En.marge                  Lorsque la maison crie, phénomènes paranormaux et thérapie familiale

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5 : POLTERGEIST ET GRILLES DE LECTURE

Chaque matin à sept heures, Monsieur Jean fait l'ouverture de sa station-service, isolée à la sortie d'un gros bourg du Cotentin. Il déverrouille l'immense rideau de fer, le relève, branche les pompes à essence, attache et nourrit l'énorme chien qui passe ses nuits seul dans l'atelier pour décourager d'éventuels voleurs. 
Dans presque tous les poltergeist, les premières manifestations sont bénignes. Ce matin-là, Monsieur Jean remarque que les phares d'un tracteur entré la veille sont brisés. Sur le sol, au milieu des éclats de verre, gît une clé à molette. Ne portant aucune des marques spécifiques grâce auxquelles les deux ouvriers mécaniciens identifient leurs outils personnels, elle appartient donc au garage, et devrait avoir été rangée la veille au soir par Maurice, le nouvel apprenti. Quelques instants plus tard, celui-ci fait connaissance avec la sévérité de son patron, qui ne le croit pas lorsqu'il affirme avoir suivi les consignes, le réprimande vertement, le menace de retirer le prix des réparations sur sa paye, et coupe d'un autoritaire "Ça suffit maintenant, au travail !" les bredouillements par lesquels le garçon tente d'expliquer que, même s'il avait oublié de ranger l'outil, cela n'implique pas qu'il ait lui-même cassé les phares du tracteur. Cette algarade, et l'étonnement des ouvriers à leur arrivée au travail, confèrent à la journée une atmosphère morose et inquiète.
Le lendemain matin, c'est une berline de luxe, presque neuve, que Monsieur Jean découvre bien plus gravement endommagée. Vitres, phares et pare-brise ont volé en éclats et la clé à molette malfaisante trône, comme un diable ricaneur, au centre du capot moteur défoncé.
Petit, replet, doté d'une énorme bedaine dont on se demande comment il parvient à la glisser sous le chassis des voitures qu'il répare, Monsieur Jean est un homme coléreux. La gravité des dégâts et la perspective de devoir les réparer à ses frais le rendent fou de rage.
- Maudite sorcière ! hurle-t-il en ramassant l'objet sacrilège, je vais t'empêcher de faire encore des tiennes !
Il l'enferme à clé dans le tiroir de son bureau, passe sa journée à vérifier la bonne fermeture des fenêtres haut-perchées éclairant l'atelier, monte sur le toit contrôler la tenue des tôles. Même sans compter le molosse de garde qu'il aurait fallu maîtriser, rien ne permet de penser qu'un mauvais plaisant ait pu s'introduire dans le garage. Pour plus de sécurité, Monsieur Jean y monte la garde toute la nuit suivante. Rien ne se passe. Mais au matin, il constate que la clé à molette a disparu du tiroir où il l'avait enfermée !
Elle réapparaît trois jours plus tard, au milieu d'un véritable désastre. Cette fois-ci, toutes les voitures ou presque ont été touchées, vitres et pare-brises en miettes, capots enfoncés, carrosseries constellées d'impacts, tableaux de bord massacrés. 
Avant les gendarmes, qui ne pourront que constater les dommages et l'absence de signe d'une quelconque infraction, c'est le curé du bourg que Monsieur Jean appelle au secours, affolé par les événements et inquiet pour l'avenir de son entreprise. Le prêtre le rejoint aussitôt, écoute le récit des événements, entend en confession les deux mécaniciens et le jeune apprenti, qu'il innocente catégoriquement après avoir rendu visite aux parents du garçon et vérifié son emploi du temps. Cependant, devant l'atmosphère de suspicion, de tension et d'angoisse qui règne dans l'équipe, il conseille au garagiste de se séparer de son apprenti, pour lequel il promet de trouver un emploi chez un fermier voisin. Il revient en fin d'après-midi, asperge d'eau bénite les recoins de l'atelier, psalmodie quelques phrases d'un rituel connu de lui seul, puis entraîne Maurice chez son nouveau patron.
Et tout revient immédiatement à la normale. Les dommages une fois réparés ou remboursés, le garage retrouve son calme et sa prospérité, aucune trace ne demeure du désastre.
Sauf la clé à molette, que Monsieur Jean conserve chez lui pendant vingt ans, avant de la remettre au CRPN aux fins d'expertise. Une clé àmolette de taille moyenne, d'apparence bien banale, avec ses machoires légèrement rongées par des centaines d'écrous récalcitrants, sa poignée marquée par le tube qui sert de rallonge lorsqu'un boulon grippé résiste, son métal terni au fil des années par la sueur de mains toujours graisseuses.
