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2 :   PARCOURS D'UN PARAPSYCHOLOGUE

"Vous oubliez que vous naviguez aussi sur une eau trouble, agitée de courants contraires, s'exclama Laurent Corbin après m'avoir conté Cideville. On y dérive facilement. C'est ce qui m'est arrivé quand j'ai commencé à m'occuper de parapsychologie."

Au moment où Laurent Corbin rencontre pour la première fois, accidentellement, un phénomène paranormal, rien ne le prédispose à s'y intéresser. Jeune homme de 18 ans un peu fougueux, il se prépare à fêter dignement les quelques semaines qui lui restent avant son service militaire. Lors d'une soirée parisienne, on l'invite à participer à une séance de spiritisme. L'expérience ne l'attire guère : l'ambiance feutrée, les lumières tamisées, l'atmosphère lourde de mysticisme ne correspondent pas vraiment à l'idée qu'il se fait d'une nouba de conscrit. Il n'a rien contre le spiritisme. Ni pour d'ailleurs. Il n'y a tout simplement jamais pensé. Cependant, la personnalité du médium l'irrite. Ce jeune garçon timide et bien gentil lui paraît très fragile, un peu déséquilibré et avant tout désireux de se faire valoir.
La séance se révèle semblable à ce qu'il avait craint. Laurent s'ennuie très vite. La table bouge, certes, mais il ne voit là rien d'extraordinaire ou d'inexplicable. Un petit diable se réveille en lui, qui l'incite à jouer les trouble-fête. Sans se faire remarquer, il appuie sur la table, il la bloque, il s'efforce de lui faire dire n'importe quoi. Lorsque son tour vient de poser des questions, il exige le droit d'interroger l'esprit muettement. Cessant d'influencer les mouvements de la table mais toujours décidé à démasquer la supercherie, il ne pose que des questions simples dont il connaît la réponse. Combien ai-je de roues à ma voiture, combien ai-je de chiens, combien d'yeux, d'oreilles, quel est l'âge de ma soeur ? Et la table répond, sans erreur, à toutes ses demandes ! Il quitte la soirée troublé, un peu en colère, avec le sentiment de s'être fait piéger.
Les mois passent. De temps en temps il repense à cette expérience. Qu'en faire ? La rejeter ? Simple farce, abus d'alcool, tricherie ? Mais lui seul connaissait les questions. Hallucination, télépathie, hypnose, ou autre dérangement de conscience ? Peut-être. Mais qu'est-ce qu'une hallucination, qu'est-ce que la télépathie, le spiritisme, puisque c'est de cela dont il s'agissait ? Il achète un livre ou deux, tombe sur un labyrinthe ésotérique de notions vagues et ambiguës, d'affirmations non fondées qui agacent son esprit critique. Il veut pourtant comprendre.
Voilà, pourrait-on dire, un "coup du Yéti" version soft, tout ce qu'il y a de banal. C'est fait, Laurent Corbin a vu la marque de la Bête imprimée dans la neige. Va-t-il sortir son balai pour tout effacer ? Ou bien suivre la piste, mettre les pieds dans la trace, et se retrouver dans quelque temps en train d'animer, dans un salon ouaté, des séances de spiritisme autour d'un guéridon ? 
Heureusement pour lui, pour sa crédibilité et pour la suite de cette histoire, Corbin est un têtu méthodique qui penche plus vers la pratique que vers la théorie. Bien sûr, il cherche à saisir ce qui lui est arrivé. Mais au lieu de suivre la piste, il va la remonter ! Il veut connaître ce Yéti, ses cachettes, ses habitudes. Une fois prêt, il ne va ni le tuer ni se jeter en adoration à ses pieds, mais lui sauter sur le dos.

Il commence par l'hypnose, plus connue, étudiée, analysée, pratiquée en hôpital depuis longtemps, dans un cadre rationnel qui le rassure. Il utilise son temps libre à suivre une formation, devient en quelques années hypnotiseur.
