaliste au Monde, de Bioéthique, avis de tempêtes (1). Avis de tempête ? Un cap à passer, disions-nous. Capelez vos cirés !

En.marge : La biologie, et plus encore les neurosciences, font un peu peur et pourtant, a priori, elles visent avant tout à soigner. Qu'est-ce qu’il se passe ?

Hervé Chneiweiss : Nous traversons un passage difficile parce nous en savons aujourd'hui beaucoup plus. Or, la science commence toujours par désenchanter le monde… avant de le réenchanter. Car il faut comprendre que la biologie a fini par entrer dans le grand courant de la démarche scientifique, où l'on passe de l'approximation à l'accumulation des connaissances. Grâce au microscope optique ou électronique, on a pu observer les cellules, leur développement, leurs assemblages. Le séquençage du génome humain – grand rêve de quelques pionniers lancé le lendemain même du jour où Armstrong mettait le pied sur la lune, quand James Watson (2) a convaincu les autorités d'en faire la "next frontier" du rêve américain – a été réalisé deux fois plus vite que prévu. Avec, au passage, la première aventure industrielle menée par la recherche fondamentale (qui n'en a pas été dépossédée comme avec l'atome), et même un moratoire d'un an sur les recherches, décidé en 1974 à la suite d'une rencontre, à Asilomar en Californie, de tous les scientifiques travaillant sur la génétique. Une année à réfléchir aux enjeux éthiques et à mettre au point les protocoles de confinement des labos ! Bref, on a fait entrer la vie dans le monde technique, où tout est mis à plat, révélé. Les questions éternelles (d'où vient la vie ? pourquoi vit-on ?), simples au départ, ne relèvent plus du "grand mystère de la vie" dont parlaient les théologiens. En apparence ! Car une fois que l'on a dit cela, tout le mystère réapparaît : on découvre qu'il n'y a rien de pré-déterminé vraiment, rien de pré-écrit vraiment, mais un ensemble de possibles.

Comment passe-t-on d'une cellule d'un centième de millimètre – où se trouve cependant un ruban d'ADN mesurant, déplié, environ un mètre – à un individu fait de centaines de milliards de cellules assemblées à peu près correctement en organes, qui va vivre environ 90 ans, interagir avec son environnement, se nourrir, aimer, penser, et tout ça avec des molécules ? Comment est-ce possible ? Les questions éternelles  restent les mêmes, avec ceci de merveilleux : le mystère n'est plus "fermé", on a posé le pied sur un continent nouveau, l'atome conduit au quark appelé "charmant" ou "étrange", la cellule montre qu'il ne suffit pas d'avoir lu ses gènes pour comprendre comment elle marche, tout comme il ne suffit pas de voir l'activité du cerveau pour comprendre la conscience – ou de connaître les lettres pour faire de la poésie.

En.marge : La biologie est entrée dans l'ère de la complexité ?

Hervé Chneiweiss : Avec, à chaque découverte, l'explosion d'un dogme. Quand j'étais étudiant, on considérait le gène comme une simple unité de codage des informations permettant, via l'ARN messager, de produire une protéine. Gène, ARN, protéine, chacun avait sa fonction, comme un interrupteur allumé ou éteint. C'était simple. On sait aujourd'hui que la moindre protéine interagit avec une centaine d'autres, en fonction d'une multitude de facteurs qui lui donnent une formidable palette d'expressions, comme un être humain que l'on trouve habillé différemment  selon les lieux, les époques de l'année ou de la vie. Quant à l'ARN, on a découvert qu'il n'était pas seulement un intermédiaire entre  l'information génétique et la protéine, qu'il existait plusieurs ARN, qu'ils avaient du sens. Certains fragments, les SIRNA (small inhibitory ARN)  peuvent même empêcher l'expression des autres… Inutile de dire que le gène lui-même se révèle d'une complexité extrême, bien loin de l'idée : un gène = une fonction

En.marge : On s'éloigne d'une biologie déterministe ?