Certains, au CRPN, bondissent de joie devant cet objet à l'histoire insolite. Toujours rigoureux, les chercheurs parviennent à retrouver des témoins. Bien que l'affaire soit ancienne, le souvenir en reste vif dans leur esprit. Tous sont unanimes. La clé à molette est coupable, même si, sans qu'ils sachent comment, c'est l'apprenti le responsable. 
Membre du CRPN, Jacques Tavière est ingénieur chimiste, spécialiste des micro-cristaux. Il s'est donc naturellement intéressé aux objets en cause dans les poltergeist, et à leur structure plus qu'à leur mouvements. Son parcours ressemble à celui de nombreux scientifiques intéressés par le paranormal. Quelques événements personnels troublants, dont certains vérifiables, l'ont convaincu assez tôt de l'existence d'une réalité encore inexplicable. Ils ne l'ont pas jeté dans les bras du Yéti, pas plus que les lectures, travaux, rencontres, recherches et enquêtes qui suivirent. Clair et concis, il parle avec simplicité le langage sans détours ni fioritures des hommes habitués à manipuler la matière. 
- Au point où j'en suis après toutes ces années, dit-il sans paraître le regretter, je ne sais toujours pas comment ces phénomènes se produisent ni même s'ils existent. D'abord parce que les enquêtes débouchent rarement sur du tangible. Ensuite parce que dans ce domaine plus on cherche, moins on trouve. Plus on poursuit une expérience dont les débuts semblent prometteurs, plus elle vous échappe. Et enfin, parce que plus on avance vers une théorie, plus on se disperse.
Pourtant, avec les poltergeist, Tavière a bien cru tenir la bonne piste, comme tous les parapsychologues qui s'y sont intéressés. Toujours le même espoir : enfin des objets, du réel, du solide ! Il faut chercher, se dit Tavière, si les objets concernés ont gardé la trace de leurs mésaventures, et notamment au niveau micro-cristalline. C'est donc sur la clé à molette de Monsieur Jean que Tavière va exercer ses talents de chimiste. 
Pour obtenir et analyser des micro-cristaux, on procède à une petite cuisine qu'il maîtrise parfaitement. Cette technique, assez simple malgré l'équipement sophistiqué qu'elle nécessite, est utilisée pour mesurer par exemple la composition ou l'homogénéité d'un alliage. On effectue des prélèvements en plusieurs endroits, et les échantillons obtenus, petits copeaux de la taille d'une tête d'épingle, sont mis en dissolution dans différents acides, en fonction du métal recherché. Les bouillies de matière dissoute sont ensuite refroidies à -16O°C, température à laquelle se reforment les cristaux de chaque métal, dont on connaît les formes et structures et que l'on peut alors observer. Une clé à molette est composée d'un alliage d'alumine, de fer et de sidérite. Surprise ! Tavière constate que, sur cette fameuse clé, une proportion significative des cristaux de sidérite ne présente pas leur structure caractéristique normale, dite "rhomboédrique", c'est-à-dire àsix faces en forme de losanges égaux. Ils sont tordus autour de leur axe principal, ce qui, d'après Tavière, n'a jamais été observé et ne peut s'expliquer par un accident de fonderie. 
- Admettons, pense-t-on aussitôt. Mais qu'est-ce que cela prouve ?
- Rien, répond Tavière, sinon qu'il s'est passé quelque chose que nous ne comprenons pas. C'est un fait brut. Nous ne savons pas pourquoi seule la sidérite est affectée. Il faudrait pouvoir multiplier les expériences, analyser d'autres matériaux. Et cela nous ramènerait au problème que je mentionnais tout à l'heure : dans ce type de recherche, plus on avance, plus on se disperse.
Les suites de cette expérience illustre cependant une autre difficulté que rencontre l'étude des phénomènes paranormaux. Lorsque Tavière essaye de publier ses observations, aucune revue scientifique n'accepte son article - sans en justifier le refus. Il envoie alors des échantillons de métal à un grand laboratoire d'une société de sidérurgie, sans préciser d'où ils proviennent. "Nous avons trouvé un "twistage" étrange au niveau cristallin, d'où sort cet alliage ?" lui demande-t-on quelques semaines plus tard. Imprudent, Tavière explique. Lorsqu'il rappelle, silence. L'interlocuteur devient injoignable, puis déclare avoir perdu le dossier, les échantillons, qu'il finit enfin par prétendre ne jamais avoir reçus. 