D'un autre côté, il voudrait appréhender par l'expérience ce qu'on appelle les "sites irrationnels". Dans le spiritisme, par exemple, en plus d'un médium, on retrouve un objet, table ou guéridon, et un rituel. Pourquoi ne pas les étudier, eux, plutôt que la séance ou le médium ? Mais le spiritisme est trop mystique, trop compliqué. L'ambiance un peu sectaire qui y règne le dérange. Il voudrait quelque chose de plus net. 
Installé en Normandie, à la campagne, il s'aperçoit que ce qu'il cherche est là, sous sa main. Ce sont les sourciers ! Avec sa baguette de coudrier, le sourcier officie en plein jour, dans un cadre sain, àl'air libre, sans aucune bizarrerie mystique. Il ne touche pas la mort, les revenants, ces soit-disant esprits auxquels Corbin ne croit pas. Le processus est facilement accessible à un observateur extérieur. 
Il rend visite à des sourciers. En dehors de l'événement qu'il veut étudier, il rencontre un contexte social très riche, pénêtre dans des milieux, des univers qu'il ne soupçonnait pas, sur lesquels sa logique n'a pas de prise. Cela lui servira par la suite. L'envie de comprendre la baguette, son mouvement, lui permet de se placer en observateur. La nécessité d'établir un bon contact avec les sourciers l'oblige à être patient. Il remarque qu'au delà des différences entre leurs pratiques, il existe des points communs dans leurs discours. 
La baguette, par exemple. Il faut tout un art pour la couper, pour la choisir, sa forme a son importance, même si elle varie selon les sourciers. L'un jure que le bout de la baguette doit être long. Pour un autre, un morceau de cuivre est indispensable, à tel endroit précis. Pour un troisième ce sera exactement l'inverse. Leurs discours manquent totalement de cohérence, si on les compare. Mais tous sont convaincus de l'importance de l'acte, persuadés qu'en changer le moindre détail le rendrait inefficace. De même, leur demander comment leur don fonctionne les gêne profondément. Ils ne se sont jamais posé la question, ils ne doivent surtout pas se la poser. "Chercher à savoir, c'est perdre le pouvoir", répondent-ils. Il faut accepter une sorte de convention, selon laquelle cette réalité est concrète. 
Corbin apprend là plusieurs leçons qui lui seront utiles lorsque, dans ses recherches sur les poltergeist, il sera confronté aux guérisseurs appelés pour y mettre fin. 
D'abord, le paranormal s'inscrit dans un contexte social bien précis. Les deux sont liés, il faut pour les étudier réussir le savant dosage de bienveillance incrédule et d'esprit critique qu'impose la rencontre avec le surnaturel, défi à notre conception du monde, insulte à notre intelligence. Ensuite, cette méthode pour trouver l'eau se pratique sur toute la planète, et répond à un besoin primaire d'une importance vitale. Le paranormal répondrait-il précisément à ces besoins arqhaïques, qu'ils soient liés à la vie ou, comme dans le spiritisme, à un désir d'après-vie ? 
Enfin, même si l'on peut essayer de prendre des mesures et se lancer dans des théories physiques, la dimension psychologique des phénomènes paranormaux a une importance qui semble primordiale. Il faut résoudre la contradiction entre le caractère archaïque et primaire des phénomènes et le rationalisme nécessaire à l'investigation. Les deux sont-ils compatibles ? 
Pendant plusieurs années, Corbin s'efforce de comprendre la mentalité des sourciers et de ceux qui les engagent. Il suit les sourciers sur le terrain, à la fois impressionné par leurs succès et frustré de ne pas avoir les moyens matériels de vérifier par des drainages si, à dix mètres de là, on ne trouverait pas la même chose. Un objet matériel, physique, rationnel, mis en position de déséquilibre, traduit par son mouvement une réalité, que le sourcier interprète. Mais sur un plan scientifique, Corbin n'est guère satisfait de ses recherches. 

