L'ANTIQUITE

            Nous sommes il y a 4 500 ans ou presque. L'Europe de l'ouest, où se trouve la France, est un pays boisé, giboyeux et fertile. Il attire, venues de l'est, plusieurs grandes vagues de Celtes, nos ancêtres en quelque sorte. Chaque migration poussait l'autre vers l'Ouest, ce qui fait qu'ils arrivèrent en France en plusieurs fois, occupèrent la péninsule ibérique, les îles de l'ouest qu'on appelle aujourd'hui l'Irlande et la Grande Bretagne. De nos jours, on les retrouve (enfin, en cherchant bien!) en Irlande, en Ecosse, au Pays de Galles, en Bretagne et en Galice. Ils furent d'excellents agriculteurs et artisans; leurs produits circulaient dans toute l'Europe. Ils étaient organisés en tribus regroupant plusieurs villages, chaque village ayant des esclaves, des agriculteurs, des artisans, des guerriers, un chef et au dessus du chef un druide, mélange de médecin, de savant et de prêtre. Ils passaient pas mal de temps à se bagarrer entre tribus, mais cependant tenaient chaque année de grandes réunions où les chefs et les druides de toutes les tribus se rencontraient, pour dis­cuter, échanger des recettes, des remèdes et se payer quelques sangliers bien rôtis. Cependant, ils furent incapables de s'unir véritablement contre leurs ennemis communs, et furent battus plusieurs fois par les Romains, jusqu'à ce que finalement, malgré la résistance acharnée du grand chef Vercingétorix, La Gaule soit envahie définitivement par Jules César et ses légions romaines vers l'an 50 avant Jésus Christ.

            Vers ce moment-là, Rome atteint le sommet de sa puissan­ce: elle domine le monde tel qu'elle le connaît, c'est à dire en fait l'Europe, l'Afrique du nord et le Moyen Orient. Les Romains sont les maîtres partout, de l'Angleterre à l'Egypte, de Gibraltar au Rhin, de la Palestine au Maroc. Ils ont adopté un grand nombre de coutumes et d'idées venues de Grèce, une autre civilisation dont il faudrait parler car elle est très importante, surtout du point de vue culturel. Mais mieux organisés que les Grecs et surtout beaucoup plus pratiques et matérialistes, c'est par la conquête et l'administration rigoureuse des peuples conquis que les Romains vont s'imposer. Ils construisent partout des villes, avec des bains et d'énormes aqueducs pour amener l'eau, des routes, des ponts en pierre, des temples dédiés à leurs dieux. Ils retiennent au Nord et à l'Est les tribus barbares qui voudraient bien profiter un peu de leur richesse et de leur organisation. Peu à peu Rome et son Empire deviennent chrétiens, ce qui ne les empêche pourtant pas de devenir de plus en plus décadents, les empereurs fous succédant aux empereurs soldats et laissant l'empire se pourrir lentement de l'intérieur jusqu'à ce que finalement tout s'écroule en une dizaine d'années à peine, vers l'an 4OO, sous la poussée irrésistible des bandes de barbares venus de l'Est. En 410 Rome est détruite, la Gaule romaine est envahie, démantibulée, partagée entre les envahisseurs qui se battent entre eux. Fin de la Gaule, début de la France.

            L'histoire plus complète de la Grèce antique et de Rome mériterait d'être contée, car on s'aperçoit qu'il y a un nombre incroyable de choses qui nous viennent de cette époque et qui nous sont restées, et je ne parle pas seulement des ruines des arènes de Nîmes, du port d'Agde ou des traces des voies romaines qui couvraient toute l'Europe. La plupart des mots français, italiens, espagnols et portugais viennent du latin, la langue que parlaient les Romains et qui elle-même vient d'ailleurs du grec. Beaucoup de nos lois sont inspirées du Droit romain, et beaucoup de nos idées de la philosophie grecque (du grec philos "ami" et sophia "sagesse"). Il y a trois choses qu'il faut retenir de cette époque pour compren­dre ce qui va se passer par la suite:

1°) Une grande civilisation peut très bien disparaître : les humains retombent dans un état primitif qu'on croyait oublié depuis longtemps, et il leur faut des siècles pour redevenir aussi civilisés que leurs ancêtres.

