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3 :  MORT SUBITE ET POTERIES VOLANTES

Le premier cas important sur lequel un guérisseur invite l'équipe du CRPN à intervenir se déroule dans le Perche, à la frontière entre la Normandie et l'Ile de France.
Amélie et André A. forment un couple déjà âgé, uni, simple et traditionnel, dont émane le charme un peu désuet des vieilles familles paysannes. Propriétaires d'une ferme trop petite pour être rentable, ils ont vécu sans se plaindre une vie longtemps difficile, semblable à celle de leurs parents avant eux. Puis l'imposition des quotas laitiers a eu raison de leur maigre troupeau de vaches. Ils ont vendu leur terre, rénové leur maison, André est devenu potier.
Amélie s'occupe de la maison, du poulailler et du verger, avec une inépuisable et placide énergie. On devine, sous la classique blouse de nylon bleu-marine, les formes alourdies de son corps massif, autrefois épanoui. Elle coiffe en bandeaux, serrés par un chignon étroit, ses cheveux fins et blancs. Sous ce casque, l'éclat limpide de ses petits yeux gris adoucit un visage aux traits un peu épais, marqué par une vie dévote et laborieuse.
André, petit homme trapu et râblé, déploie malgré sa soixantaine des gestes vifs et agiles de travailleur acharné. Son nouveau métier lui a voûté le dos et a donné à ses énormes mains une douceur inattendue. Il porte sous un immense nez en forme de bec de magnifiques moustaches, longues, grises et touffues. Comme nombre d'habitants de cette région pourtant riante et douce, il a hérité de ses ancêtres éleveurs de chevaux percherons une brusquerie et une rudesse de maquignon, à peine dissimulée sous le masque affable d'un humour matois.
André et Amélie ont eu trois enfants : Anne, l'aînée, vit à Paris. Elle précède de plus de 15 ans les deux cadets, venus tard, Alain et Adrien, qui ont au moment du drame 24 et 2O ans.
Car c'est bien par un drame que tout commence, lors d'une douce et lumineuse après-midi de fin d'hiver soudainement interrompue par la sonnerie du téléphone. De la ville voisine où résident Alain, sa femme et leurs deux enfants, une voix froide et sèche demande au couple de venir au plus vite voir Alain à l'hôpital, en refusant de leur fournir la moindre explication. Amélie affolée et André inquiet se précipitent en ville. Ils connaissent bien cet hôpital où, quatre ans plus tôt, Adrien a passé plusieurs semaines dans un état critique. Victime d'une mauvaise blague entre apprentis, il avait avalé une rasade de soude caustique cachée dans une bouteille de bière.
Arrivés à l'hôpital, on leur apprend sans grand ménagement la mort subite de leur fils. Alain, souffrant d'une mauvaise bronchite, a été hospitalisé le matin même pour des examens et vient de succomber à une embolie pulmonaire foudroyante. Cette nouvelle insupportable déclenche une première réaction de rejet. Hélas, l'éloignement de la chambre mortuaire où on les entraîne et l'immobilité du corps de leur fils ne laissent place à aucune confusion, n'autorisent aucun refus. Alors vient la rage. Amélie et André prennent les explications embarrassées du médecin pour de l'indifférence. Ils l'accusent pêle-mêle d'incompétence, d'insouciance criminelle, de mauvaise volonté. 
Le spectacle de leur belle-fille en sanglots au chevet du jeune mort fait remonter à la surface toute l'antipathie qu'ils éprouvent envers elle. A leur première rencontre, la jeune femme les avait pris pour les grands parents d'Alain ! Une erreur qui a donné le ton à toutes leurs relations. La naissance de leurs petits-enfants avait un peu adouci leurs rapports, mais ce décès inattendu réveille leur rancoeur à l'égard de la jeune femme. Ils laissent libre cours aux reproches accumulés depuis le premier jour : elle a perverti leur fils de ses idées citadines, l'a dressé contre ses parents, a mis à profit l'accident d'Adrien pour l'arracher à eux et briser leur famille. Et maintenant, certainement par insouciance, elle a laissé mourir leur enfant ! Ils exigent, et obtiennent, que le corps soit transporté chez eux.