Il peut étudier dans des livres ce qu'est l'hallucination, l'hypnose ou le spiritisme. Ou bien observer sur le terrain des sujets en action. Ces deux choix l'ont amené à se poser beaucoup de questions, et il a obtenu très peu de réponses. Il envisage alors une troisième voie, sur laquelle il s'est d'ailleurs déjà engagé avec l'hypnose : s'impliquer directement, accepter que son corps puisse agir au delà de sa volonté. Cela signifie essayer de manier la baguette ! Au début, rien ne se passe, la baguette ne bouge pas, il ne trouve pas un centilitre d'eau. Il n'y a donc là qu'illusion, mystification ? Dans ce cas, comment expliquer l'efficacité des sourciers ? Est-il lui-même trop rationnel ? C'est alors qu'il rencontre Paul, sourcier célèbre dans la région, impressionnant personnage, ivrogne, incohérent, mais qui trouve l'eau avec une certitude et une précision incroyable. On le conduit dans un champ et en tapant du pied, un coup par mètre, il indique profondeur et débit des sources souterraines. Il ne se trompe jamais. Un jour, sur un terrain en pente au relief accidenté, ses explications deviennent très confuses, embrouillées par le calva dont, pour le troubler, Laurent l'a généreusement abreuvé. Titubant, vociférant, ses mains tremblantes maîtrisant à grand'peine une baguette agitée de mouvements spasmodiques, Paul indique non sans mal, entre deux hoquets, les différentes sources, leurs croisements, leurs directions, leurs débits respectifs. Corbin note du mieux qu'il peut sur un carnet les indications chaotiques du saugrenu sourcier. Il sent qu'il tient enfin l'occasion rêvée de vérifier si finalement ce don relève d'une réalité objective ou s'il dépend de l'humeur du jour. Deux semaines plus tard, ils reviennent sur les lieux. A la grande surprise de Corbin, Paul retrouve sans hésiter toutes les sources, ses indications reprennent exactement celles que Corbin avait notées. 
"Tu croyais m'avoir coincé, hein ? s'esclaffe le sourcier goguenard. Alors, petit, qu'est-ce que tu penses ? Allez, va, je suis pas mauvais bougre, je vais te montrer comment on devient sourcier. Mets-toi derrière moi, c'est comme ça qu'on apprend. "
Il taille une baguette qu'il lui colle dans les mains, lui prend le bras, et en avant. Au bout d'un moment, la baguette s'agite entre les doigts de Corbin. Il suit le parcours des sources souterraines avec l'intime certitude d'être guidé, il perçoit l'eau, sans pouvoir déceler quel sens particulier lui donne l'impression qu'elle résonne à travers tout son corps. Action importante, initiation indispensable, qui permet à Corbin de passer un cap qu'il n'aurait jamais franchi tout seul, de laisser s'ouvrir en lui une barrière. 
Le voilà sourcier, face à un "pouvoir" que maintenant il possède. Il a aboli la distance entre lui-même et cette bête observée, le sourcier. Il est à la fois celui qui étudie dans les livres, celui qui observe, et l'acteur, d'un mouvement qu'il fait, sans savoir comment il le fait, tout en sachant qu'il le fait. Il a franchi un seuil. Il a le sentiment d'avoir effectué un bond en avant, de se rapprocher du phénomène, de toucher du bout du doigt l'inexplicable. 
Sans pour autant le comprendre mieux. 

Sa recherche sur les sourciers lui a enseigné une méthode, empirique, fondée sur l'observation des répétitions et une bienveillante neutralité. Peut-on l'appliquer à l'étude d'autres phénomènes paranormaux ? Il s'aperçoit très vite que seul, il ne peut pas jouer trois rôles en même temps, l'esprit rationnel qui étudie, l'observateur en position intermédiaire et l'acteur impliqué devenu donc aussi l'objet observé. Heureusement, il rencontre d'autres chercheurs, sérieux, passionnés, avec qui il commence à monter des expériences. Ils combinent hypnose et spiritisme, en se débarrassant de ce qui les gêne dans le spiritisme, en faisant les choses en plein jour, par exemple. Ils découvrent qu'une suggestion, plus ou moins hypnotique selon les cas, explique 9O% de tout le fatras spirite. Cette réalité, pensent-ils, est certes irrationnelle, mais pas inexplicable, elle devrait concerner surtout les psychologues. 
Par contre, d'indéniables phénomènes de télépathie apparaîssent de temps en temps dans une séance, de manière accidentelle. Encore une mauvaise blague. 