2°) La conquête de la Gaule par les Romains fut la seule fois dans l'histoire où le pays qu'on appelle maintenant la France fut envahi avec succès par des troupes venues du sud. Les Arabes tenteront le coup mais se planteront complètement. Cela n'arrivera plus jusqu'en 1945, quand l'armée américaine aidée de quelques français libéra le pays des nazis allemands qui l'occupaient. Et encore, le gros de cette armée avait d'abord attaqué en débarquant en Normandie. Cela s'explique en grande partie par la géographie : la France est bien protégée au sud par les Pyrénées et les Alpes, alors que rien ne la défend au nord et à l'est, par où sont passées presque toutes les armées qui l'ont attaquée dans les siècles qui suivirent.

3°) Puisque les Barbares envahissent la Gaule en cassant tout sur leur passage, que les villes gallo-romaines sont détruites ou abandonnées, que les voies romaines sont laissées aux ronces et aux orties, que le gouvernement s'écroule et que le pays sombre dans le désordre le plus complet, comment ce fait-il qu'il nous soit resté tant de choses des Romains ? La réponse, c'est que les Romains ont laissé derrière eux une chose qui va rester pour toujours et qui va prendre une importance de plus en plus grande: la religion chrétienne.

            Déjà du temps des Romains, les prêtres ont converti les druides (ceux qui résistent seront plus tard massacrés), et la vieille religion celte a pratiquement disparu, sauf en Bretagne où elle existera longtemps en cachette. Certaines fêtes et tradi­tions, trop profondément ancrées dans la vie des gens pour dispa­raître, vont être reprises par le Christianisme, c'est-à-dire qu'on va faire comme si elles en avaient toujours fait partie. Par exemple, la grande fête celte de l'été, où on faisait de grands feux pour célébrer le dieu‑soleil, va devenir la Saint Jean. Le houx et le gui, plantes sacrées des Celtes, vont servir à décorer la crèche de Noël. La fête de la pleine lune de février, où l'on célébrait la fin proche de l'hiver et la montée de la sève dans les arbres, en mangeant, buvant, en se laissant aller un bon coup, en brûlant le bonhomme-hiver, va devenir le Carnaval (du latin carne velare, faire voler la chair), la dernière fête autorisée avant le pénible Carême qui dure jusqu'à Pâques, la fête chrétien­ne célébrant la mort et la résurrection du Christ. Le Christia­nisme va aussi utiliser les sciences plus secrètes dont les druides se servaient, par exemple en construisant ses églises sur les anciens lieux sacrés celtes que les druides savaient être bons pour la prière et la méditation. Ainsi, en se mélangeant étroite­ment aux traditions existantes, la religion chrétienne va réussir à résister au grand chamboulement des invasions barbares et va peu à peu prendre une place importante dans l'esprit des gens, premier pas vers le pouvoir plus réel et plus matériel qu'elle occupera par la suite. Cela ne se fera pas en un jour, et de nombreux chrétiens seront massacrés sans pitié par les Barbares comme leurs frères l'avaient été par les Romains et par les Celtes.

             Maintenant, avant de commencer l'Histoire de France proprement dite, il y a une chose importante à dire au sujet de cette façon de regarder les choses: en se concentrant sur la civilisation occidentale, on a l'impression que l'Europe, c'est le monde, et bien sûr il n'en est rien. Bien qu'ils n'en sachent rien, et il leur faudra des siècles avant de le "découvrir", les Européens ne sont pas tout seuls sur leur planète. En Inde, en Chine, au Japon, en Afrique et même en Amérique, des civilisations sont nées et prospèrent, certaines même sont beaucoup plus avan­cées que la nôtre.