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6 : UNE VRAIE PSY CHEZ LES PARAS

Pourquoi le cacher : dès notre première rencontre, Djohar Si Ahmed m'impressionna beaucoup. Difficile bien sûr de ne pas succomber à l'éclat de ses yeux sombres, au chant de sa voix rauque, au charme de ses gestes délicats. Mais plus touchante encore est cette soif de guérir qui, on le sent, la fait vivre. 
La chaleur et la simplicité avec laquelle elle présente sa démarche la rendent assez unique. Dans le monde souvent froid des psychologues s'élaborent des concepts d'une rigueur mécanique, dans un langage souvent incompréhensible, on vous répond "affects" lorsque vous mentionnez l'amour, "nécessaire distance vis à vis du transfert" si vous rêvez de compassion. Chez Djohar, pudeur et réserve laissent transparaître une active empathie, un acharnement que l'on sent viscéral à rechercher partout les outils lui permettant de mener à bien la tâche qu'elle s'est fixée.
- Je ne suis pas une psychanalyste classique, dit-elle. La psychanalyse n'est qu'un des outils dont je me sers pour aider les gens à comprendre ce qui se passe, quel que soit "ce qui se passe".
- Et ce "quel que soit" pourrait être par exemple des phénomènes paranormaux ? 
- Entre autres choses, bien sûr, mais attention, je ne suis pas spécialisée dans les cas paranormaux ! Ce qui m'intéresse, c'est la thérapie, le changement, la guérison, que ce soit grâce à la psychanalyse, à l'éclairage systémiste, à la psychologie transpersonnelle, à l'hypnose de Chertok, à la respiration holotropique de Grof...
- Heu ???? 
- Oui, bon, peu importe. Disons que certaines pathologies très lourdes sont inaccessibles à la psychanalyse, psychothérapie verbale. Nous avons aujourd'hui d'autres outils, qui fonctionnent mieux. Bien sûr, j'aime bien théoriser, faire fonctionner mon mental, mais la théorisation se base toujours avant tout sur la thérapie. Dans un poltergeist comme pour le reste.
- Mais comment en êtes-vous arrivée à considérer les cas de poltergeist "comme le reste" ?
- Pour moi, la réalité physique des poltergeist n'est ni plus ni moins démontrable que l'existence des fantasmes, ou même de la pensée ! Et croyez-moi : un bon poltergeist, vrai ou faux, vaut bien mieux qu'un cancer, une sclérose en plaques ou un eczéma chronique, sans parler d'une schizophrénie !
- Ce n'est tout de même pas la même chose !
- Non, bien sûr. Mais je le répète, la réalité physique du phénomène ne m'intéresse pas. Ce n'est pas de mon ressort. Par contre c'est un symptôme, et si une intervention psychologique peut aider à le résoudre, à obtenir que jamais il ne revienne ni ne soit remplacé par autre chose de pire encore, c'est l'essentiel. Et on peut alors en faire une tout autre lecture !
Elle a raison : comme Corbin et le CRPN l'ont mis en évidence, se bloquer sur les tentatives d'explication physique ne permet pas de comprendre le poltergeist, mais entraîne dans le piège des grilles de lecture auto-justificatrices !
Mais comment Djohar Si Ahmed en était-elle venue à la para-psychologie ?
En général, les gens qui s'y intéressent ont eu des rêves prémonitoires, ont vu, entendu ou vécu des phénomènes paranormaux. Soit à l'âge adulte, comme Corbin et Tavière, soit lorsqu'ils étaient enfants.
Sur ce sujet, Djohar s'impose le "devoir de réserve", qui interdit à une thérapeute de parler de ses patients ou de soi-même. Elle avoue cependant avoir passé son enfance en milieu kabyle. Voyance, télépathie, rêves prémonitoires et transes curatives y faisaient partie de la culture quotidienne. A-t-elle été le témoin d'événements de cette sorte ? Silence. Ce qui est certain c'est que l'école puis l'université, où ces phénomènes n'ont aucune place, s'efforcèrent par la suite de lui faire oublier toute irrationalité. Mais il lui est resté de son enfance une prédisposition à capter l'étrange, une capacité d'écoute, une ouverture d'esprit qui manquent à la plupart d'entre nous, plongés plus tôt dans la marmite occidentale du rationalisme.