Halte ! Cette chanson-là est trop connue. Les blocages de la science officielle française devant le paranormal ont déjà été évoqués tout au début de cette enquête. Et, comme on le verra dans le chapitre suivant, l'interdit s'applique aussi dans les Sciences dites Humaines. L'important est ailleurs. Car le débat stérile entre science et parapsychologie montre avant tout qu'il est fonction de la grille de lecture que l'on privilégie. 
Le terme grille de lecture implique une idée de limitation. Il peut désigner en effet les barreaux d'une prison dans laquelle on rejette l'événement, ou bien celle dans laquelle on s'enferme avec le phénomène, par une sorte de procédé totalisateur auto-justifiant. L'interprétation par la sorcellerie des événements de Cidevile, ou la lecture spirite expliquant le cas d'André et Amélie par le fantôme de leur fils, en fournissaient l'exemple, car l'une et l'autre se servaient des faits pour se valider elles-mêmes au lieu de chercher à les analyser. 
Les grilles de lecture modernes tentent d'éviter ce travers. Elles s'apparentent plus à des projecteurs dont les teintes variées éclairent différents aspects d'un même fait, qui pourraient ne pas apparaître sous l'éclat solitaire d'une lumière uniforme. 
La première de ces grilles consiste à privilégier l'étude "objective" concrète du phénomène, pour en démontrer l'existence. Certains, comme Tavière, ont choisi les objets. D'autres privilégient la recherche sur le lieu, comme les défenseurs de la thèse tellurique, qui relient les poltergeist à la présence de courants magnétiques souterrains, mis en évidence dans certains cas. D'autres encore, comme l'Allemand Hans Bender, ont surtout étudié les déplacements. Rendu célèbre par son enquête du fameux cas de Rosenheim, mentionné dans l'introduction, Bender s'est concentré pendant quarante ans sur les déplacements et disparitions d'objets. Il mit au point un dispositif sophistiqué comprenant caméras pour balayer la pièce, appareils photos à déclenchement instantané, rideau photo-électrique servant de système d'alarme automatique. Peine perdue ! Des objets apparaissaient, d'autres disparaissaient, mais sans jamais déclencher l'alarme ni être enregistrés. Sur les films, l'objet était là, puis absent, sans que rien ne vienne expliquer sa disparition, jamais enregistrée ! Pire encore : tout au long de sa carrière, Bender fut victime de surprises désagréables, comme si derrière les poltergeist se cachait un esprit facétieux décidé à ridiculiser la rigueur méthodique toute germanique avec laquelle le chercheur menait ses travaux, et les précautions qu'il prenait en s'entourant de policiers, d'huissiers ou de notables assermentés. A Fribourg en 1951, les meubles d'une pièce mise sous scellés par la police furent bouleversés sans que les scellés aient été touchés. En 198O, à Mulhouse, la pellicule disparut d'une caméra, elle aussi scellée. Bender et l'huissier chargé d'ouvrir les scellés trouvèrent la caméra intacte, mais sans son film, remplacé par un papier portant d'étranges motifs géométriques, d'un symbolisme incompréhensible.(*) Tous les parapsychologues qui ont tenté cette approche le constatent, les poltergeist ne se contentent pas de provoquer la panique chez ceux qui en sont les victimes, mais semblent aussi prendre un malin plaisir à dérouter les enquêteurs en sabotant leurs expériences. Ce qui, en plus de saper le moral des chercheurs troublés par cet insaisissable phénomène, leur rend la tâche fort difficile lorsqu'ils s'efforcent de communiquer leurs résultats !
Ceux-ci sont maigres, mais suffisants à leurs yeux pour poser la question aux théoriciens.
Et à leur grande surprise obtenir parfois des réponses, ce qui prouve que la science n'est pas aussi dogmatiquement fermée au paranormal que le laisseraient supposer les tribulations de Tavière ! 
- Il faut prendre en considération ces phénomènes en les rattachant à l'hypothèse d'un hyper-espace côtoyant notre univers, répond à Bender le professeur Petzold, physicien à l'Université de Marburg. 
L'idée d'hyper-espace n'est pas nouvelle. Le premier à l'aborder, comme une hypothèse mathématique, fut en 189O Ernst Mach, père de l'unité de vitesse supersonique mais aussi, par sa critique de la mécanique newtonienne, précurseur et inspirateur des premiers physiciens quantiques. Elle a de multiples variantes. Consulté, Stéphane Lupasco parle à Tavière de "mini trous noirs". Olivier Costa de Beauregard écrit en 1983 à propos de certains phénomènes quantiques qu'ils "se situent hors espace-temps" (*). Andreï Sakharov évoque en 1984 un "espace à plusieurs dimensions de temps". 