Hervé Chneiweiss : Même chose en neurologie : les dogmes s'écroulent et ça change tout. On vivait depuis 1904 dans le dogme du neurone : la cellule qui transmet l'information, c'est le neurone – soit seulement 10 à 15 % des 500 milliards de cellules du cerveau. Le reste – la "glie" – a été considéré pendant un siècle comme du remplissage. Il fallait bien que ça tienne. Pas du tout ! On sait aujourd'hui que les cellules gliales entrent en interaction avec les neurones, codent de l'information de façon spécifique, interagissent les unes avec les autres et provoquent, quand elles se dérèglent, l'immense majorité des maladies neurologiques. Les astrocytes, qui constituent la majorité de ces cellules gliales, jouent un rôle primordial dans la constitution de l'architecture cérébrale au cours du développement : ils servent de "rails" lors de la migration des neurones immatures vers les couches externes du cortex. Par ailleurs l'astrocyte est le seul lieu de stockage du glucose dans le système nerveux, donc la seule source énergétique des neurones.

En.marge : L'idée selon laquelle nous n'utilisons que 10 % de notre cerveau est donc fausse ?

Hervé Chneiweiss : Tout comme celle disant que l'on naît avec un stock de cellules à peu près fixe, avec quelques ajustements jusque vers l'âge de 3 ans et qu'ensuite, jusqu'à sa mort, on va conserver ce capital – tout en l'usant ! Ce n'est pas vrai du tout, nous renouvelons des cellules pendant toute notre vie, grâce aux fameuses cellules souches présentes dans tous nos organes. Nos os se remanient sans arrêt, notre tube digestif change chaque semaine. Mieux , notre système nerveux lui-même a sa plasticité : chaque neurone remodèle en permanence son "arbre dendritique" – l'endroit où il reçoit de l'information – sous l'influence des cellules gliales, qui déterminent quelle synapse doit être mise en place ou remaniée pour travailler avec plus d'efficacité. Plus encore : deux zones du cerveau (la zone sous-ventriculaire et la zone sous-granulaire de l'hippocampe) abritent des cellules souches qui donnent naissance à de nouveau neurones tout au long de la vie, y compris à l'âge adulte. Il existe également des cellules souches adultes capables de donner naissance aux différentes lignées cellulaires du système nerveux central, dont des neurones, dans d'autres régions du cerveau (le striatum, la moelle épinière). Toutefois ces cellules restes inactives tant que tout est normal dans la physiologie du système nerveux. D'où une idéée simple : l'environnement local conditionne la capacité des cellules souches à proliférer et à se différencier. On découvre ainsi au fur et à mesure, dans cette nouvelle complexité, les bases des mécanismes d'apprentissage, de fonctionnement en réseau, de probabilités qu'un événement survienne. Là aussi, donc, on s'éloigne du déterminisme.

En.marge : On en vient même à se demander pourquoi, finalement, on vieillit ?

Hervé Chneiweiss : Voilà l'une de ces questions qui restent entières. Mais la biologie ne répond pas au pourquoi, elle essaye de révéler ce qui existe. Et un autre dogme s'écroule ! Longtemps, on a considéré que la mort de nos cellules était une dégénérescence, un épuisement : une force vitale est là au départ, puis elle s'épuise, et quand elle est épuisée, comme une batterie ou une bougie consumée, on "s'éteint".

En.marge : Et ce n'est pas ce qui arrive ?

