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HIC ET NUNC CEREBRAL
Vivre ici et maintenant vous paraît difficile ? Rien de plus normal, notre cerveau n’est pas fait pour ça. Avec son lobe frontal d’homo sapiens, il a pour principale fonction de prévoir et d’imaginer l’avenir, à partir des données des sens et des souvenirs. Vivre dans le présent serait donc plus facile si nous en étions restés au stade animal, quand la vigilance au présent était la condition de la survie. Pour l’humain, c’est anticiper qui est vital. Mais notre lobe frontal, tout indispensable qu’il soit, peut nous jouer des tours ! En regrettant le passé, en espérant l’avenir, on rate la saveur et la richesse de l’instant. On peut aussi se perdre dans ses pensées au point de provoquer un accident.
Pour vivre en conscience dans le présent, il faut donc faire attention. Mais à quoi, et comment ? Vaste sujet pour les neuropsychologues, cette faculté prend à leurs yeux plusieurs formes : « endogène », elle est déclenchée de l’intérieur, « exogène », c’est l’environnement qui la sollicite par le biais des sens. Dans les deux cas, l’attention peut agir comme un scanner, balayant sans s’y arrêter les pensées ou les sensations – c’est l’attention diffuse de la méditation. Mais elle peut aussi se concentrer, comme un faisceau étroit, sur une perception ou une tâche – attention sélective du centrage sur soi-même, de l’écoute, de la contemplation. Difficile d’harmoniser tout cela, d’autant que notre cerveau ne dispose pas d’une zone spéciale de l’attention. Disséminée au contraire dans toutes les aires cérébrales, avec une préférence pour celles dévolues aux sens, l’attention peut ainsi se focaliser où et comme elle le veut, et en cas d’urgence, comme il le faut. A une réserve près : plus elle se concentre, moins elle peut s’occuper du reste. 
L’art de vivre au présent consisterait donc à élargir nos différentes facultés d’attention. Ce travail repose évidemment sur un retour aux sens. « Il n’est rien dans l’esprit qui ne soit d’abord passé par eux, rappelle David Le Breton, professeur à l’université de Strasbourg et auteur d’un livre sur leur anthropologie. L’expérience quotidienne tend à occulter ce foisonnement sensoriel et pourtant, tout notre rapport au monde en dépend. A tout moment nous décodons sensoriellement le monde, physiquement mais aussi symboliquement, car nos perceptions sont aussi influencées par la société. » Mais nous le faisons inconsciemment. La voie semble tracée : pour vivre dans le présent, il faut rendre nos perceptions sensorielles plus conscientes.
L’expérience sensorielle totale
Quoi de mieux, pour ce retour aux sens, que de profiter des plaisirs qu’ils offrent ? La vie n’est pas avare d’occasions. « La sexualité s’impose comme premier exemple, estime David Le Breton, parce qu’elle constitue une expérience sensorielle totale : elle est plaisante et engage tous les sens. Freud citait la vue du corps de l’autre comme principal facteur de stimulation, mais toucher sa peau, goûter ses lèvres, respirer son odeur, entendre ses mots d’amour et ses gémissements comptent tout autant. On peut donner comme autre exemple le plaisir que procure un bon repas. »
La comparaison n’est pas excessive, toutes les langues ont leurs métaphores culinaro-sexuelles, « belle à croquer » par exemple. Sexe et cuisine nous donnent le même message : marier et croiser les sens est gage de richesse. Les amoureux pourront songer à tenter le Tantra. Gourmets et cordons bleus, à goûter des yeux et même des oreilles. Ecoutez le pétillement du champagne, le chuintement de la bière ou le glouglou du vin ! 
Les méthodes de recentrage psycho-corporelles
Elles sont aujourd’hui nombreuses ! Seule solution : s’informer, essayer, choisir en fonction de soi-même et ensuite, pratiquer régulièrement. Citons le yoga pour ses postures et son calme, le reiki ou le shiatsu pour leur toucher subtil, la méthode Feldenkrais, les arts martiaux ou la danse pour leur attention au mouvement. Toutes visent, à leur façon, à renforcer le lien entre corps et esprit, garant d’une bonne présence au monde, en se reconnectant aux sens par la prise de conscience, la maîtrise et la coordination. Toutes insistent sur la respiration ventrale, qui agit sur le diaphragme plutôt que sur la cage thoracique. L’exercice consiste simplement à se tenir droit (debout, assis ou couché, peu importe), à expirer à fond (nous le faisons trop rarement), puis à entamer une série de respirations profondes et lentes où l’on gonfle et dégonfle le ventre avant la poitrine à chaque inspiration et expiration. Pratiqué aux moments de pause, c’est un moyen simple de se recentrer au quotidien.
Les pratiques d’un art de vivre dans l’instant
Bien des activités apparemment banales peuvent offrir l’occasion de s’entraîner à vivre ici et maintenant, et l’on doit à l’Asie de les avoir formalisées par des rituels ne faisant appel à aucune transcendance. Préparer, servir et déguster le thé est ainsi devenu un art, où la perfection des gestes doit refléter la beauté des objets. L’arrangement floral (ikebana au Japon) vise à projeter l’harmonie entre soi, la nature et l’instant, dans un bouquet qui, périssable, témoignera de leur impermanence. Le calligraphe chinois, en quelques traits de pinceau, montre sa parfaite connaissance de l’idéogramme tout en lui insufflant sa marque, fruit de son état du moment. L’art du haïku pousse cette logique un cran plus loin vers l’abstraction : il faut exprimer l’éphémère (évocation obligatoire de la nature ou d’une saison) dans un poème aux formes très figées (3 vers de 5, 7 et 5 pieds, verbe au présent, phrase incomplète, césure). Le point commun de ces pratiques est bien de sanctifier l’instant.
Les pratiques méditatives et contemplatives 
Avec elles, l’ici et maintenant devient très subtil. Mais on aurait tort de croire que la méditation vise à nous couper du monde, ou que la contemplation ne cultive que le sens de la vue. Contempler une bougie, ce n’est pas la fixer des yeux au point de ne plus rien entendre du tout. C’est l’accueillir en soi pour affiner sa perception, tout en restant attentif aux messages transmis par les autres sens. De même, méditer n’est pas fermer les yeux pour se plonger dans d’obscures pensées, mais laisser défiler sans s’y arrêter pensées, émotions et sensations, comme des nuages dans le ciel. Ainsi apprend-on à être présent au monde en même temps qu’à soi-même. Mais contemplation et méditation ne sont pas innées, elles demandent pratique et entraînement. Quelle que soit la méthode choisie, il convient d’adopter, selon Marc de Smedt, auteur d’un ouvrage sur les pratiques d’éveil, « une posture juste, une respiration profonde, l’attention à l’instant et au corps, la purification du mental et l’être au monde. »(1)
A LIRE
La Saveur du Monde, de David Le Breton. Un essai facile à lire, riche en citations et ouvert sur toutes les cultures, à la découverte de chacun de nos sens et de ses richesses (Métailié, 2006).
Techniques de méditation et pratiques d’éveil, de Marc de Smedt, expose les principales pratiques méditatives issues de la tradition, tout en donnant les recettes de l’auteur (Albin Michel, 1983). 

Que n'ai-je un pinceau
Qui puisse peindre les fleurs du prunier
Avec leur parfum!
Shôha (1727-1771)
                                                                                     Un article pour Psychologies Magazine

 

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