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4 : L'OMBRE FROIDE DE LA FOLIE

Brigitte et Bernard B. n'abordent pas volontiers le récit des événements qui ont agité leur maison. 
- Les rares fois où on en a parlé, les gens nous ont traités de fous, disent-ils embarrassés. 
Pourtant, le poltergeist ne s'accompagne chez eux d'aucune circonstance tragique, comme ce fut le cas pour les A. C'est au contraire un bonheur tout neuf qu'il semble mettre en péril. 
Lorsque tout commence, Brigitte et Bernard sont mariés depuis un an et viennent de s'installer, à la naissance de leur bébé trois mois auparavant, dans le pavillon encore inachevé qu'ils ont fait construire sur un terrain offert par les parents de Brigitte. Avec eux vivent Bruno et Béatrice, les deux enfants de Bernard issus de son premier mariage.

Bernard est un homme si timide que son regard s'échappe dès qu'on le croise. Quand il écoute, il fixe pensivement une rainure de la table ou garde obstinément perdus dans le vide des yeux bleus aquatiques, clairs et enfoncés dans leurs orbites comme des petits lacs au fond d'un gouffre sombre. Il s'exprime d'une voix douce et hésitante, bute fréquemment sur les mots, qu'il espace de longs silences. Il parsème de "heu" et de "alors" abondants des phrases décousues et souvent inachevées, qu'il demande à sa femme de finir à sa place d'un "pas vrai ?" effacé cherchant l'approbation. 
Tout en lui concourt à renforcer cette gaucherie apparente. A trente ans, il ressemble à un adolescent, tient droit mais toujours en retrait un corps fluet, petit, presque chétif, aux membres minces et nerveux. Une mèche de cheveux raides couleur de folle avoine masque son étroit front bombé et retombe sur ses yeux. Sa bouche mordille des lèvres pâles, sous un nez fin aux narines translucides, perpétuellement pincées. On distingue à travers une peau lisse si blanche qu'elle en paraît transparente le réseau compliqué de veines bleues minuscules.
Brigitte, elle, est moins réservée. Son visage expressif aux traits bien dessinés s'anime facilement. Petite, brune, elle parle en agitant son corps vif et mince, ponctuant ses propos de rapides mouvements de mains. Avec son teint mat et ses grands yeux noirs et brillants, elle ressemble à cette Française typique que les étrangers trouvent si charmante. Plus prompte que son mari à oublier sa gêne, elle s'exprime librement, d'un ton rapide, simple et souvent gai. Une forte personnalité. 