Hervé Chneiweiss : En réalité, dans l'extrême majorité des cas, la mort cellulaire est un phénomène actif et programmé. Chaque cellule contient, situés aux extrémités de ses chromosomes, des groupes de molécules qui mesurent son temps de vie. Ces "télomères" sont renouvelés, mais un peu moins à chaque cycle quand il y a des cycles et au fur et à mesure de la vie pour les neurones. Quand ils sont devenus très courts, une cascade d'événements de signalisation ordonne à la cellule de mourir, et le processus consomme de l'énergie. Présente depuis le début de la vie jusqu'à la fin, cette mort cellulaire programmée – ou apoptose – est absolument essentielle et nécessaire à la vie. C'est grâce à elle, par exemple, que nous avons des doigts. Dans l'utérus de notre mère, nous avons d'abord un seul os formant une main palmée, et ensuite, par régression des cellules interdigitales, les doigts apparaissent. La mort cellulaire programmée est aussi le premier mécanisme de défense immunitaire – elle remonte aux levures et à certaines amibes. La cellule infectée par un virus enclenche son programme de suicide pour détruire son propre ADN et l'ARN du virus, et prévenir la contamination. Enfin, ce sont les déraillages de la mort programmée qui donnent les tumeurs, ce qui nous permet de découvrir de nouveaux mécanismes pour comprendre comment apparaissent les cancers. Les maladies neurodégénératives comme celles de Parkinson ou d'Alzheimer, quant à elles, semblent dues à un non-renouvellement cellulaire causé par un dérèglement de la cellule souche. On observe aussi des dégénérescences par toxicité, quand les cellules gliales ne recapturent plus certaines substances qui leur permettent d'interagir avec le neurone et qui, en s'accumulant, le font mourir. L'intrication de ces différents phénomènes amène la disparition d'un certain nombre de neurones, et quand le niveau de renouvellement n'est plus en faveur d'une compensation à l'identique, arrive le vieillissement que l'on observe.

On ne sait donc pas pourquoi on vieillit. Mais, puisque l'on constate que c'est un phénomène programmé et actif, il n'est pas interdit de penser qu'il a été sélectionné au cours de l'évolution pour permettre le renouvellement. Peut-être – c'est une hypothèse – laisser des gens de 120 ans se reproduire donnerait-il plus de mutations dans le génome, mettant en péril l'espèce ? Ce n'est donc ni "parce que c'est bien" ni "parce que c'est mauvais", c'est simplement parce que ça a marché comme ça. Là encore, on observe, on n'invente pas. Mais cela change la conception du monde, de se rendre compte que le vieillissement n'est pas un épuisement.
En.marge : Cela montre qu'on peut entretenir son cerveau, d'accord. Mais les découvertes de la biologie ne conduisent-elles pas aussi, à terme, vers la manipulation génétique et donc à se poser la question de l'éthique ?

Hervé Chneiweiss : Il ne faut pas brûler les étapes et céder au fantasme. La question qui se pose aujourd'hui, c'est de permettre à tous ceux qui en éprouvent une souffrance de pouvoir faire des enfants dans de bonnes conditions. Pour cela, il faudrait replacer le biologique là où il est, et autoriser la recherche sur les cellules souches issues d'embryons conçus in vitro. L'interdiction actuelle donne un avantage disproportionné à la protection de ces embryons par rapport à la réalité d'un enfant à naître. La conception déterministe qui veut qu'un œuf fécondé soit déjà un être humain en puissance est, de plus, biologiquement fausse. Elle va dans le sens contraire des connaissances acquises et de la pensée évolutionniste qui en découle, où c'est l'histoire de l'individu qui fait l'individu. D'ailleurs, dans la procréation assistée, c'est bien la volonté parentale qui a le pouvoir de faire de l'œuf fécondé un être humain potentiel : les embryons surnuméraires sont congelés, puis détruits au bout de cinq ans. Leur permettre de servir la recherche ne serait-il pas une façon de respecter le projet humain dont ces cellules étaient porteuses au départ, au lieu de les mettre à la poubelle ?

En.marge : Je suppose que vous prônez la même ouverture face aux découvertes des neurosciences, votre spécialité ?

Hervé Chneiweiss : Je suis en train d'écrire un livre sur leurs conséquences éthiques, car je crois là aussi qu'il faut recadrer le débat. Certes, grâce à l'imagerie cérébrale fonctionnelle, on essaie d'observer les réseaux de cellules que le cerveau utilise pendant une activité intellectuelle. Mais, outre les conditions de l'expérience (tâche arbitrairement fixée par l'expérimentateur, répétition, laboratoire…), n'oublions pas que l'on observe le cerveau en entier (une machine permanente qui consomme environ 1/3 de l'énergie produite par notre organisme), et de façon indirecte (on ne regarde pas l'activité du neurone mais sa consommation d'énergie, c'est-à-dire l'activité des cellules gliales qui l'entourent). De plus, on ne sait pas très bien ce qu'est l'activité cérébrale : on a toujours tendance à penser qu'une zone qui consomme plus d'énergie est plus active, donc plus importante. Mais les zones silencieuses sont peut-être tout aussi importantes, par leur façon d'être silencieuses ou par leur timing ? Un phénomène n'est pas toujours positif parce qu'il est en plus – encore une fois, si on n'avait pas ces trous entre les doigts, on ne les bougerait pas.