Pour comprendre ce qu'est l'hyper-espace, il faudrait s'enfoncer dans les méandres de la physique relativiste, patauger dans les quantas, "trisséquer" (sic !) l'espace-temps pour découvrir, hors du passé, loin du futur, un hypothétique Ailleurs. 
Autant dire s'approcher d'un impalpable nulle part. 
Où justement pourraient avoir lieu des phénomènes étranges.
Imaginons, disent les physiciens pour illustrer ce qu'il appellent hyper-espace, des organismes formés d'une seule couche de molécules, vivant dans le monde absolument plat d'un univers à deux dimensions, droite-gauche et avant-arrière. Notre notion de haut et bas leur étant inconnue, nous ne pourrions exister pour eux que sous la forme d'une apparition subite et incompréhensible, telle que la peau de notre doigt soudain posé sur leur horizon plan. Un cheveu en travers de leur route formerait une barrière infranchissable. De façon analogue, un être vivant dans cet univers parallèle au nôtre serait pour nous totalement inconcevable, et pourrait déplacer ou faire disparaître des objets appartenant à notre monde sans que nous le voyions.
C'est la physicienne américaine Elizabeth Rauschner qui a véritablement "lancé", dans les années 1970, la recherche théorique sur l'hyper-espace. Selon elle, aux quatre dimensions de notre espace-temps relativiste correspondraient quatre autres dimensions, imaginaires au sens où l'on parle de nombres imaginaires en mathématiques, qui formeraient un espace-temps à huit dimensions. Juxtaposés et non séparés, les deux univers parallèles communiqueraient par une ligne de démarcation, qu'elle estime franchissable et appelle "spirale de connexion".
Certains parapsychologues se laissent volontiers séduire par cette hypothèse, dont peu d'entre eux comprennent la démonstration mathématique fort savante. Elle leur permet d'expliquer la voyance par l'entrée dans une autre dimension temporelle. Le poltergeist en fournirait même un début de preuve. Les disparitions d'objets seraient le fruit de leur passage d'un univers dans l'autre. Comme dit Corbin, ce ne sont peut-être pas eux qui bougent, mais nous. Dans notre univers, l'énergie nécessaire à une dématérialisation serait en effet comparable à celle d'une bombe atomique. Au contraire, le saut entre les deux univers ne demanderait qu'une faible énergie, dont on retrouverait la trace dans la légère chaleur constatée au moment de la réapparition des objets. Plus encore, le "trou noir" observé parfois, dans l'affaire des poteries par exemple, illustrerait le franchissement de la frontière entre cet univers à huit dimensions, où vitesse et lumière ne sont plus liées, et le nôtre. A certains moments, cette ligne de démarcation disparaîtrait complètement. Maison, objets, victimes, témoins et observateurs se retrouveraient alors tous ensemble dans les deux univers à la fois, emportés dans la spirale de connexion dont parle Elizabeth Rauschner, tourbillon de tous les possibles.
Après tout, cette idée n'est pas plus ridicule que les phénomènes eux-mêmes, ni plus extravagante que les déclarations de certains savants très sérieux sur les propriétés de la matière découvertes par la physique moderne.
D'autant plus qu'il existe d'autres similitudes entre les observations des physiciens quantiques et le poltergeist. 
L'aspect insaisissable de celui-ci rejoint, par exemple, l'impossibilité d'étudier en même temps une particule et sa trajectoire, bien connue en mécanique quantique. Non seulement l'étude mais la réalité elle-même dépendent du choix de l'observateur. S'il privilégie l'objet, sa trajectoire leur échappe, s'il choisit d'observer celle-ci, la particule disparaît, devient onde. Tout se passe un peu comme lorsqu'on décide d'observer un animal nocturne : si on l'éclaire d'un projecteur, il se fige, on peut alors étudier sa morphologie. Si on ne l'éclaire pas, on peut étudier vaguement son comportement, ses mouvements, mais plus sa morphologie. "La matière, disent les physiciens quantiques, est à la fois onde et particule. A la fois, mais jamais en même temps." Autrement dit, une particule est à la fois là, et ailleurs, sous une autre forme. 