Le matin où les premiers troubles se déclenchent, Brigitte est seule avec son bébé, s'affairant au ménage de la grande salle aux baies vitrées qui dans les maisons modernes sert à la fois de salon et de salle à manger. Dans la cuisine la radio l'accompagne en musique. Le bébé dort dans le recoin du futur living room où le couple s'est installé en attendant la fin des travaux. 
Soudain, elle entend à l'étage un bruit de pas. Intriguée, elle va éteindre la radio et tend l'oreille. Là-haut, seules les chambres des enfants sont aménagées. Benjamin, le frère de Bernard, qui vient de trouver un emploi dans la région, occupe provisoirement la chambre d'ami, mais il est au travail. Un claquement sec retentit, qu'elle reconnaît aussitôt : les portes d'une armoire dans la chambre de Béatrice. Elle monte l'escalier, ouvre la porte, entre dans la pièce. Des vêtements gisent en tas sur le plancher devant l'armoire ouverte. Sans réfléchir Brigitte les remet en place, fait le tour de l'étage et redescend. 
Etonnante réaction ? Pas plus étrange que les phénomènes eux-mêmes, après tout, mais caractéristique de l'attitude de certains face à un événement incompréhensible : ils agissent d'abord. L'émotion, les questions, les réflexions viennent ensuite. Comme beaucoup de femmes, a remarqué le CRPN, un premier réflexe pousse Brigitte à réagir aux effets immédiats et visibles, par une action directe sur ceux-ci. Les hommes quant à eux, comme Mr A., prennent le fusil et sortent de la maison. 
Dans le silence revenu, Brigitte n'est cependant pas tout à fait tranquille. Naturellement, elle va se pencher sur le berceau du bébé endormi. En un éclair ce geste lui rappelle que les affaires machinalement remises quelques instants plus tôt dans l'armoire appartenaient toutes au bébé. Pourquoi seulement les vêtements du bébé et pas ceux de Béatrice ? se demande-t-elle. Sans qu'elle sache pourquoi elle pense aussitôt à la première femme de Bernard, internée depuis quatre ans dans un hôpital psychiatrique. Le sentiment vague d'une menace la saisit, semblable aux angoisses ressenties pendant sa grossesse, qui fut difficile et l'obligea à rester étendue. Une immobilité ne convenant guère à sa nature active et qui l'avait rendue anxieuse et irritable. Instinctivement elle prend le bébé dans ses bras. Au même instant la radio qu'elle n'a pas rallumée se remet en marche toute seule. Brigitte cède à la panique, se précipite avec son bébé chez sa voisine, qu'elle connaît depuis l'enfance. La vieille femme s'efforce de la calmer.
Un peu réconfortée, Brigitte retourne à la maison en fin d'après-midi, avec les enfants sortis de l'école. Bruno vient d'entrer au cours élémentaire. Enfant calme et posé, il aime s'occuper du bébé, aider Brigitte, jouer les grands frères. Béatrice, plus agitée, plus indisciplinée, plus indépendante aussi pour ses quatre ans, anime la maison de ses rires espiègles et, parfois, de violentes colères. 
Quand Bernard rentre un peu plus tard, il ne croit guère à l'histoire que lui raconte Brigitte. Jusqu'au moment où, pendant le repas, ils voient une chaise traverser la pièce en glissant sur le sol, déclenchant les hurlements des enfants et la panique du couple. Brigitte téléphone à ses parents, qui les rejoignent bientôt, intrigués par le ton d'angoisse de leur fille d'habitude si sereine.
Nous ne sommes plus en 185O, ni dans un milieu paysan empreint de croyances populaires ou perturbé par un choc. Il semble qu'aujourd'hui la capacité de tolérance face à ce genre de troubles ait fortement diminué. On intervient plus vite. 
La mère de Brigitte connaît Jean Favier, le guérisseur, qu'elle s'efforce de joindre aussitôt. Il promet de venir un peu plus tard. Pénible soirée d'attente. Brigitte a peur pour son bébé. Son père ne se prive pas de montrer ses doutes, sur un ton de franche rigolade. Il adore Brigitte, sa fille cadette. Mais là, il trouve qu'elle exagère. Ancien maçon, grand, rude et musclé, il aime exprimer d'une voix forte des opinions tranchées. Au village on l'écoute. Tout le monde dans sa famille l'appelle "Le Père", y compris Bernard qui l'admire. "Je m'entends bien avec lui parce qu'il sait que je ne vais pas le contredire", dit-il de son beau-père.
En fin de soirée, Jean Favier arrive. Immédiatement, il impressionne fortement Bernard et Brigitte par cette intuition qui étonne si souvent Corbin. Sans une hésitation il désigne la chaise qui a bougé, entre dans la bonne chambre, montre l'armoire, proclame : 
- C'est là !
- Il faut que vous nous arrêtiez ça, implore Brigitte. 
- Toute cette histoire, moi, j'y crois pas, dit Le Père, c'est que des bêtises, moi j'pense, et pis c'est tout.
- Si vous n'y croyez pas je ne peux rien faire, annonce le guérisseur. Pour que je puisse l'arrêter, il faut absolument que tout le monde ici y croit. 
- Alors en attendant, dit Brigitte, on va s'installer chez mes parents.
- Surtout pas ! répond Favier d'un ton catégorique. Vous devez absolument rester dans la maison, sinon cela va empirer et devenir incontrôlable.
Le Père rit franchement.
- Oui, eh bien moi j'y croirai quand je l'aurai vu, ou touché, ou senti ! Pour l'instant j'y crois pas, et c'est pas vos fariboles qui vont me faire changer d'avis, sacredieu ! Pourquoi pas un fantôme, tant que vous y êtes ? Dans une maison toute neuve, qu'est même pas finie de construire en plus ! J'aimerais bien voir ça ! s'exclame-t-il. 
Il semble prêt à entrer dans une de ces fausses colères avec lesquelles il combat d'habitude les objections de ses interlocuteurs.
Favier ne perd pas son calme. Au contraire, il baisse même un peu la voix, pour forcer l'attention. 
- Vous verrez ça peut-être plus tôt que vous ne pensez, répond-il. Dormez ici, et ça vous touchera, j'en suis certain. Je reviendrai demain, je ne peux rien faire maintenant. Mais il faut que quelqu'un reste présent dans la maison à tout moment, insiste-t-il avant de partir.
Commence alors entre Le Père et le guérisseur un étrange bras de fer, qui dure plusieurs jours. Le Père s'installe dans la chambre voisine de celles des enfants. Le guérisseur passe ses soirées avec la famille, à jouer aux cartes et à répondre calmement aux taquineries du Père, en racontant d'autres affaires semblables qu'il a vécues. Le Père rit bien fort.
- Tout ça ne m'empêche pas de dormir, fanfaronne-t-il.
- Tant que vous ne serez pas tous convaincus que c'est sérieux, je ne peux rien faire. Je ne veux pas qu'on me prenne pour un fou, conclut toujours Favier avant de les quitter. 
Bientôt, le guérisseur présente Corbin et son équipe à la famille. Les parapsychologues inspectent la maison, posent des questions, mènent leur enquête, selon un protocole désormais bien établi. 