Et puis vinrent les psychotiques...
Tels de petits signes du Yéti, les télescopages avec un passé dont Djohar Si Ahmed avait oublié les détails et qu'elle croyait révolu commencèrent très vite, dès les premiers stages qu'elle effectua, encore étudiante, dans un hôpital psychiatrique. 
Un jour, un psychotique l'accuse à juste titre de ne pas l'écouter : "Vous êtes en train de penser à votre rendez-vous de cet après midi !", s'écrie-t-il en pleine séance, devinant exactement ce qu'elle a en tête alors qu'il n'en peut rien savoir. 
Ou bien un malade lui raconte un rêve, et Djohar réalise soudain que ce rêve est celui qu'elle vient de faire la nuit précédente.
Plus étrange encore : sans qu'ils puissent s'être concertés, les patients d'une même journée abordent l'un après l'autre un problème précis - qui justement la préoccupe. Ils en développent tous les éléments, comme en un long raisonnement ininterrompu, jusqu'au dernier malade, qui lui apporte la solution, sans en être le moins du monde conscient.
Intriguée, Djohar essaye d'en parler à ses collègues. "Balivernes, autosuggestion, délire, coïncidences", lui répondent-ils en général. "Oui, ces gens-là semblent parfois avoir un sixième sens", admettent les plus ouverts sans vouloir s'y attarder. Lorsqu'elle insiste, mentionne la possibilité de la télépathie, tous s'écrient : "Halte là ! Ne mets pas les pieds là-dedans, malheureuse, c'est hors-limite, tu vas ruiner ta carrière." 
Possible. Mais justement, aller voir au delà des clôtures paraît aux yeux de la jeune femme l'inévitable conséquence de ce désir de soigner qui la pousse à devenir psychologue et psychanalyste : découvrir, non pour le plaisir de savoir, mais pour mieux aider ceux qui souffrent. Aussi décide-t-elle, après de longues hésitations, de faire du paranormal le sujet de sa thèse de doctorat, qu'elle intitule "Etude des articulations entre parapsychologie et psychose". 
Déterminée à briser le tabou qui pèse sur le paranormal, Djohar commence par une recherche des textes consacrés au sujet dans les écrits des Pères Fondateurs de la psychanalyse. Et tombe sur des choses inattendues.
En France, où l'Ecole Freudienne domine l'Université comme la plupart des cercles psychanalytiques et intellectuels, c'est essentiellement Freud qu'on lit, étudie, commente, analyse, examine, développe, expose, explique, illustre, interprète, enseigne, potasse, dissèque. 
Et qu'on trahit, puisqu'il n'est presque jamais fait mention de son intérêt pour le paranormal.
Or Djohar constate rapidement que Freud, pourtant, s'est penché très tôt sur ce qu'il appelait l'occultisme. Un véritable débat a déjà eu lieu sur le sujet au début du siècle. Il s'agit de l'un des points cruciaux du litige entre Freud et Jung, deuxième grand fondateur de la psychanalyse, que de nombreux psychologues français avouent pourtant ne jamais avoir eu besoin de lire pour obtenir leurs diplômes. 
Avant leur rupture, Freud et Jung ont mené ensemble et avec Ferenczi, autre disciple de Freud, des expériences sur la télépathie. En 1932, Freud écrivait : "Je dirais même que la psychanalyse nous a préparés à admettre les phénomènes comme la télépathie, en insérant l'inconscient entre le physique et ce qu'on a appelé jusqu'ici le psychisme." (*) Il déclara aussi à Jones, son biographe, quelque temps avant de mourir : "Si j'avais une autre vie, je la consacrerais à l'étude de l'occultisme plutôt qu'à la psychanalyse." (*) 
Mais alors, pourquoi ne pas l'avoir fait de son vivant ? Pourquoi cet intérêt ne transparaît-il pas plus dans ses écrits, au point d'être aujourd'hui pratiquement ignoré ? 
La réponse tient autant à la personnalité de Freud lui-même qu'au rôle de son secrétaire, biographe et ... conseiller stratégique, l'Anglais Ernest Jones.
