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A l'origine du couple Mais quelle est donc
cette force irrésistible qui pousse l'homme et la femme l'un vers
l'autre, et depuis si longtemps ? Quel est cet élan qui nous attire comme
des aimants malgré toutes nos différences ? En premier lieu, une loi
d'airain inscrite en nous par la nature et par la vie elle-même :
l'instinct de reproduction. Tout organisme vivant – c'est-à-dire mortel
– porte en lui le désir, plus ou moins prononcé, de perpétuer son espèce.
D'ailleurs, on peut ainsi mentionner, avec quelque verdeur, que le mot
"couple" vient comme copulation du latin copula (lien,
chaîne) et se retrouve dans "accouplement", histoire de ne pas
oublier que nous partageons 98% de nos gènes avec les chimpanzés. Les
humains n'échappent pas à la règle biologique qui régit les plantes et
les animaux. Ils doivent se reproduire pour faire durer la vie. Cet héritage
animal pèse lourd : la procréation reste la première condition de
survie de l'humanité. "Nous en serons
bientôt délivrés !", prédisent les adeptes de la science comme
les dénonciateurs de sa folie. Il suffira en effet de réaliser le
clonage humain pour que reproduction ne rime plus avec couple et sexualité.
Une perspective qui vient nous rappeler l'importance de ces 2% de différence
génétique, car un célèbre "chaînon manquant" et un énorme
saut évolutif nous séparent de nos cousins primates. En fait, depuis le
premier outil, l'histoire humaine n'est qu'une succession d'inventions
destinées à nous sortir de la condition animale. La culture s'est ainsi
ajoutée à la nature, au point d'en être aujourd'hui très éloignée,
principalement chez nous où le mot couple s'est dissocié de celui de
famille, à mesure que devenaient plus courantes des situations autrefois
marginales (divorces, familles recomposées ou monoparentales, couples
homosexuels…). Il paraît donc bien vain de rechercher dans le monde
animal un quelconque modèle du couple, cette organisation éminemment
sociale adoptée par les humains pour faire fructifier leur espèce. Encore que !
Physiquement et dans beaucoup de nos comportements, nous restons marqués
par notre origine animale. Et en matière "sociale", les
chimpanzés ne nous ont pas attendus pour promulguer à leur façon
l'interdit de l'inceste, considéré par beaucoup comme le premier signe
de culture (et la condition sine qua non d'une société humaine). A la
différence des autres espèces, qui éloignent généralement les jeunes
mâles de leur groupe de naissance, les chimpanzés en chassent les jeunes
femelles lorsqu'elles arrivent en âge de procréer. Il leur faudra s'intégrer
dans un autre groupe, ce qui se traduit souvent tout d'abord par la
rencontre d'un jeune mâle, avec lequel s'établira une relation qui
restera longtemps – ou non – privilégiée. Mais difficile d'aller
plus loin dans les comparaisons. Car la nature est si riche qu'elle offre
absolument tous les modèles ! La différence ne semble pas énorme entre
le harem de femelles regroupées sous la houlette d'un mâle unique (comme
c'est la règle chez les marmottes, les lapins, les otaries ou les
chevaux), et le harem avec mâle dominant (les autres mâles, sans être
exclus du groupe, ne participent pas à la procréation). Mais on compte
aussi des couples fidèles pour la vie chez de nombreux oiseaux ou chez
des mammifères comme le hérisson, la palme revenant au castor (si on opère
le mâle pour le rendre stérile, sa compagne ne procréera jamais). Ou
encore de joyeuses bandes indifférenciées où l'échangisme semble de
rigueur, quoiqu'il débouche souvent, après les naissances, sur des
regroupements relativement stables (cétacés). On compte surtout
d'innombrables exceptions : dans chaque espèce ou presque, certains
individus choisissent une autre voie : nombre de loups, renards ou chevaux
forment ainsi des couples exclusifs et durables. Les primates, pour ne
parler que d'eux puisque notre espèce en fait officiellement partie, nous
offrent également tous les choix : tandis que les gorilles vivent sous le
régime du mâle dominant, les gibbons constituent souvent des couples,
l'orang-outan préfère le célibat (la femelle vit seule avec son petit
jusqu'à 4 ans), les chimpanzés restant les moins regardants. Les bonobos,
dont nous serions encore plus proches, ont trouvé (via une plus grande
disponibilité sexuelle des femelles) un moyen spécifique de diminuer
l'agressivité régnant entre les mâles : après la bagarre, et parfois même
pour l'éviter, les femelles s'offrent spontanément, au vainqueur comme
au vaincu ! Elles savent aussi calmer les conflits entre elles en
pratiquant force caresses et attouchements. Tous les modèles existent
dans la nature, mais nous ne pouvons nous appuyer sur aucun pour affirmer
que l'un, plutôt qu'un autre, correspond ou convient le plus à l'homme.
L'humanité est un règne à part, avec une histoire qui lui est propre. C'est donc avec une
grande prudence que l'on dira que le couple est "inscrit dans nos gènes".
Surtout dans la forme patriarcale qui semble s'être imposée dans toutes
les sociétés : il suffit de voir une jument cheffe de troupeau se
rebiffer contre un étalon pour comprendre que le célèbre modèle du mâle
dominant est avant tout… le reflet d'un modèle culturel, issu d'une
explication masculine du monde. Dans le vrai monde animal, Monsieur ne
mange pas toujours le premier. On pourrait tout aussi bien observer, en
chaussant d'autres "lunettes", que le mâle dominant n'est guère
qu'un prince consort au privilège fort limité; et en conclure que, comme
les éléphantes le montrent avec évidence, la plupart des espèces
vivent sous un régime matriarcal avec présence plus ou moins tolérée
d'un mâle sélectionné pour son aptitude à profiter du privilège concédé.
Car si seules des leçons très générales peuvent être tirées de
l'observation de la nature, on notera au moins celle-ci : dans l'immense
majorité des cas, en ce qui concerne la perpétuation de l'espèce, le rôle
du mâle se résume à un acte aussi ardemment désiré… que vite oublié. Il n'en va pas tout à
fait de même chez les humains, en partie pourtant pour une raison tout
aussi animale : la naissance prématurée et la lenteur de la croissance
des petits retardent leur accession à l'autonomie. Un bébé humain
abandonné à lui-même ne meurt pas seulement dans les quelques heures
qui suivent sa naissance, comme beaucoup d'animaux. Cette dépendance va
durer très longtemps. L'humain est le seul être vivant qui a besoin
d'une extrême attention pour se développer. Il naît avec un cerveau
inachevé et c'est le langage, l'échange, la culture qui le feront
humain. Les soins devenant éducation, de plus en plus longue à mesure
qu'apparaissaient les outils, l'entraide entre générations est-elle
devenue entraide entre sexes pour perpétuer la vie ? Une répartition des
tâches semble découler de ce constat, dirigeant la femme vers le soin du
foyer et des enfants et l'homme, vers l'extérieur.
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