Pendant ce temps, les phénomènes prennent de l'ampleur. Une odeur désagréablement indéfinissable et un froid tenace règnent dans la demeure, où l'installation de chauffage n'est pas terminée. On entretient dans la cheminée un feu d'enfer, brûlant en une journée ce qu'il fallait auparavant pour la semaine, sans parvenir à réchauffer l'atmosphère malgré un automne clément. Un soir, le chauffage d'appoint au gaz s'éteint. Impossible de le rallumer. Par contre le lendemain l'ancienne machine à laver, débranchée, en panne, se met en marche toute seule, au milieu du garage où on l'a remisée en attendant de l'emporter à la casse. Brigitte, devant sa mère médusée, s'avance et tourne le bouton d'un geste énergique. Instantanément la machine s'arrête. 
Chaque nuit, au moment précis où il va s'endormir, Bernard sent une onde glaciale passer sur son corps. Il a beau s'enfoncer sous les couvertures, il ne dort plus. Il n'arrive plus à manger, refuse de monter à l'étage, où des bruits de pas se font régulièrement entendre. Le jour, il sent autour de lui comme une présence, froide et intangible, qui l'accompagne partout, au jardin, en voiture, et même au travail. Un raidissement lui prend la nuque, sa colonne vertébrale s'agite souvent d'un frisson incoercible. Son frère et Brigitte ressentent parfois le même malaise, et la même présence impalpable que tous ont baptisée "Elle".
Béatrice se balance et chantonne en dormant, terrorisant son frère aîné qui se réveille et lui crie d'arrêter. Depuis les circonstances tragiques qui ont accompagné sa naissance, liée de près à l'aggravation définitive de la santé mentale de sa mère, Béatrice a beaucoup préoccupé Bernard. La violence de ses caprices effraye son frère et rappelle à son père de mauvais souvenirs. Mais la gentillesse, la rigueur bienveillante et efficace de Brigitte ramène vite le calme. Cependant, depuis la naissance récente de son demi-frère, le comportement de la fillette a pris un tour étrange. Elle se montre plus indépendante encore qu'à l'habitude, se réfugie dans sa chambre dès son arrivée à la maison, y joue pendant des heures avec sa poupée, qu'elle interdit à quiconque de toucher. Un jour, elle s'est jetée sur Brigitte qui voulait la ranger, la lui arrachant des mains avec rage. Elle frappe son frère aîné Bruno quand celui-ci s'en approche.
En fait, ses crises de somnambulisme ont précédé de quelques semaines le déclenchement du Poltergeist. Elles datent de la fête du centre aéré local où Bruno a passé les dernières vacances. Au cours du spectacle, on a éteint les lumières et les enfants ont interprété une chanson en accompagnant le rythme avec des lampes électriques agitées dans le noir. Béatrice a été très impressionnée par le spectacle et a mémorisé immédiatement le chant, qu'elle reprend dans son sommeil, assise dans son lit et se balançant d'avant en arrière. Pendant une des soirées où Favier tient compagnie à la famille, il assiste à l'une de ces crises et monte calmer les enfants. En un geste vif, comme si elle ressentait la présence du guérisseur dans sa chambre, l'enfant se lève sans se réveiller, prend sa poupée et se recouche en la serrant dans ses bras.
Curieusement, le bébé semble répondre de loin au chant de la fillette, par une respiration anormalement forte et bruyante qui inquiète la jeune maman. D'autant plus qu'elle retrouve chaque matin le berceau éloigné de leur lit contre lequel elle l'avait placé la veille. Cependant elle ne cède pas à la panique. Ce n'est pas son genre, et elle fait confiance au guérisseur. Il lui a promis que rien de grave ne leur arriverait. Elle est moins affectée que Bernard et Benjamin, qui ne dorment presque plus. Mais elle ne reste jamais seule. Pendant la journée, sa mère lui tient compagnie, plus effrayée que rassurante. La nuit, la présence de son père la sécurise. Il continue à rire de l'émoi de sa femme et des deux hommes, à taquiner sa fille, avec une pointe d'admiration pour son courage. 