Dans les accélérateurs de particules, "l'effet tunnel" montre que certaines particules traversent des obstacles infranchissables sans que l'on comprenne encore pourquoi, ni comment, les unes passent alors que d'autres restent bloquées. De plus, les physiciens quantiques réussissent aujourd'hui à transformer de l'énergie en particules. D'autres expériences bouleversent totalement la notion d'espace-temps, en montrant une communication instantanée entre des particules éloignées. Les théoriciens, quant à eux, parlent de "moi quantique", de "l'holisme relationnel" entre observateurs et phénomènes observés, et se posent aujourd'hui la question : la réalité existe-t-elle en dehors de la conscience, ou est-ce la conscience qui établit la réalité ? Le poltergeist serait-il, à l'échelle macroscopique, semblable à ce qu'on observe à l'échelle microscopique ? 

Cette interpénétration entre esprit et matière explique que beaucoup de parapsychologues penchent pour une autre grille de lecture, et attendent plutôt des sciences humaines les percées les plus significatives dans la compréhension, voire l'explication, du paranormal. Comme beaucoup de chercheurs d'autres disciplines, ils prévoient que les avancées futures viendront principalement de la médecine. Dès les années cinquante, le Docteur Alain Assailly avait proposé une grille de lecture médicale, mettant en évidence certains signes cliniques communs à de nombreuses personnes, sujets ou victimes de phénomènes paranormaux. Une peau délicate qui marque facilement, des ligaments fragiles, une pilosité marquée, de soudains gonflements de l'abdomen, une tendance aux allergies, semblaient indiquer chez ces sujets des dérèglements d'ordre surrénal et hormonal. 
Les explications médicales actuelles reposent toutes sur l'hypothèse que dans certaines circonstances, les ondes cérébrales pourraient créer un champ susceptible de modifier la structure de la matière. La théorie des champs rotatifs assimile la disparition ou le transfert d'objets àce "champ psi", de caractère ondulatoire et rotatif, généré par deux sources déphasées. La théorie des éruptions cérébrales, favorisée notamment par les chercheurs russes, explique la création de ces champs par des sur-tensions dans les ondes électro-magnétiques présentes dans l'encéphale. La grille de lecture médicale se base aussi sur des symptômes physiques ressentis par les victimes : raidissement de la nuque et de la colonne vertébrale, impression de vivre un rêve, légère perte de poids, tout indiquerait le passage à un état modifié de conscience.
Les parapsychologues qui privilégient cette grille espèrent beaucoup des prochaines découvertes sur le cerveau, ceux qui favorisent la physique attendent les progrès de la physique quantique. "C'est seulement en 1982, disent-ils, qu'Alain Aspect a prouvé la véracité du quantisme, par son expérience sur la communication entre particules éloignées." 
En fait, c'est peut-être d'une convergence entre ces deux démarches que viendra l'explication du paranormal, en même temps, n'hésitent pas à affirmer certains savants les plus en pointe, que la réponse à des questions bien plus larges, telles que la place de l'homme dans l'univers, ou celle de sa conscience. Les premiers résultats de nouvelles recherches, comme celle des neurologues américains Kornhüber et Libet, tendent à indiquer que, dans le cerveau, il existe une supra-conscience, autonome, indépendante des lois de l'espace-temps, de l'énergétique, et des contingences chimico-électriques de l'activité neuronale. Un hyper-espace à l'intérieur même de nos têtes, en quelque sorte ! Ces expériences ouvrent la porte à toutes les hypothèses. On peut comparer, par exemple, la très faible énergie, nécessaire à cette hyper-conscience, avec la force nucléaire faible, en apparence tout aussi minime, mais dont les physiciens ont tiré l'énergie atomique. La télékinésie, spontanée comme dans les poltergeist, ou dirigée, comme dans les machines à mouvement aléatoire sur lesquelles travaillent de nombreux physiciens, sera-t-elle à l'avenir ce que la découverte de la radioactivité fut à ce siècle, l'ouverture vers une puissance insoupçonnée ? Le phénomène humain, point de rencontre entre matière et esprit, est-il appelé à se libérer de l'outil, à sortir de l'ère technologique ?

Confrontés à la complexité des facteurs en jeu dans un poltergeist et à la diversité des grilles de lecture utilisables, les membres du CRPN, comme la plupart des parapsychologues sérieux, admettent toujours après plusieurs années d'enquêtes ne pas pouvoir en apporter la preuve formelle, malgré témoignages, enregistrements sonores et rapports de police.
- L'hypnose est un fait acquis, la télépathie existe et serait facile à démontrer selon les critères de la recherche moderne, les poltergeist quant à eux ont une forte probabilité d'existence, affirme Laurent Corbin. 