Alors, prétendre avoir localisé dans un groupe de cellules la zone du regret, de la prise de décision ou de l'homosexualité, c'est faire la même bêtise que l'inventeur de la phrénologie au début du XIXè siècle, le physiologiste suisse Franz-Joseph Gall : parti d'une bonne idée – le cerveau est un organe au même titre que les autres, il faut regarder comment il fonctionne –, il s'était mis à chercher à la surface de celui des mathématiciens… la bosse des maths ! Chercher la zone des maths sur une image, c'est inventer une nouvelle phrénologie. Oui, la partie frontale du cerveau est particulièrement impliquée dans des tâches complexes nous mettant en rapport avec d'autres individus : tâches sociales, réflexion, prise de décision à long terme. Oui, l'amygdale, une petite amande au centre du cerveau, est impliquée dans la perception de nos réactions viscérales, et donc plutôt liée à des phénomènes émotionnels. L'intéressant, c'est de se demander où cette connaissance mène, pas de se dire : "puisque l'amygdale est active quand on prend des décisions financières, c'est de l'émotion" – ce qui est faux. Seuls les margoulins pensent qu'en mettant une fille nue à côté d'un produit, on déclenche une réaction de l'amygdale qui stimule l'acte d'achat !

En.marge : Il existe pourtant des firmes de "neuromarketing", dont un grand centre à Atlanta financé entre autres par Coca-Cola ?

Hervé Chneiweiss : Mais ça ne marche pas. Certes, on peut créer de l'émotion et déclencher l'activité de l'amygdale, et tenter de "vendre du temps de cervelle disponible". Mais ça n'a rien à voir avec ce que les neurosciences sont capables de dire du fonctionnement cérébral.

En.marge : Doit-on en conclure qu'elles soulèvent moins de questions éthiques que le clonage ou les manipulations génétiques ?

Hervé Chneiweiss : Certainement pas ! Les neurosciences posent des questions cruciales, qui n'ont simplement pas encore été abordées. Prenons un exemple simple, déjà actuel : le syndrome des enfants agités ou "déficit attentionnel avec état d'agitation". Les bonnes nomenclatures psychiatriques disent qu'il peut toucher 5 a 7 % des enfants, surtout des garçons. Or, dans les banlieues favorisées de Washington, plus de 30% des garçons sont traités par la ritaline, le médicament servant à soigner ce syndrome. Etrange, une telle concentration ! A l'évidence, dans ces quartiers, on veut des enfants sages. Dès qu'un enfant est un peu remuant ou embête la maîtresse, hop ! on l'envoie chez le psychiatre et on le met en traitement. On a quitté le champ des connaissances du cerveau et de leur application médicale, pour entrer dans le contrôle des comportements. On n'est plus dans la science, mais dans la sociologie. Ou même la politique, si l'on songe aux antidépresseurs qu'on pourrait mettre dans la nourriture comme on ajoute du calcium dans les cornflakes. On serait tous heureux, bien, mieux… Et demain, si l'on trouve des molécules pour améliorer la mémoire et soulager la maladie d'Alzheimer, comment – faut-il ? – en encadrer l'utilisation pour améliorer nos performances ? Qui empêchera un juge de les prescrire pour que des témoins se souviennent mieux ? Ne pourrait-on pas employer l'imagerie cérébrale ou quelques molécules pour que les méchants terroristes parlent tout de suite ? Ou implanter des prothèses, au début pour corriger un tic, ensuite  pour penser plus vite ou autrement ?

En.marge :  Comment, et où, fixer la limite ?