Finalement Amélie s'effondre, brisée par le choc et épuisée par cette scène. Les pleurs remplacent les cris accusateurs, libèrent la tension, amorcent le deuil.
Elle passe les jours suivants dans un brouillard épais et lourd comme une fièvre. La veillée mortuaire, la messe funèbre, l'enterrement, le défilé des condoléances, la pose du marbre funéraire sont autant d'étapes d'un chemin de croix qui ne la mène nulle part et qu'elle parcourt en larmes, le cerveau vide. 
Quelques jours après l'enterrement, trois coups puissants frappés à la porte la sortent soudain de cette léthargie macabre. Amélie va voir. Personne. Un bref instant plus tard, un remue-ménage assourdissant retentit dans l'ancienne chambre d'Alain. André monte. Rien. Dans la soirée, ils entendent, venant de l'ancienne écurie qui leur sert de cave, la sonnerie d'un carillon d'horloge. Effrayées, Amélie et sa soeur se tournent vers André, qui commence à s'inquiéter. Il prend son fusil, une lampe électrique, et descend. Une vieille pendule est bien entreposée là, hors d'usage, au milieu de tout un bric à brac. Mais elle n'a jamais eu de carillon ! Il sort, fait le tour de la maison, fusil en main. Rien, personne.
Alors commence une série d'événements tout aussi impressionnants qu'à Cideville, quoique moins destructeurs. Certains seraient même cocasses, s'ils s'inscrivaient dans un contexte moins chargé d'émotion. Ainsi lorsque pénètrent dans la cuisine, sautillant l'un derrière l'autre à quelques centimètres du sol, trois petits pots d'argile qu'Alain avait autrefois confectionnés pour sa mère ! 
D'autres phénomènes mettent André en rage, comme cette armoire qui se démonte toute seule. A chaque fois André et son beau-frère la remontent et en pleine nuit, à grand fracas, les portes sortent de leurs gonds, les chevilles sautent hors de leur logement et avant qu'André ait le temps de se précipiter, l'armoire disloquée s'écroule sur le sol.
Une nuit, Amélie et André sont réveillés par les soubresauts de leur propre lit qui les secoue dans tous les sens. Il devient impossible de s'y étendre, ils doivent changer de chambre. Tous les membres du cercle restreint d'amis et de parents que le couple ose informer de ce qui se passe dans la maison en font l'expérience. Dès qu'on s'allonge, le lit tangue, agité de mouvements terrifiants. 
Plusieurs témoins assistent aussi aux apparitions de cruches et en feront à Corbin une description très précise. André s'est spécialisé dans la fabrication de cruches d'argile, qu'il peint et vend à une cidrerie voisine. Il entrepose une partie de sa production dans la cave, dont la fraîcheur et l'humidité permettent un séchage lent de l'argile. Un matin, Amélie découvre sur le sol de la cuisine des cruches visiblement toutes récentes. Elle les ramasse machinalement et remarque que le meuble où elle veut les placer en est déjà couvert. Accablée par la perte de son fils, Amélie a plongé depuis quelques jours dans un univers étrange, où les éléments semblent s'être mis au diapason de sa détresse. Certes, elle a peur de tout ce qui arrive, mais elle est plus encore submergée par un sentiment d'impuissance totale, comme anesthésiée par la tristesse. Elle vit un enfer dont aucun détail ne lui paraît incongru ni choquant et au milieu duquel elle s'efforce, soutenue par sa soeur, d'accomplir les tâches indispensables d'une vie qu'elle ressent comme lointaine. Ce matin-là, la présence dans sa cuisine de poteries qui n'ont aucune raison d'être là ne l'intrigue qu'à peine. Lorsqu'elle en parle à son mari, celui-ci réagit avec une vigueur qui lui est habituelle... mais qui, depuis quelque temps, s'avère singulièrement peu efficace. André est en effet très affecté par tous ces phénomènes qui provoquent en lui incompréhension, inquiétude et colère. Il est né dans cette maison, il en a modernisé lui-même l'intérieur, il en connaît chaque recoin. Elle fait autant partie de lui que lui fait partie d'elle, comme une tortue sa carapace. Il a l'impression qu'un pan entier de lui-même lui devient étranger. Son fusil ne le quitte plus. Il est persuadé que quelqu'un, ou quelque chose, cherche à leur nuire. Il fait chaque soir plusieurs rondes autour de la propriété, verrouille chaque pièce avant d'aller dormir. Il s'acharne à réassembler chaque fois cette satanée armoire. Il a entièrement démonté l'horloge sans carillon, sans savoir pourquoi, uniquement pour défouler ce besoin qu'il éprouve de faire à tout prix quelque chose. Cette histoire de cruches augmente son angoisse et son indécision, sentiments qu'il commence à connaître et déteste éprouver.