Une première fois, par hasard et à plusieurs reprises, une femme hypnotisée appelle "fumée" une feuille de papier à cigarette et "feu" un morceau de papier arraché à une boîte d'allumettes. 
Intrigués, ils se lancent alors dans une série d'expériences avec des sujets sous hypnose. Ils demandent à des hypnotisés des renseignements sur la personne qui leur prend la main. Souvent rien ne vient. Mais parfois des réponses tombent, exceptionnellement précises et justes, quoique difficiles à décrypter.
Un sujet dit d'une autre personne qu'il ne connaît pas : "Même que moi". Après réflexion, on s'aperçoit qu'ils ont les mêmes initiales. 
On hypnotise deux personnes, et on demande à l'une (le récepteur) de ressentir et de verbaliser ce qu'on suggère à l'autre (l'émetteur) àvoix basse comme image ou comme sensation. On pique l'une avec une aiguille, c'est l'autre qui ressent la douleur. On dit "pigeon voyageur", et la première répond "bague, oiseau, pigeon" ! 
Leurs expériences s'accumulent, pleines d'éléments incompréhensibles. Dans certains cas, elles leur échappent. "Mes oreilles bourdonnent !" s'écrie une réceptrice au début d'une séance. "Brouillage parasite", plaisantent les expérimentateurs. Ils réalisent après coup que le sujet émetteur a justement une otite. L'hypnotiseur ne contrôle qu'une partie de la transmission. En demandant à l'émetteur de transmettre vers le récepteur ce que l'hypnotiseur l'invite à ressentir, on ouvre une porte par laquelle passent des informations que lui-même n'a pas induit, et dont personne n'est conscient. 
Ils se rendent compte que, si les grands clichés du paranormal sont pour la plupart démontables et explicables, le véritable irrationnel est à la fois plus subtil et plus fort. La télépathie met en évidence une réalité plus importante et plus complexe que la communication entre deux cerveaux. Il ne s'agit pas, comme on le pense souvent, d'une lecture des pensées, d'une "radio mentale". Par contre elle utilise des mécanismes qui révèlent un autre état, une autre réalité de nous-mêmes, plus proche de l'inconscient, du rêve. Du coup, au lieu de rétrécir le champ, la recherche sur la télépathie l'élargit, le dilue, et met en danger l'observateur lui-même. L'idée que l'on puisse lire nos pensées dérange. Lorsqu'il s'avère qu'elle met peut-être à jour ce qui se cache au fond de notre subconscient, cela provoque un vrai malaise ! D'abord pour le chercheur : plus il avance plus il se met en cause, puisque l'objet qu'il utilise est aussi lui-même. Des pans de sa personnalité, son image, son identité, sont mis en danger. Et l'on assiste à des rejets, des phénomènes hallucinatoires contraires. Des expérimentateurs honnêtes, intelligents et ouverts, perdent pied, se destructurent et abandonnent. 

L'occasion la plus nette de le constater leur est fournie par un médecin, grand spécialiste des yeux. A l'époque, Corbin et ses partenaires se posent une question d'ordre physiologique, que l'on peut se poser si l'on pense que le poltergeist est un phénomène hallucinatoire : Lorsqu'on crée une hallucination sous hypnose, l'image que l'on invite l'hypnotisé à "voir" reste-t-elle limitée au cerveau, sans effet sur l'organe sensitif ? Ou bien l'oeil réagit-il par pigmentation, fibrillation ou rétrécissement de la cornée, comme s'il était soumis aux variations de lumière d'une image réelle ? Ils réussissent à intéresser un spécialiste qui, quoique réticent, accepte de participer à l'expérience avec ses propres volontaires. Ils lui expliquent le protocole qu'ils ont mis au point depuis quelque temps. Ils vont mettre les volontaires sous hypnose puis, à partir d'incitations délibérément vagues, chacun va créer sa propre hallucination qui peu à peu, sous les injonctions de l'hypnotiseur, deviendra commune. Le médecin pourra alors examiner leurs yeux. Corbin, après avoir hypnotisé les volontaires, s'assoit avec lui à l'écart, près d'une cheminée où aucun feu ne brûle. Au bout d'un moment, soudain, des étincelles tombent de la cheminée. Tout le monde a vu, ou entendu, ou a cru voir. Excepté le médecin, pourtant aux premières loges. 