- Tu es la vraie fille de ton père, répète-t-il souvent, avant de les traiter tous de fous. Lui-même dort comme un bienheureux. Jusqu'à la cinquième nuit, où Bernard l'entend gémir plusieurs fois. Au matin, Le Père descend plus tôt que d'habitude, alors qu'il fait àpeine jour. Il est blanc comme un cadavre.
- Fais-moi donc un café, dit-il à sa fille d'un ton sec.
- Qu'est-ce qu'il t'arrive, tu ne bois jamais de café d'habitude ? demande Brigitte étonnée.
- Lève-toi et fais-moi un café, je te dis. Ce sera pas la première fois que je boirai du café, quand même ! 
Bernard n'ose pas intervenir, ni même regarder franchement son beau-père qui tourne en rond un instant puis s'assoit lourdement à la table et avale coup sur coup deux grands bols de café.
- Bon, eh bien, ce coup-ci, heu, mes enfants, je l'ai sentie, commence-t-il hésitant. Et vous amusez pas à rire, n'allez pas croire non plus que j'ai eu peur, hein ? ajoute-t-il aussitôt, d'une voix cassante. D'abord j'ai été réveillé par un froid, mais je n'arrivais pas à ouvrir les yeux. Et puis Elle m'a touché à l'épaule. Je l'ai attrapée, et j'ai senti comme un poignet, sauf que ça n'avait pas de forme, ça a fondu dans ma main comme si c'était mou. Non ! Pas mou, mais comme si ça n'avait pas de consistance, vous comprenez, comme si je touchais quelque chose qui fondait jusqu'à devenir rien du tout. Et je voulais ouvrir les yeux mais je n'y arrivais pas, rien à faire. Et quand j'ai pu les ouvrir, il n'y avait rien. Rien, sacredieu ! Et pourtant, bon sang, je l'avais chopée ! Et je voulais vous appeler pour vous dire que je la tenais, mais pas moyen d'ouvrir la bouche non plus. 
Ce récit, où transparaît la peur que Le Père veut dissimuler, impressionne Brigitte et Bernard, et en même temps leur donne l'espoir d'en finir bientôt avec ce cauchemar. Enfin, le guérisseur va pouvoir intervenir ! 
Comme tous les samedi, Bernard et son beau-père passent la journée à bricoler sur la maison. Ils veulent finir l'installation de chauffage, mais constatent qu'il est impossible de souder : le cuivre ne rougit pas, quel que soit le réglage du chalumeau. C'en est trop pour Le Père qui se met en colère, charge tout le matériel dans sa voiture, réussit chez lui une soudure impeccable, revient, essaye de nouveau. Rien à faire ! Perturbé par sa nuit, épuisé d'avoir transbordé les lourdes bouteilles de gaz et assommé par cet échec, Le Père s'avoue vaincu :
- Il est temps que votre sorcier intervienne, et en vitesse ! proclame-t-il enfin.
Ce que Favier fait le soir même. 
Il invite la famille à quitter les lieux et passe la nuit dans la maison vide. Qu'y fait-il ? Mystère ! Le lendemain, il réussit après une longue négociation à obtenir de la petite Béatrice qu'elle lui confie sa poupée. Il la lui rapporte solennellement le soir-même, vêtue de nouveaux habits. Ce double rituel met immédiatement un terme définitif aux troubles.
La maison retrouve sa chaleur et son confort habituel. L'odeur entêtante et si étrange, que les témoins comparaient à celle d'un mort, disparaît enfin. Aucun bruit de pas n'ébranle plus le plancher de l'étage, les objets restent en place, la vieille machine à laver hors d'usage dort au garage, la radio éteinte reste muette. 