Le soir même, pendant le repas, des pots surgissent soudain dans la cuisine. Une sorte de trou noir aux contours flous apparaît sur la porte, à hauteur d'homme, par lequel les cruches passent sans bruit, avant de retomber sans se briser sur le sol. André en ramasse une aussitôt. Elle est légèrement chaude. Au cours des jours suivants, plusieurs personnes assistent au phénomène. Certains détails frappent les témoins : la forme indistincte du trou dans la porte, et le fait qu'au moment précis de leur apparition, les cruches sont d'un gris indéfinissable et ne retrouvent leurs couleurs qu'une fois tombées sur le sol. Un après-midi de la semaine suivante, Amélie et sa soeur croient voir une forme humaine, sombre et sans jambes, traverser le couloir et disparaître à travers un mur. C'en est trop pour elles. Elles se précipitent chez le curé, l'implorent de venir exorciser la maison. 
L'Eglise est devenue très prudente face à ce genre de manifestations sauvages. Bien qu'elle se veuille moderne, ne mentionne plus guère le Diable et affirme que les "forces maléfiques" s'agitent avant tout dans les méandres de nos âmes tourmentées par la lutte entre le Bien et le Mal, elle conserve en activité dans chaque diocèse au moins un exorciste officiel. Dans la pratique, la gestion de ces événements est laissée à l'appréciation du prêtre contacté. Excepté dans les cas où l'intégrité physique de la victime est mise en danger, l'application du rituel est précédé d'une laborieuse enquête. 
Le curé du village connaît bien Amélie, très pratiquante. Il se rend chez elle aussitôt, se fait décrire en détail la situation. La petite séance de lit vibrant à laquelle il se soumet en s'allongeant un instant dans la chambre du couple le convainc et le trouble. Il conseille à Amélie de s'adresser au guérisseur local. Celui-ci leur rend visite dès le lendemain. Devant l'importance des phénomènes il propose aussitôt que, parallèlement à son intervention, le CRPN mène une enquête. Le couple accepte.
Corbin et son équipe sondent la maison, prennent des relevés, interrogent les témoins, notent chaque détail. 
D'abord, les questions portent sur les événements eux-mêmes. Les réponses, factuelles et précises, viennent d'autant plus spontanément que les enquêteurs ne manifestent aucun doute et adhérent totalement au récit des victimes. Dès qu'on aborde le contexte, les premières résistances apparaissent. André et Amélie sont des gens simples, qui ont plus l'habitude de vivre leurs émotions que d'en parler, ce qui reviendrait pour eux à "étaler leurs sentiments". Ils expriment déjà difficilement leur deuil. En retracer les conditions, décrire leurs relations avec Alain depuis son mariage, raconter les circonstances de son départ quatre ans plus tôt leur est presque impossible. 