Même si elles sont très rares, Corbin connaît ce genre de manifestations étranges et sauvages qui viennent parfois perturber des séances de spiritisme ou d'hypnose collective. C'est ainsi qu'au Québec l'équipe du Professeur Bélanger, travaillant sur les mécanismes de l'auto-suggestion, fabriqua de toutes pièces un "esprit"... et se retrouva confrontée à une véritable entité qui, quoique invisible, impalpable et irréelle, faisait valser des objets, bouger la table et soumettait les fumeurs, qu'elle semblait ne pas tolérer, à des tracasseries cocasses, le tout sous les yeux des caméras de la télévision canadienne ! 
A moins, pense Corbin, que ce médecin ne soit un bonhomme facétieux qui nous fait une farce, réagissant comme je l'ai fait la première fois. 
- Je me demande comment vous avez fait apparaître ces étincelles, lui dit-il. 
- Je n'ai rien fait du tout, rétorque le médecin, visiblement mal à l'aise. C'est vous qui essayez de m'embarquer dans vos histoires et cela ne me plaît qu'à moitié, je vous l'avoue. On est parti pour provoquer une hallucination. Vous n'espérez tout de même pas que je vais la voir aussi ?
- Ce doit être l'hallucination qui commence plus vite que prévu, admet Corbin conciliant.
Ils reprennent l'expérience. Corbin a soudain une intuition et prenant un briquet, il le frotte vigoureusement, provoquant une gerbe d'étincelles juste sous le nez du médecin. Pourtant, encore une fois celui-ci affirme n'avoir rien vu ! Il s'est mis dans un état de scepticisme total, où tout événement qui n'a pas sa place est annulé, au moyen s'il le faut d'une contre-hallucination. Le cerveau est capable d'effacer les objets trop insolites. Corbin constate par la suite que c'est souvent le cas chez certains scientifiques, qui se sont construit un système très rationnel au travers duquel ils lisent la réalité non pas telle qu'elle est, mais telle qu'ils veulent qu'elle soit. Une autre bonne leçon.
En essayant d'extirper le suggestif du spiritisme, il a mis le doigt sur des phénomènes encore plus complexes de télépathie, de contre-hallucination. 
Peu à peu, Corbin se retrouve au centre d'un petit groupe, comprenant notamment un professeur de physique, un médecin, un sociologue. Tous partagent un intérêt enthousiaste pour l'étude du paranormal, et un souci de sérieuse rigueur.
Certes, ils ne cultivent guère l'illusion d'être soutenus ou même reconnus, aussi sérieux et rigoureux soient-ils. Ils connaissent les arguments des scientifiques : l'abondance de témoignages n'est pas une preuve de leur vérité, et l'impossibilité de reproduire en laboratoire ces phénomènes rend inapplicable la méthode scientifique. Bref, ils relèvent de la psychiatrie. Et si cette dernière ne s'y intéresse pas non plus, c'est que, tout comme les autres disciplines, elle a bien d'autres sujets de recherche, plus "réels". 
Lorsque Corbin et ses amis décident de se pencher sur le poltergeist, ils pensent satisfaire au moins certaines exigences des scientifiques. Voilà un événement concret. Il implique des objets qu'on pourra analyser, couper en rondelles et observer au microscope, des trajectoires qu'on devrait pouvoir filmer, des bruits à enregistrer. Les humains qui en témoignent n'en sont pas les auteurs. S'ils le sont, ils n'en tirent visiblement aucun avantage, au contraire du sourcier, du médium ou du voyant.
Au départ une question simple se pose : ces phénomènes existent-ils encore aujourd'hui ? Il faut prendre une surface, une région, et voir ce qui se passe. Ils choisissent la Normandie pour des raisons pratiques, bien sûr, mais aussi à cause de sa diversité. Elle comprend autant de citadins que de ruraux, des terres, des mers, des milieux sociaux différents. Il faut repartir aux sources, sur le terrain, se disent-ils, refaire l'historique, mettre en place une grille. Etudier le poltergeist comme phénomène de télépathie sauvage. Ils commencent à savoir comment aborder l'événement, élaborent un projet. Ainsi se crèe le Centre de Recherche en Parapsychologie de Normandie (CRPN). 