Plusieurs raisons expliquent cette prudence. Elles tiennent autant aux difficultés techniques et humaines rencontrées qu'aux notions mêmes de preuve et de fait dans la science contemporaine. 
Le petit groupe de bénévoles, informel et non soutenu, manque de ressources financières. Pour réussir l'étude dont ils rêvent il faudrait s'y consacrer à temps plein, disposer de moyens d'intervention rapide, d'instruments d'enregistrement plus sophistiqués que leur matériel rudimentaire. Les victimes les laissent rarement s'installer dans leurs maisons pour observer, filmer, enregistrer les événements en direct. Les chercheurs sont obligés de prendre des précautions, de tenir compte des réactions de tous. 
L'impossibilité presque totale de dissocier, pendant une intervention sur le terrain, les faits de leur contexte ne tient pas seulement aux victimes ou à leurs proches, témoins directs ou indirects des phénomènes. 
L'enquêteur, jamais neutre, est partie prenante de ce qu'il cherche à analyser. Ses propres réactions, ses idées, influencent les témoins et font évoluer les phénomènes dans la direction qu'il privilégie.
On retrouve là, une fois encore, une donnée de plus en plus acceptée par la recherche scientifique contemporaine, en physique des particules, chimie moléculaire ou biologie : l'observateur n'est ni indifférent ni extérieur à l'objet qu'il étudie. 
Le protocole d'enquête que le centre a établi montre bien à quel point tout est interconnecté, combien une approche globale est indispensable. 
Dès sa première visite, le guérisseur, prêtre, voyant, gendarme ou médecin contacté par les victimes agit sur l'environnement. L'arrivée d'un curé n'a pas la même valeur symbolique et réelle que celle d'un guérisseur, elle n'est pas non plus toujours neutre, comme on l'a vu avec l'attitude de Favier face au Père dans le cas B. S'il fait partie du "réseau CRPN" et estime l'affaire importante, l'informateur fait remplir aux témoins un "dossier d'information" fourni par le centre. Ce document invite les témoins à décrire les faits, ce qui permet d'obtenir un premier témoignage, à chaud, des événements. Sa neutralité s'arrête là, car il comporte aussi une demande d'enquête que le chef de famille doit signer pour qu'une intervention du CRPN ait lieu, ce qui évite d'éventuels ennuis ultérieurs et crée aussi un lien contractuel. Le formulaire stipule que "cette étude inclut des analyses d'ordre psychologique et sociologique". En prévenant que l'enquête ne se limitera pas aux faits, on induit l'idée que ceux-ci ne sont peut-être pas essentiels. 
L'étape suivante se passe au téléphone. Le membre du centre, à qui l'informateur a lu la description des faits établie par les victimes, les appelle, demande des détails. Sans même en être conscient, il peut là encore orienter le phénomène et influencer les témoins, par exemple en privilégiant de ses questions un aspect particulier de leur récit. 
Puis les enquêteurs se rendent sur place. Au début, ils procédaient à une véritable invasion, avec équipe nombreuse, caméra, magnétophone, thermomètre, etc. Ils réalisèrent très vite, en partie grâce à l'expérience de Corbin, que l'action des observateurs perturbe le phénomène lui-même, comme dans l'hypnose. Leur présence se lie à l'événement qu'il veulent mesurer, les implique gravement dans la vie des familles. 
- On travaille sur du vivant, dit Corbin. C'est comme la perle dans l'huître, en retirant la première on risque fort de tuer la seconde. Il faut procéder avec délicatesse. 
Ils enquêtent en effet sur des situations de tension extrême, dans lesquelles on cherche à les impliquer et dont on prétend même parfois les rendre responsables. La peur qu'éprouvent les victimes est facilement contagieuse. Aux premiers bruits étranges, certains investigateurs inexpérimentés sont eux-mêmes pris de panique, s'agitent, s'enfuient, ajoutant leurs terreurs et fantômes personnels àune ambiance déjà survoltée.
Malgré le respect et la prudence qu'ils imposent très vite à leur démarche et qui leur permettent d'apprivoiser les familles et de réduire l'impact de leur présence, celle-ci n'est jamais gratuite. Il est facile de franchir la limite entre l'écoute d'un bruit et l'amorce d'un dialogue avec lui. Comme Monsieur de Mirville à Cideville, on agit alors directement sur l'événement. 