Ici comme ailleurs, les seuls phénomènes matériellement constatés ne permettent aucune conclusion. 
Au milieu de la grande salle, une dalle de carrelage sur deux a été fendue. Le pointillé de cette rupture reste inexplicable : un tassement de terrain ou un glissement de la chape aurait provoqué une fissure continue. 
Le froid qui régnait dans la maison a été ressenti par les visiteurs, dont certains ont été témoins de l'épisode des soudures. Parmi lesquels Corbin, qui avoue avoir lui-même essayé sans succès, mais ajoute aussitôt avec sa prudence coutumière : "Cela ne prouve rien !". 
En effet, cela ne prouve rien. On ne peut exclure la possibilité qu'il ait cédé aux hallucinations d'une suggestion hypnotique, lui enjoignant inconsciemment de rater sa soudure. 
Ici comme ailleurs, comme à Cideville, comme chez les A., ce poltergeist se déroule dans un contexte, et contient des éléments d'un tout autre ordre, aussi réels quoique encore plus difficiles à cerner puisqu'ils ne concernent plus la maison, les meubles ou les objets, mais des êtres humains, victimes d'événements qui à la fois les fascinent, les intriguent et les terrorisent.
Et qui, en premier lieu, les atteignent dans leur corps, et provoquent des raidissements de la nuque, des contractures soudaines de la colonne vertébrale, l'impression d'être accompagné par une impalpable présence, la sensation d'un poids pesant sur les épaules et celle d'un froid glacial pénétrant jusqu'aux os. Toutes ces manifestations d'ordre physiologique, comparables à celles relatées par les victimes de bombardements ou de situations affectives particulièrement dramatiques, forment une série de symptômes dont la répétition et la similitude aideront peu à peu le CRPN, de même que l'intuition qu'apporte l'expérience, à évaluer la gravité des affaires sur lesquelles ils enquêtent.
Ce contexte implique aussi des éléments d'ordre psychologique, inséparables des phénomènes eux-mêmes.
Chez les B., tous ont immédiatement compris qui désignait ce pronom "Elle", si rapidement adopté : la "folle", la maman des deux enfants aînés. Le "Elle" reste vague, on n'en parle pas ouvertement. Chacun pense cependant que, pour d'obscures raisons, "Elle" leur veut du mal et dispose peut-être de pouvoirs occultes maléfiques. Le guérisseur, mis au courant de l'histoire familiale, a pris en compte ce glissement. S'il l'a cautionné, c'est que cela ne va pas vraiment à l'encontre de son refus habituel de laisser nommer un suspect, principe de base qu'il applique pour éviter les conflits de voisinage, ou la recherche du jeteur de sort. Dans ce cas, il voit bien qu'il n'existe aucune velléité de "punir la coupable". 
Ce dérapage, par contre, a inquiété les membres du CRPN. 
Certes Corbin partage l'opinion du guérisseur ainsi que son adhésion apparemment sans réserve aux thèses des victimes. Il sait qu'à défaut de ressentir cette adhésion, la famille refuserait leurs interventions respectives, saboterait l'enquête, chercherait un autre guérisseur plus compréhensif. Par sécurité, il vérifie auprès de l'hôpital psychiatrique que l'ex-femme de Bernard n'a pas bénéficié d'une permission de sortie. La pauvre femme, soulagée de ses fantômes intérieurs par l'hébétude médicamenteuse, semble hors d'état de nuire à quiconque d'autre qu'à elle-même, ne serait-ce même que par la pensée. Selon toute vraisemblance, "Elle", son ombre froide et ses prétendus pouvoirs, n'existent que dans l'esprit des membres de la famille.
Quel rôle y joue-t-elle ? Que révèle-t-elle ? Servirait-elle, au contraire, à dissimuler autre chose ? 

Une fois de plus, les parapsychologues du CRPN mesurent combien sont imbriqués les différents éléments en jeu dans un poltergeist, à quel point chaque cas nouveau apporte plus de questions que de réponses. Le poltergeist, qui les attirait tant par l'apparente simplicité de ses manifestations concrètes, s'avère bien plus complexe, riche et ambigu qu'ils ne l'avaient prévu. Avec leur équipement, qu'ils souhaiteraient pourtant plus sophistiqué, leurs magnétophones, leur désir de traquer, mesurer et comprendre ces inexplicables déplacements et transformations physiques de la matière, ils sont bien mal armés pour cerner tous les aspects du phénomène, et notamment ce "Elle" que la famille leur offre comme une explication. 
Heureusement, quelque temps après cette affaire, un objet providentiel tombe entre leurs mains avides de réalités plus matérielles. Il s'agit d'une simple, quoique peu banale, clé à molette, responsable quelques années plus tôt d'un des plus beaux poltergeist dont ils aient jamais entendu parler.

             Extrait de Lorsque la Maison crie, phénomènes paranormaux et thérapie familiale, Robert Laffont, Paris, 1994

 

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