Ils répertorient donc dans un premier temps tous les poltergeist dont on a témoigné en Normandie dans le passé, dont Cideville, bien sûr. Ils retrouvent des dizaines d'histoires, dont certaines datent seulement de quelques années. Elles leur permettent de dégager de premières indications sur ce qu'ils risquent de rencontrer, sur les démarches àsuivre lorsqu'enfin, ils seront en face d'un cas "vivant".
Parfait, mais où et comment le trouver ? 
Lorsqu'une famille vit un événement semblable, que fait-elle?
Elle appelle à l'aide celui qu'elle croit capable de répondre à ce problème, en général un voyant, un curé, un guérisseur, parfois les gendarmes. Il faut apprendre à connaître ces gens-là, comment les approcher, les apprivoiser. Longue marche d'approche, fastidieuse perte de temps, car leurs informateurs potentiels ne se laissent pas convaincre aisément, se protègent, craignent d'être dépossédés de leur pouvoir ou ridiculisés par ces intrus qu'ils prennent pour des concurrents ou pire, des journalistes. 
Heureusement Laurent est un homme naturellement simple qui possède le savoir du contact humain. Il maîtrise à ravir ce mélange ambigu de rudesse blagueuse et de finesse bourrue grâce auxquelles les Normands de souche adorent qu'on les prennent pour des idiots. Il parle la même langue qu'eux, avec le même accent. De plus il a gardé de bons contacts et tiré les leçons de son enquête sur les sourciers. Le CRPN réussit progressivement à établir un véritable réseau d'informateurs. 
Parmi eux, Jean Favier est probablement le guérisseur le plus réputé. Sa clientèle comporte aussi bien les petites gens de la région que des Parisiens habitués de Deauville, dont certains fort célèbres. Ce contraste symbolise l'homme lui-même. Sous une chevelure blonde et clairsemée, son visage pâle aux traits peu marqués porte le masque indolent de l'homme effacé et timide. Il intervient pourtant sans hésiter dans toutes les situations qu'il rencontre. Dans un bar où ils sont attablés, Laurent médusé le verra un jour, calme et déterminé, chasser sans riposte un colosse éméché et agressif. Sa petite taille et une ossature délicate dissimulent sous une carrure fluette les muscles vigoureux d'un équilibriste, capable de marcher plusieurs minutes sur les mains, jeu favori auquel il s'adonne à chaque fois qu'il veut déstabiliser un interlocuteur se prenant au sérieux, journaliste ou chercheur trop imbu de lui-même. Un léger strabisme renforce ce côté Janus, lui donnant l'air d'être ailleurs alors qu'il vous scrute d'un regard vif et malin. Sa voix basse, douce et monocorde le fait croire taciturne. C'est un incorrigible bavard. Il pratique un art inné du paradoxe.
D'une certaine façon, on peut dire que Jean Favier est né guérisseur. Sa mère remarque très tôt que ce bébé, différent de tous ses autres enfants, la réconforte. Ses amies ne cessent de lui dire combien elles se sentent étrangement calmes et reposées quand elles le tiennent dans leurs bras. Au point que cela devient une habitude dans le village. Chaque fois qu'une femme a des soucis, du chagrin ou des ennuis, elle vient passer quelques heures auprès de ce bébé consolateur et repart apaisée. Enfant chétif, calme et doux, il sert un peu de souffre-douleur à ses aînés turbulents et brutaux. Un don aux effets bien pratiques lui procure pourtant leur respect : d'un simple geste de la main, il arrête un petit saignement, calme une brûlure ou une rage de dents. En même temps qu'il le valorise, ce talent lui fait peur. Il ne s'engage pas immédiatement dans une carrière de rebouteux. Issu d'un milieu modeste, il devient ouvrier. A l'usine, il est vite connu comme celui à qui s'adresser en cas d'accident bénin. Il occupe ses temps libres à construire sa maison, mais le bouche à oreille fonctionne et peu à peu le chantier est envahi de visiteurs venus se faire soigner. 