Toutes ces constatations expliquent pourquoi, depuis déjà de nombreuses années, les chercheurs de l'étrange s'appellent des parapsychologues : ils travaillent sur des phénomènes impliquant des humains. La grille de lecture psychologique des phénomènes paranormaux ne s'oppose pas aux autres, mais cherche à les compléter. Si on tend aujourd'hui à la favoriser en ce qui concerne les poltergeist, c'est pour une raison simple : ils sont toujours précédés de troubles affectifs ou intellectuels. Et bien sûr, les craintes qu'ils provoquent ne font que renforcer ces troubles. Le docteur Assailly avait déjà relevé la présence fréquente de difficultés d'ordre spéculaire, telle que la confusion entre gauche et droite, par exemple, chez les personnes sujettes au paranormal. William Roll, dans une étude statistique de 116 cas bien documentés de poltergeist (*), a noté que la proportion de troubles affectifs devenait très importante, à partir du moment où les enquêteurs avaient commencé à prendre ces facteurs en considération !
Laurent Corbin est encore plus catégorique : "je n'ai jamais rencontré de poltergeist chez des gens pour qui tout allait vraiment bien, affirme-t-il. Par contre, il apparaît parfois qu'il vaut mieux ne pas le leur enlever, mais c'est une autre histoire."

Les problèmes psychologiques décelés varient en nature et en intensité. Les réactions aussi. En ce qui concerne ces dernières, cependant, des points communs existent. Les victimes d'un poltergeist désirent avant tout que quelqu'un intervienne et remette la situation en ordre. "Faites en sorte que tout redevienne comme avant", disent-elles au guérisseur. Lorsque celui-ci leur parle du CRPN et leur propose une enquête, les gens acceptent en général volontiers, pas seulement par soumission inconditionnelle à celui dont ils espèrent le salut. S'ils croient souvent que cela renforcera l'action du guérisseur et contribuera au retour au calme, les visites d'experts les rassurent surtout sur leur état mental : si des "savants" s'intéressent à leur cas, c'est qu'ils ne sont pas fous. 
Malgré l'état de choc dans lequel ils se trouvent, beaucoup se plaisent à décrire en détail, avec une minutieuse précision, les événements dont ils ont été témoins. Comme si la logique froide du récit pouvait effacer le côté totalement irrationnel des phénomènes. Les blocages apparaissent dès que l'enquête quitte le domaine précis des faits et se penche sur le contexte. Le ton vif et construit des descriptions factuelles fait place aux faux-fuyants, ou aux hésitations, ou encore au rejet. 
Car au delà de ces similitudes, les réactions aux enquêteurs aussi bien qu'aux phénomènes eux-mêmes divergent fortement. Avec toutes les réserves qu'il convient d'apporter à une classification forcément réductrice, on peut diviser les victimes de poltergeist en trois groupes : les Coopérants, les Indécis, les Opposants. S'ils symbolisent assez bien l'attitude générale face à l'irrationnel, ces groupes ne sont pas exclusifs. Ils peuvent au contraire représenter les différentes étapes que franchit une même personne au cours de l'évolution du phénomène.
Les Coopérants viennent souvent, mais pas toujours, d'un milieu relativement cultivé. L'étrangeté des événements excite leur curiosité, ils sont les seuls qui tenteront par exemple de filmer ou d'enregistrer. Ils évoquent volontiers et en détail leur situation au moment des incidents. Dès que les phénomènes ont commencé, ils se sont lancés dans leur propre recherche, ont trouvé des réponses dans des livres ou des revues. Ils ressemblent à ces patients qui ont tout lu sur leur maladie et croient en savoir autant que le médecin, auquel ils posent de sérieux problèmes lorsque par malheur ils se sont trompés de diagnostic. Difficile dans ces conditions d'approfondir l'enquête. Ce sont les rois du faux-fuyant. Avant même les premières questions, ils indiquent l'adolescent "coupable" ou cherchent à imposer la thèse de leur choix, souvent plus rassurante qu'adéquate. Ils adoptent parfois une attitude contre-hallucinatoire, similaire à celle du médecin face àla gerbe d'étincelles que Corbin avait observée lors de ses travaux sur l'hypnose. Rencontrer des Coopérants est peu fréquent, sans doute parce qu'appeler un guérisseur correspond rarement au type d'interprétation qu'ils ont choisi. Lorsqu'ils le font, c'est par une sorte de dédoublement : "Ma femme, ma tante, ma vieille mère, croit à ce genre de pratiques, venez donc, cela la rassurera". 