Hervé Chneiweiss : Voilà ! Et mon rôle de scientifique n'est certainement pas d'essayer de la fixer, il est de développer les connaissances et de les mettre à la disposition du plus grand nombre, en essayant d'éclairer sur leurs applications potentielles. C'est à la société de décider, et c'est là que le problème se pose : les gens veulent être informés, et en même temps ils ont peur de faire des choix et demandent : "Qu'est-ce qui est le mieux ?" Certains scientifiques sont tentés de répondre, mais ce mieux ne sera jamais que le mieux… pour eux. Beaucoup de gens s'en contentent. Mais le vrai et bon usage de la démocratie, c'est de comprendre, de s'informer, d'argumenter, de débattre et, à un moment donné, de faire des choix collectifs.

En.marge : Mais pour donner les bons conseils, le mieux placé n'est-il pas "celui qui sait" ?

Hervé Chneiweiss : Celui qui sait n'en sait toujours qu'un bout ! Il faut donc, déjà, une pluralité de l'expertise. De plus, la science est une dynamique : le savoir d'aujourd'hui n'est qu'une partie du savoir de demain, qui le validera ou le remettra en cause. Donc, en tant qu'expert, d'une certaine façon je suis toujours un expert du passé. "La prévision est un art difficile, surtout quand il s'agit de l'avenir", disait Alphonse Allais. C'est vrai en science aussi : à partir des données d'aujourd'hui, je peux donner les hypothèses qui sont formulées sur l'avenir. Mais ensuite, il faut des choix sociaux, objectifs, ou alors ce sont des choix "par défaut", comme pour Iter, auquel aucun physicien n'est favorable aujourd'hui.

 

(1)     Editions Alvik Editions, 2003

(2)     Découvreur, avec Francis Crick, de la structure de l'ADN, en 1953. Prix Nobel en 1962.

 

 

*EN PLUS SI YA LA PLACE

En.marge : Parmi ces  hypothèses figure l'utérus artificiel dont parle Henri Atlan, en disant peu ou prou : " Le jour où il sera au point, comment voulez-vous interdire à une femme de l'utiliser ? Ce ne serait pas démocratique !"

Hervé Chneiweiss : Pour certains, comme l'ethnologue Maurice Godelier, ce serait même dans la logique de l'évolution de la société. On est ici à la croisée de trois révolutions. Premièrement, l'autonomisation de l'enfant : autrefois soumis à ses parents, il est devenu une personne avec des droits reconnus. Deuxièmement, on a dissocié la sexualité de la reproduction biologique : l'homosexualité par exemple, hier crime contre la nature, est devenue un comportement social. Troisièmement, la reproduction a quitté le monde de la biologie naturelle : on peut obtenir des œufs in vitro, le diagnostic préimplantatoire permet de repérer des maladies incurables. Si vous combinez ces trois phénomènes – et compte tenu de la demande grandissante de sécurité – la question va être : jusqu'où reculer l'autonomie de l'enfant, son droit à mener une vie saine et heureuse ? Pourquoi lui faire prendre le risque de se développer dans le ventre d'une mère qui n'a peut-être pas tous les bons paramètres biologiques ? Pourquoi, dans un monde où la sexualité est distinguée de la parentalité, refuser celle-ci aux homosexuels ? On voit qu'il s'agit là d'un choix social. On peut envisager, par exemple, qu'un jury choisi par la société sera chargé, un jour, de déterminer si un couple fera de bons parents. Je ne dis pas que ce sont mes choix, mais que tout ceci n'est pas de la science-fiction. Sociologiquement, cela se passe en ce moment : le diagnostic préimplantatoire en donne une preuve médicale et la banque de sperme de prix Nobel en est la caricature.

En.marge : Comment s'enthousiasmer pour la science aujourd'hui ?

Hervé Chneiweiss : Il faudrait commencer par ne pas en dégoûter ! L'utiliser à l'école pour émerveiller, ouvrir sur le monde et faire prendre conscience des problèmes, et non pour sélectionner et castrer les enfants en disant : "Vous n'êtes bons que si vous avez de bonnes notes en maths". Tant qu'il y aura cette vision – la science n'est pas une culture comme les autres mais un outil de sélection – on aura du mal ! Les scientifiques ont d'ailleurs une responsabilité : mal considérés, sous-payés, suspectés de tous les crimes, ils ont un petit côté revanchard, "moi j'étais bon en classe",  qui n'arrange rien.

 

Un article pour Nouvelles Clés  

 

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