Il faut se replacer au début du freudisme, vers le tournant du siècle. La Belle Epoque. L'Occident triomphe, dirigeant une planète enfin entièrement cartographiée. 
Sur les moeurs, l'Angleterre impose son modèle, comme sur les mers sa flotte. Dans des salons bourgeois à la décoration pesante, un puritanisme victorien régit avec rigidité des relations policées, entre messieurs en faux-cols impeccables de raideur et dames corsetées aux charmes évanescents. Un paternalisme pudibond et sévère régente les familles. On y enseigne à des enfants maintenus silencieux la rigueur de vertueuses bonnes manières... (Ce n'est pas si lointain : la génération née dans les années 2O se souvient encore fréquemment de maisons où les enfants ne devaient pas parler à table !)
Dans les esprits règne la foi en l'avènement d'un homme nouveau, brillant comme un héros de Jules Verne. La technique et ses grandioses succès engendreront le progrès, source de civilisation. Et vice-versa. Culture, sagesse et savoir-vivre résulteront d'une éducation offerte à tous, axée sur la raison. La science, fille de cette raison sublime, remédiera à tous les maux. Dans certains domaines, elle a d'ailleurs atteint son apogée. "La science physique forme aujourd'hui, pour l'essentiel, un ensemble parfaitement harmonieux, un ensemble pratiquement achevé. L'ère des grandes découvertes en physique est terminée", s'extasie en 1898 le physicien anglais William Thomson.
C'est trop beau pour durer. Avant même que la grande boucherie de 14-18 ne vienne sonner le glas de cet illusoire credo en l'action bienfaisante de la science sur les consciences, deux failles majeures apparaissent dans le bel édifice.
Comme toujours, les artistes ont joué les précurseurs. Rimbaud et les Poètes Maudits, les Impressionnistes, Wagner, tous ont rejeté l'esthétisme ampoulé et pompeux de leur époque et l'illusoire bien-être de péremptoires certitudes.
Mais la première faille vraiment sérieuse vient de la science elle-même, enfant chérie des élites assoiffées de progrès. Elle n'en a pas tout à fait fini, en effet, avec la matière. Il reste un détail, intitulé à bon escient la "catastrophe ultraviolette" ! Deux ans àpeine après les déclarations de Thompson, Max Planck énonce en 19OO la théorie des quanta, qui va renverser la physique classique en tentant de résoudre ce dernier mystère que pose la lumière. Tout est soudain à revoir, avec d'inconcevables conséquences sur la façon de percevoir le réel. 
La deuxième brisure touche l'idée que l'on se fait alors de l'être humain, devenu depuis Darwin animal, certes, mais supérieur car raisonnable avant tout. Avec sa découverte de l'inconscient, Freud attaque tout à coup cette certitude en pleine tête. Compte tenu des détails, il s'agit plutôt d'un coup bas : l'importance de la sexualité dans les processus inconscients lève sans discrétion le voile sur ce que cachait le moralisme puritain de l'époque, et explique nombre de ses névroses. Contrairement à Planck, qui tente longtemps d'accorder quanta et physique newtonienne, Freud sait parfaitement combien ses idées sont révolutionnaires. "Les pauvres, ils ignorent que nous leur apportons la peste !", dit-il à Jung en arrivant à New York, non sans jubilation.
Cependant, Freud lui-même est aussi le produit de son temps. Admirateur de la raison, de la science, cartésien convaincu, il se considère d'abord comme un scientifique. Pour lui, la psychanalyse n'est pas une philosophie mais une science, matérialiste, méthodique, rationnelle et déductive. Au delà de ses efforts pour montrer combien sa théorie découle logiquement d'observations minutieuses, il suffit de voir le langage qu'il utilise pour définir ses idées. Il parle des outils théoriques, de la topique de la psyché, du matériel apporté par les patients, révélateur de mécanismes inconscients.
L'état d'esprit de son temps et son propre désir d'être reconnu ne sont pas étrangers à sa gêne face aux phénomènes paranormaux. 