Nous avons vu avec les B. un cas typique d'Indécis. Ce sont les plus nombreux. Face aux troubles, leurs réactions vont de la paralysie terrorisée à un accommodement ambigu qui peut se prolonger. Ils désignent très vite un coupable, généralement extérieur, choisissent une explication mais sans l'expliciter ni s'y accrocher coûte que coûte. Confrontés à d'autres réalités plus complexes, ils écoutent, se confient, amorcent une réflexion sur eux-mêmes. Cependant cette remise en question, toujours hésitante, s'apparente souvent à une tentative de "noyer le poisson". Elle s'arrête donc dès que les phénomènes cessent, et l'on revient au statu-quo antérieur, quitte à ce qu'ils recommencent ou qu'un autre symptôme apparaisse. Les B., une fois en confiance, se sont interrogés sur eux-mêmes, pas au point cependant d'abandonner la thèse de la malade mentale agissant de l'extérieur à l'aide de pouvoirs aussi mystérieux qu'impossibles. Et la petite Béatrice souffrira pendant plusieurs mois de troubles du sommeil, soignés par le guérisseur. Lorsque, sur le conseil de l'école, elle sera suivie plus tard par un psychologue, personne dans la famille ne mentionnera au thérapeute le poltergeist que l'enfant a vécu. Peur du ridicule ? Ou blocages devant le risque de voir apparaître des fantômes à la fois plus intimes, plus secrets, et moins surnaturels ? 
Avec les Opposants, les problèmes surgissent très rapidement. Dès qu'ils comprennent que l'enquête ne se limite pas aux témoignages et aux faits observables mais englobe aussi leur vie privée, leur rejet est immédiat. Avec le temps et beaucoup de patience, comme dans le cas A., on arrive parfois à rétablir la confiance. Dans d'autres cas l'enquête avorte. On assiste alors à toute une gamme de réactions, communes conséquences des situations non résolues : le phénomène persiste ou devient récurrent, réapparaissant à intervalles réguliers, ou la famille disparaît sans laisser d'adresse, ou l'un de ses membres développe une maladie, mentale ou physique, ou se suicide. Mais il arrive aussi que les victimes du poltergeist se retournent contre les enquêteurs, leur en imputent la responsabilité, les accusent de sorcellerie, deviennent menaçants et sortent le fusil. En quelques occasions, les membres du CRPN ne durent leur salut qu'à la rapidité de leur fuite. En suivant malgré tout grâce à leur informateur certaines de ces affaires jusqu'au bout, ils se rendirent compte que cette agressivité sert parfois à cacher une réalité plus sordide, souvent d'ordre criminel. 

Sur le plan sociologique, le CRPN dresse de ses enquêtes un bilan dévastateur : une grande part des cas apportés au groupe relevaient de problèmes sociaux graves : incestes, viols, violence familiale, découverte soudaine de secrets sordides, de passés inavouables. Comme les chercheurs purent le constater au fil des années, ces problèmes débouchent souvent sur de faux poltergeist, entièrement "fabriqués", appels au secours déguisés en phénomènes surnaturels pour provoquer une intervention extérieure sans la demander explicitement. Avec le temps, faire la distinction entre vrai et faux poltergeist est devenu pour Corbin plus facile, grâce aux nombreux indicateurs physiologiques et psychologiques que son équipe a mis à jour. Il rêverait d'un centre alliant recherche, formation des guérisseurs à la maîtrise de ces situations, travail social et psychologique sur le terrain. Hélas, malgré ses démarches, le manque de soutien pour la création d'un tel organisme est total. "Cela aboutit à dix meurtres ou suicides par an en Normandie, uniquement d'après nos propres archives", estime Corbin, pour qui cet aspect est le plus fondamental.

Tirant l'amère leçon de ce constat et de l'impossibilité de voir les organismes officiels reconnaître leurs résultats et admettre l'intérêt de pousser les recherches plus avant, les membres du CRPN en ont aujourd'hui quasiment dissout la structure. Cependant, avant de céder au découragement et de diminuer leurs activités, ils eurent l'occasion de mesurer l'efficacité que peut avoir, dans les cas de poltergeist, une assistance psychologique bien conduite. 
Deux psychologues d'un genre nouveau les ont en effet éclairés, par leurs surprenantes interventions, sur la teneur véritable de ces troubles affectifs dont tous reconnaissent maintenant l'importance. 
Ils vont aussi nous entraîner vers de plus larges horizons.

             Extrait de Lorsque la Maison crie, phénomènes paranormaux et thérapie familiale, Robert Laffont, Paris, 1994

 

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