D'autant plus que, vers 25 ans, il a reçu de mystérieux pouvoirs d'une gitane rencontrée par hasard. Il reste très discret sur cette initiation. Il se limite à déclarer qu'elle a lu les lignes de sa main, l'a regardé dans les yeux et lui a dit : "Tu as le don, mon fils. Je vais te donner le vrai Pouvoir, pour chasser les esprits."
Sa renommée ne cesse de s'étendre. Il doit abandonner l'usine, s'installe dans sa maison à demi construite, et reçoit toute la journée. Des patients reconnaissants viennent finir le chantier. Comme tout véritable guérisseur, il ne demande jamais rien. Et tout lui est donné. On lui offre une voiture, des chevaux, des terrains, de l'argent. Il ne sait trop qu'en faire. Il vit aujourd'hui encore dans sa maison envahie de nécessiteux et de pique-assiette, dort dans une chambre spartiate sans meuble, sur un matelas posé sur le sol. Son ménage est tenu par des femmes à qui il n'a rien demandé et qu'il paye parce qu'il le faut. Le haras qu'il a acheté pour mettre ses chevaux est habité par son chauffeur et l'entraîneur, qui profitent à sa place de la belle maison, de la piscine et de la Porsche. 
- Je n'ai pas voulu ce qui m'est arrivé, dit-il avec un sourire las. C'est ma croix, je la porterai jusqu'au bout. Je n'ai jamais un jour à moi. Dès l'aube les voitures arrivent dans ma cour et ça dure jusque tard dans la nuit. Qu'est-ce que je peux faire ? Je mourrai en soignant, je n'y peux rien.

Il est difficile de décrire comment quelqu'un peut vous frapper par sa sincérité évidente. L'interview de Favier donna lieu au deuxième des événements bizarres qui ont ponctué cette enquête : après la télévision explosant à la fin d'une émission consacrée aux poltergeist, c'est le magnétophone qui, malgré son système automatique de prise de son àvolume constant, enregistra un long silence au milieu de notre première conversation. Entre salutations et adieux, quarante minutes de silence !
Le facétieux guérisseur a-t-il voulu m'adresser un petit clin d'oeil ? Ou bien, me sentant réticent, cherchait-il à me persuader de ses surnaturels pouvoirs ? C'était bien inutile. Son succès, l'ascétisme de sa vie, parlent en sa faveur. Il ne profite pas de sa richesse. Il n'a jamais pris de vacances, jamais fréquenté la haute société que son talent lui ouvre. S'il apprécie sans doute l'image valorisante que sa réputation lui donne, il n'en profite pas pour exercer un pouvoir quelconque, en tout cas visible. Il n'est pas humble, mais modeste, sa lumière est interne, alimentée d'un carburant sans gloire, le service.
Avec ses patients, rien ne le distingue à vrai dire d'autres guérisseurs classiques. Sauf peut-être un mimétisme particulièrement adroit qui le fait s'adapter immédiatement à son interlocuteur. En général il pose peu de questions, écoute beaucoup, profère des affirmations vagues et mesurées, rassurantes. Parfois, il risque une décision.
- Inutile, assure-t-il d'un ton décidé à une malade qui hésite à subir l'opération que les chirurgiens lui ont conseillée. Venez me voir encore trois fois et cette grosseur disparaîtra. 
Comment le sait-il ?
- Il n'y a pas de secret. Je le sais, c'est tout, répond Favier sans vouloir en dire plus.
- Ne lui demandez pas, commente Corbin. Il n'en sait rien, pas plus que les sourciers ne savent comment ils trouvent l'eau. Et le pire, pour moi qui l'observe depuis dix ans, c'est qu'il faut bien croire qu'il se trompe rarement, à en juger par sa popularité ! En tout cas, il m'a plusieurs fois impressionné par la justesse de ces réactions. Il est très intelligent, mais il ne réfléchit pas : il intuite. Et contre un poltergeist il est d'une efficacité redoutable. 
