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L'héritage grec
Il ne faudrait pas croire, parce qu'il semble plus urbain, que notre autre héritage culturel fasse une meilleure part à la femme dans le couple. Venu de la Grèce antique, transmis en partie par Rome (qui sur ce point eut une autre vision), redécouvert au moment des Croisades puis à la Renaissance, il nous laisse au contraire les premières justifications raisonnées et argumentées de l'infériorité manifeste de la femme. Dès Pythagore, le mathématicien, une table d'oppositions place l'élément féminin du côté de l'illimité, du multiple, du trouble, de l'obscurité, de la sauvagerie. Au masculin reviennent la lumière, la droiture, la civilisation. Selon le philosophe Aristote, la femme est tout juste supérieure à l'esclave. Seule la femme perd du sang inutilement et sans pouvoir le contrôler, alors que l'homme ne le donne qu'au combat. Seul l'homme engendre, la femme porte et nourrit, seule la jouissance masculine est nécessaire à la procréation. Le plaisir féminin, plus mystérieux sans doute, témoigne d'une tendance naturelle à la débauche et à l'animalité. "L’union qui joint les couples est traîtreusement vaincue par le désir sans frein qui dompte la femelle, chez l’homme comme chez la bête", écrit Eschyle le tragédien. Quant à Platon, autre philosophe et adversaire d'Aristote, loin de prôner l'égalité entre les sexes il se contente de proposer une utilisation optimale de leurs qualités respectives : aux femmes, le soin de la maison, des enfants et de l'homme; aux hommes tout le reste. Ce ne sera pas la première fois que l'entente se fait autour d'un mépris partagé envers la gente féminine ! 
Les dieux sont tout aussi inégaux. Les mâles s'en donnent à cœur joie, tout leur est permis, la fidélité n'est pas de mise. Héra ne parvient jamais à se venger des infidélités de Zeus, ni en envoyant des serpents contre son fils illégitime (Héraclès, qui les tue), ni quand elle essaye d'engendrer seule (elle donne naissance à Héphaïstos, monstre difforme qu'elle n'aimera jamais). Les déesses qui réussissent, par contre, sont celles qui se conforment à des modèles masculins. On vénère Artémis car elle est fille de Zeus et sœur jumelle d'Apollon, dont elle possède la rigueur, la probité et l'amour de l'ordre. "Zeus a fait d'elle un lion parmi les femmes", écrit Homère dans L'Iliade. Comme telle, elle les protège, elle préside aux accouchements, veille sur les enfants. On vénère Athéna parce qu'elle a choisi de rester vierge et farouche, d'être un guerrier dans un corps de femme. Elle a vaincu les Géants, inventé le mors pour maîtriser le cheval, l'art de conduire un attelage et surtout, instituant la séparation (qui restera poreuse !) entre le monde des dieux et celui des hommes, elle a fondé la Cité (dont Athènes, évidemment).
On vénère tant de dieux et de déesses en Grèce qu'il y a largement place pour enrichir ce discours, et glorifier la femme pour toutes ses qualités, mais seulement celles que l'homme aime idéaliser, et surtout quand il peut trouver en lui-même des vertus comparables. Hestia "la bienveillante", gardienne du foyer, est ainsi le double complémentaire d'Hermès, dont l'une des tâches consiste à aider les jeunes femmes dans leur intégration à la famille de leur mari. Aphrodite, déesse de l'amour, renferme en elle seule ce qu'il faut deux dieux mâles (Apollon et Dionysos) pour représenter : à la fois l'ordre et le chaos. Elle préside à l'harmonie des couples mais aussi au désordre érotique. Toujours accompagnée de son fils Eros, elle est la cause première de la procréation mais vient sans cesse, armée de son pouvoir de séduction dévastateur, troubler l'ordre social et la paix des familles.
Serait-ce déjà, et forgeant des modèles culturels promis à perdurer, la preuve d'une incapacité de l'intelligence masculine à intégrer la femme dans un discours philosophique, parce qu'elle lui semble trop contradictoire et pour tout dire, inconnue ? Les femmes, comme l'esclavage, sont les grandes absentes de la cité grecque et de son idéal de démocratie. Xénophon peut insister sur l'importance du rôle de l'épouse dans le succès d'un couple, Aristophane peut faire le portrait de fortes femmes qui font la grève du sexe (et s'emparent du trésor public !) pour obliger les hommes à arrêter la guerre (Lysistrata), Socrate peut apprécier Aspasie de Milet pour son intelligence, rien n'y fait. Aspasie fournira un nouveau modèle (la courtisane, concubine de Périclès, prête à tout pour obtenir le statut de citoyen athénien pour son fils), Lysistrata fera office de première Pasionaria pacifiste, mais le couple reste une institution où l'homme doit commander. Car il s'agit, surtout, de maîtriser cette sauvagerie féminine qui, lors des fêtes de Dionysos, sombre inexorablement dans l'ivresse et la lubricité. Qu'on se garde pourtant de vouloir la maîtriser totalement, comme Euripide le montre dans les Bacchantes ! Le roi de Thèbes, pour avoir voulu régir le culte de Dionysos, subit les foudres de ces célèbres folles chasseresses qui le tuent et ruinent son royaume.

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