En.marge                          Nicolas Hulot au colloque France-Libertés (2003)

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(en construction) 


(décryptage)
"L'ultime blessure à notre amour propre, c'est qu'on est en train de découvrir que notre destin n'est pas distinct du reste des êtres vivants, et quand on ajoute à cette blessure que l'homme est en train de se rendre compte qu'il s'est mis dans la situation de compromettre son propre destin, la pilule est difficile à avaler. Extraordinaire paradoxe : l'humanité n'a jamais été aussi puissante, prodige de la technologie, de la science, indéniable, mais qui a pour première conséquence de nous aveugler. Nous cédons à l'ivresse. Et en plus cette science s'est substituée à toute spiritualité, et a condamné l'homme à une sorte de désarroi tragique parce qu'il n'est plus relié à rien. Alors ça rend l'exercice très difficile, parce qu'il en naît une sorte de négationnisme par rapport au péril qui est d'une échelle sans commune mesure.
J'ai toujours des scrupules à rajouter une strate d'angoisse dans une société qui, au Nord comme au Sud, est difficile pour tout le monde, à quelques exceptions près qui ont semble-t-il définitivement tiré leur épingle du jeu. Mais le principe de réalité va nous rattraper à un moment ou à un autre, et nous avons a le devoir de vérité.
Probablement que dans certains domaines le seuil irréversible n'est pas si éloigné que cela , ns le franchissons biod
Le sentiment que j'ai, étayé par un certain nombre de rapports, c'est que nous sommes à la croisée des chemins. L'avenir est incertain parce qu'il dépend de nous, mais les décennies devant nous seront déterminantes dans l'irréversibilité, ou non, d'un certain nombre de phénomènes. Si l'on cumule l'ensemble
Je suis toujours étonné que nous réussissions cette prouesse extraordinaire qui est d'inverser l'ordre des choses : pendant des millions d'années, le prodige de la vie a été de transformer le chaos en vivant et nous, on va probablement réussir l'équation inverse. Il n'y a pas de quoi s'enorgueillir ! Le changement climatique, j'en ai douté pendant longtemps. Dans notre esprit, tout cela est inaltérable, la Terre a cette espèce de capacités de régénération absolue, et la vie pourra s'y développer à l'infini. Mais la réalité est tout autre : la Terre est de taille humaine, sa capacité de régénération n'est pas aussi forte qu'on veut bien l'imaginer, et si l'on s'inscrit dans un mécanisme évolutif tel que Darwin et d'autres ont bien voulu l'évoquer, qui sait si un jour elle ne va pas mettre en place des mécanismes compensatoires, et s'il y a quelque chose qui la dérange ou la gratouille, elle va peut-être le bouter hors du vivant. Et je crains qu'on ne fasse partie de cette charrette. Je sais bien qu'il y a encore des controverses sur la part anthropique de l'effet de serre, et plus encore sur les effets, mais pour la biodiversité, c'est évident.
Alors c'est difficile parce que si l'on ajoute à tout cela les problèmes économiques et sociaux qui nous apparaissent toujours beaucoup plus urgents.
Les siècles passés ne nous laissent pas orphelins : ils ont posé sur la table les outils scientifiques, technologiques, philosophiques, économiques dont nous devrions profiter pour peu que nous soyons capables, enfin, de donner du sens au progrès.
J'ai longtemps cru naïvement que le progrès des communications allait permettre aux hommes de se découvrir, que nous allions mieux nous comprendre, mieux nous rassembler, et donc être plus efficaces vis à vis de notre destin. Je crains que ce ne soit exactement le phénomène inverse qui est en train de se dérouler. Les médias participent à une tragique homogénéisation culturelle. Et surtout, ce progrès met en exergue une chose qui a probablement existé de tout temps c'est cette insupportable disparité économique. Autrefois, une partie de l'humanité ignorait qu'une autre partie avait tiré son épingle du jeu. Mais aujourd'hui cela sonne comme une indécence, parce que 90% de la planète observe une autre partie gagner des millions de dollars sur un coup de téléphone. Une partie n'a aucun espoir, l'autre craint de retourner dans la précarité, et une infime partie profite allègrement du système. Comment glisser dans cette inquiétude légitime de l'humanité un coin pour dire : "attention, tout cela va sembler dérisoire par rapport aux autres menaces liées à l'environnement ?" Qui sont d'une autre échelle parce que quand la Terre va se dérober sous nos pieds, le reste va nous sembler dérisoire. Je suis en train de terminer un ouvrage dans lequel j'essaye de rassembler tous les ?? qui empêchent notre société pt^t pas de prendre conscience des menaces, mais d'atténuer cette tendance. La difficulté, dans notre société ultralibérale qui s'exerce dans un monde clos et fini, ce n'est pas de réduire la voilure, cela ne fait que retarder l'échéance, c'est de changer de cap. Ma crainte, mais je prie pour me tromper, c'est que nous soyons incapables de changer de cap, parce que nous sommes portés par le vent puissant du matérialisme et qu'on va aller sur ces récifs. Mes convictions sont nées d'un certain nombre d'observations que j'ai pu faire en voyageant, et de l'écoute des experts. Tout converge, c'est comme si vous rentriez dans le cockpit d'un avion où tous les voyants sont au rouge, et un pilote vous dit : "Ne vous inquiétez pas il doit y avoir une panne de voyant" ! J'appelle cela le syndrome du Titanic : chacun vaque à ses occupations, l'orchestre là-haut continue à jouer, mais enfin, il y a quand même de l'eau qui rentre… Si nous avions 100 ans pour réussir, probablement que sous la force des choses cette prise de conscience se traduirait en actes, malheureusement, dans le domaine de la biodiversité ou du changement climatique, nous n'avons pas le siècle pour changer les tendances. Quant à savoir comment les changer, je crains de ne pas avoir seul la réponse."

Un article pour Nouvelles Clés  

 

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