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Adam et Eve et leurs enfants

L'Occident compte évidemment aussi son couple mythique primordial, mais il va rapidement prendre une autre direction. La comparaison s'arrête là en effet, car la Bible, en faisant de la création l'œuvre d'un seul dieu, ne laisse à Adam et Eve que le vilain rôle : parents de l'humanité seulement, et responsables du péché. Et encore, quel couple inégal ! L'homme est créé d'abord ("Il le créa à l'image de Dieu, Il le créa mâle et femelle, Il les créa", dit le texte hébreu en Genèse I:27). La femme ne vient qu'ensuite, quand Dieu, après avoir chargé l'homme de nommer les choses tout en lui interdisant la connaissance du bien et du mal, décide qu'il "n'est pas bon que l'homme soit seul" et qu'il lui faut "une aide semblable à lui" (Gen. 2:18). Et voilà la femme, formée à partir de la côte de l'homme ("à côté", plutôt ?), "chair de sa chair" et bien vite responsable du grand péché : la transgression de l'interdit, la découverte de la connaissance du bien et du mal. Chassé du Paradis, le couple se retrouve condamné à la discorde, à la mortalité et au travail, et la femme, plus particulièrement, à subir la souffrance de l'enfantement et la domination masculine (Gen.. 3:16).

En quelques phrases, la cause est entendue, et c'est alors seulement que la Bible leur accorde un nom ! Adam et Eve, le premier couple, est maudit (Caïn son premier fils tuera d'ailleurs Abel, le second)… et la longue histoire des misères et grandeurs humaines peut commencer, avec la femme plus souvent du côté des misères que des grandeurs, à l'homme plus souvent accordées. C'est donc sur une lignée de patriarches que s'appuie tout le livre fondateur de notre civilisation, reflétant son état de départ et justifiant à l'avance sa profonde injustice. Et il faut interpréter plus que lire le texte pour voir se révéler, entre les lignes, un tout autre projet, messianique et libérateur, qui va bien au-delà de l'Alliance privilégiée entre le judaïsme et son Dieu : la proclamation de l'amour - et non plus de la norme ou de la nécessité - comme fondement du couple.

Car tous les couples importants de la Bible sont des couples amoureux, comme le montre le fait qu'il leur faut souvent surmonter des années d'attente avant le mariage ou l'enfantement. Jacob épousera finalement sa Rachel. Abraham et Sarah, Isaac et Rebecca auront finalement des enfants (et d'autres couples encore, car la stérilité, évidemment toujours féminine, est un intéressant leitmotiv). Le choix amoureux, même s'il n'appartient qu'aux hommes, prévaut sur le destin. Plus encore : bien que soumises au contrôle divin et à ses justes rétributions, leurs "petites" histoires de couple s'avèrent toujours extrêmement déterminantes. Quand Sarah a enfin un enfant d'Abraham, elle pousse son mari à chasser sa servante égyptienne Agar, dont il a eu un fils, Ismaël. N'est-elle pas l'épouse légitime (et Agar, quelque peu arrogante) ? On est loin de la reconnaissance de droits pour les enfants nés hors du mariage, mais l'héritage n'en est pas moins là : réfugié dans le désert, Ismaël deviendra le père des tribus bédouines, l'ancêtre des Arabes. Cette histoire de famille, racontée par un mythe (Sarah enfante à 90 ans !), sert encore de source "historique" à l'animosité entre deux peuples.

Les grands couples bibliques reflètent évidemment la domination masculine qui régnait à leur époque. Mais il s'y exprime un face à face, une complémentarité, une prise de responsabilité par la femme, qui ne correspondent pas à la caricature que l'on peut faire de ces sociétés. Serait-ce pour loger, au cœur de ce modèle, l'amour et son projet plus équitable ? Isaac (fils de Sarah et Abraham), lors de sa nuit de noces, "aime" Rebecca et ne se contente pas de la "connaître". Beaucoup plus tard, quand Isaac mourant veut bénir son fils aîné Esaü, Rebecca substitue Jacob à ce dernier pour recevoir la bénédiction paternelle. Mais Isaac ne la condamne pas pour cette ruse. Au contraire, il entérine son choix. A-t-il senti qu'elle suivait là le plan divin, ou compris qu'elle avait simplement raison de préférer Jacob ("homme tranquille qui restait sous les tentes") à Esaü le chasseur trop terre à terre, sans valeurs, vendeur de son droit d'aînesse pour un plat de lentilles ?

De nombreux exégètes, lisant de près le texte, considèrent que la Bible propose à  l'homme et à la femme un parcours d'union destiné à voir se réaliser la prophétie annoncée au début, lors de la création d'Eve : "l'homme quittera son père et sa mère, il s'attachera à sa femme et ils deviendront une seule chair". Et quant à cette "aide semblable à lui" qui sert avant même cette création à définir la position de la femme vis à vis de l'homme, la tradition juive (le Talmud) commente en disant : lorsqu'il est bon, elle le soutient, lorsqu'il est mauvais, elle se dresse contre lui. C'est par le couple que l'homme, créé "semblable à Dieu, mâle et femelle", peut le redevenir.

"Tu ne commettras pas d'adultère", ordonne le septième Commandement. Doit-on en vouloir au reste du Livre de condamner celui des femmes plus durement que l'inverse lorsque, sortant de la Révélation, il prescrit des lois plus précises pour une société de pasteurs, tribale autant que patriarcale, violente, archaïque et perpétuellement menacée dans sa survie ? Ou faut-il se réjouir que des restrictions soient apportées au pouvoir de répudiation octroyé au mari, que des arrangements soient trouvés (comme le Get, sorte de divorce pour mésentente) ? C'est sans doute inutile, car on pourrait discuter longtemps sur l'universalité ou, au contraire, la relativité historique des préceptes bibliques. Et si le respect et l'amour semblent présents, comme un projet de sortie de l'animalité, dans la défense du couple ou les grands exemples qui en sont donnés; ce couple n'en reste pas moins un espace de domination et de propriété. Comme l'indique un autre Commandement, la femme d'autrui fait partie des biens qu'il ne faut pas convoiter, tout comme maison, serviteurs, bœuf, âne ou toute autre "chose qui appartienne à ton prochain".



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