Heureusement pour le CRPN, mais beaucoup moins pour la famille, ce poltergeist va durer plusieurs mois, avec des phases d'intensité variable. Ce délai permet d'établir la confiance et le dialogue. André et Amélie finissent peu à peu par se confier à Corbin. Mais jamais ils n'accepteront qu'un membre du groupe s'installe chez eux pour étudier de plus près les phénomènes. 
Grâce aux nombreuses informations qu'ils dégagent des témoignages, Corbin et son équipe ne sont pas trop frustrés par cette impossibilité. Ce cas restera pour eux l'un des plus riches. Malgré son refus absolu de mentionner ce qu'il a vu, qu'il justifie en disant qu'il a pu être victime d'une hallucination, d'une hypnose ou de tout autre phénomène l'ayant privé de son esprit critique, Corbin a probablement assisté à quelques manifestations, que ce soient celles du lit trembleur, de l'armoire auto-démontable ou des cruches baladeuses. Il avoue en tout cas que cette affaire a renforcé son désir d'en savoir plus, en le confortant dans l'idée que "quelque chose existe", comme il dit prudemment. Elle l'a surtout amené à se poser encore plus de questions, en particulier sur l'importance des chocs émotionnels et des facteurs psychologiques dans le déclenchement des poltergeist, autant que dans leur déroulement. Que penser par exemple des poteries, lorsque l'on sait qu'André avait autrefois formé Alain au métier dans l'espoir de le voir prendre sa succession ?
Après les interventions du guérisseur, les phénomènes s'estompent ou disparaissent un moment. Mais avant de s'arrêter définitivement, ils reprennent plusieurs fois. Chaque recrudescence ou réapparition correspond à une aggravation du moral d'Amélie. Quel a été le rôle de cette mort brutale ? Aujourd'hui encore, la vieille femme ne s'est pas résignée à la perte de son fils. Elle a placé des photos d'Alain dans chaque pièce de la maison. Depuis plus de dix ans, elle se rend presque chaque jour sur la tombe couverte de fleurs qu'elle entretient comme un mausolée. Dernièrement, elle affirmait qu'un pot de fleurs avait bougé devant elle lors d'une visite récente au cimetière. "Il m'a encore fait signe", disait-elle. 
Alors, on peut évoquer le fantôme d'Alain persécutant sa mère. Ou bien parler de "trouble psychique hallucinatoire faisant suite à un deuil mal accepté", comme l'analyse un psychiatre à qui l'affaire a été soumise. 
Quelle importance, dans ce cas, donner au conflit avec la belle-fille, qu'Amélie dit "avoir cru reconnaître" dans la mystérieuse ombre au corps tronqué ? Quelle culpabilité inavouée le couple cultive-t-il vis à vis de la longue mésentente avec Alain, suite à son mariage ? Enfin, Corbin a appris, comme par mégarde, qu'Alain et Adrien avaient été très proches après l'accident de ce dernier. Malgré, ou à cause de son départ mouvementé de la maison qui arrivait au même moment, Alain a passé chaque jour de longues heures avec Adrien à l'hôpital. D'après le guérisseur, Alain aurait "promis" de mourir le premier. Que penser de ce lien, de cette promesse ? Ils auraient même passé un pacte étrange, selon lequel le premier qui décèderait avertirait l'autre de l'existence d'un Au-delà en frappant trois coups à la porte ! Quel rôle joue ce pacte ? Et d'ailleurs, comment se fait-il qu'Adrien lui-même ne soit pas apparu dans cette histoire ? Les membres du CRPN ne l'ont jamais vu plus de quelques minutes, il n'ont pu l'interroger, aucune question à son sujet n'a reçu de réponse. Comme si la famille faisait barrage pour protéger le jeune homme, qui vivait pourtant dans la maison.
Cela renforce-t-il la thèse dite de "l'adolescent coupable", très souvent citée par les enquêteurs, et que Corbin commençait justement à trouver trop simpliste ? Et que penser des poltergeist où aucun adolescent n'est présent ?

             Extrait de Lorsque la Maison crie, phénomènes paranormaux et thérapie familiale, Robert Laffont, Paris, 1994

 

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