Malgré son refus de se poser des questions et l'irrationnel dans lequel il baigne, Favier n'oppose guère de résistance au projet des chercheurs du CRPN. Au contraire, une fois qu'il a mesuré leur honnêteté et apprécié le respect qu'ils portent aux victimes, il les appelle sur tous les cas intéressants, il les aide, les soutient, heureux de profiter de leurs idées et pratiques. Celles-ci ne changent en rien sa conviction profonde. Il refuse notamment et sans discussion toute idée de sorcellerie. 
- Les sorciers, les "enquéraudeurs", les sorts, les maléfices n'existent pas, déclare-t-il péremptoire. Il s'agit toujours, quelle que soit la manifestation, de revenants.
Tous les informateurs contactés par Corbin et ses amis ne partagent pas cette opinion, même si dans la plupart des cas ils refusent de cautionner les accusations que profèrent les victimes envers un voisin, un parent ou un inconnu ressenti comme malfaisant, processus qui pourraient déclencher une chasse aux sorcières. Certains admettent l'hypothèse du maléfice. Les prêtres parlent du diable. 
Ce vaste et large réseau d'informateurs, en prise directe avec le milieu qu'ils étudient, constitue l'une des spécificités des membres du CRPN, leur confère une originalité qui les différencie des parapsychologues habituels dont le travail s'effectue plutôt dans des laboratoires. Il leur permet de constater rapidement que dans la France profonde, l'irrationnel est beaucoup plus présent qu'on ne le pense. La demande existe et guérisseurs, médiums, voyants, désenvoûteurs et marabouts de toute sorte abondent.
Au risque de décevoir, leurs interventions dans les cas de poltergeist n'ont en général rien de très spectaculaire. Leurs rituels varient, comme ceux des sourciers. A grands coups de goupillon, certains prêtres arrosent d'eau bénite les maisons, les meubles et les objets promeneurs. D'autres prononcent des exorcismes. Les guérisseurs font des passes de mains, semblables à celles dont ils entourent le corps de leurs malades. Les marabouts et les rabbins déposent souvent quelques gouttes de sang de poulet aux coins de chaque pièce. Certains n'agissent que dans une maison vide de ses habitants, d'autres seulement devant toute la famille réunie. Mais tous croient totalement, immédiatement, aux symptômes décrits par les victimes. Si celles-ci leur téléphonent en disant qu'il y a des fantômes chez elles, ils demandent quelle sorte de fantôme. S'il s'agit d'un crapaud énorme de 75O kilos, ils répondent : pas de problème, j'arrive. 
- Il faut accepter sans réserve ce que disent les gens impliqués, expliquent-ils aux enquêteurs. 
Adhérer ainsi au discours des victimes n'est pas simplement une tactique destinée à les rassurer. Pour combattre efficacement leurs démons, quels qu'ils soient, il faut y croire vraiment, sans bluffer, au premier degré. Les guérisseurs ne trichent pas, ne mentent pas, histoire de gagner la confiance de leurs clients tout en pensant en leur for intérieur amusé que ceux-ci délirent. Leur adhésion ne commande pas seulement leur réussite. Elle est la condition sine qua non de leur action, et en révèle la véritable valeur. 
- Regardez, dit un guérisseur qui tente de s'expliquer, regardez une mère qui vient me voir avec son bébé. L'enfant n'a pas réellement conscience de ce qui se passe, mais il se crée un rapport entre lui et moi, c'est une sorte de cérémonie, comme un baptême. Il sent très bien à son niveau enfantin que l'angoisse de sa mère s'estompe, parce que justement cette angoisse se situe au même niveau. Et si vous demandez à la mère : "Pourquoi êtes-vous ici ?", il lui suffit d'un regard pour vous dire : "Mais, mon enfant est malade, je suis mère, je fais donc tout ce qui est possible, et cela va sans dire".
L'eau, la mort, la maladie. A quelles profondeurs insoupçonnées, archaïques, fondamentales, de la nature humaine l'irrationnel va-t-il puiser ses origines ? A la recherche de quelle empathie ?

             Extrait de Lorsque la Maison crie, phénomènes paranormaux et thérapie familiale, Robert Laffont, Paris, 1994

 

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