Certains événements personnels et ses expériences de télépathie l'ont convaincu de la réalité de faits étranges. Reconnaissons-lui cet honneur : il ne les nie pas, ne tente pas de les réduire à des hallucinations ou à des croyances surannées comme beaucoup de ses disciples le feront plus tard. Mais leur imprévisible nébulosité le dérange. L'impossibilité de les faire coller à son modèle très mécaniste de la psyché justifie-t-il l'abandon du modèle, la déstabilisation de toute une doctrine ? Mieux vaut préserver celle-ci.
Ce choix fut renforcé par l'influence d'Ernest Jones. Violemment opposé à la parapsychologie, jouant sur le profond désir qu'avait Freud de faire accepter ses idées, Jones lui imposa un choix tactique. Si vous n'abandonnez pas le paranormal, lui dit-il en substance, nous passerons pour des spirites et des tourneurs de guéridon ! La pilule psychanalytique est déjà difficile à faire passer, n'aggravons pas notre cas.
A partir des année 20, lorsque son succès fut plus établi, Freud revint à l'étude de la télépathie. ("Rapport préliminaire" 1921, "Rêves et télépathie" 1922, "Signification occulte des rêves" 1925, 3Oème des "Nouvelles conférences sur la psychanalyse" 1932) Mais ce fut pour conclure qu'elle n'était pas un sujet vraiment traitable par la psychanalyse, et il refusa toujours de se pencher sur d'autres faits plus troublants. 
Est-ce par le même désir de ne pas choquer qu'aujourd'hui encore l'intérêt pour la parapsychologie reste comme frappé d'interdit, chez les psychologues comme chez les scientifiques ? Ou serait-ce par crainte de voir apparaître des lézardes à l'intérieur même de leurs édifices respectifs? 
Ce souci n'a guère encombré Jung, qui se disait peu désireux de fonder une Ecole ou de bâtir une doctrine. En France, on connaît mal Jung. Du fait de l'emprise exercée par l'école freudienne, il passe pour exagérément touffu, lourd, brumeux, voire mystique, ce qui est pire que tout ! 
Les deux hommes collaborent pendant cinq ans. Quand ils se rencontrent, en 19O7, Freud est fasciné par ce médecin au physique de colosse, la richesse de sa culture et l'éclectisme de ses intérêts. Enfin un disciple de valeur, digne de poursuivre le Grand Oeuvre ! Jung est alors déjà un psychiatre de renom, quoique beaucoup plus jeune (il a 32 ans, Freud 51). Dès le début Jung exprime son opposition à certaines idées de Freud tout en reconnaissant combien ses théories l'ont inspiré, ce qu'il ne cessera jamais de faire. Ses divergences portent notamment sur la parapsychologie. 
Pour Jung, l'intérêt pour le paranormal ne doit pas se limiter à la télépathie. Sa thèse de doctorat, intitulée "Contribution à la psychologie et pathologie des phénomènes dits occultes" (*), a pour origine un poltergeist dont il avait été témoin dans la maison de ses parents lorsqu'il était étudiant. Des craquements retentissaient dans les meubles. Une fente s'ouvrit dans la table en bois massif, un couteau se brisa en plusieurs morceaux, que Jung conserva toute sa vie. Il en fit analyser l'acier, on n'y trouva aucune "paille". En enquêtant, Jung découvrit qu'à la même époque, certains membres de sa famille se livraient à des séances de spiritisme, avec sa cousine pour médium. C'est en partie sur elle qu'il écrivit sa thèse. Travail intéressant, jugea Freud, mais qui ne fait guère avancer la Cause. 
Lors de leur deuxième rencontre, Freud improvise une petite cérémonie au cours de laquelle il intronise solennellement Jung comme son successeur. Une fois de plus, Jung un peu gêné lui fait part des nombreuses réserves qu'il éprouve envers les fondements mêmes de la théorie freudienne. La tension monte d'autant plus que les deux hommes discutent déjà depuis plus de dix heures. Soudain, derrière le bureau de Freud, la bibliothèque craque bruyamment. Freud tente de prendre la chose à la légère. "Ne plaisantez pas, répond Jung. Je peux vous garantir que cela va reprendre." Presque aussitôt de nouveaux bruits retentissent dans le meuble. Freud est troublé. Après le départ de Jung, il essaye pendant quelques jours de reproduire le phénomène, sans succès. Il écrit alors à son disciple que mieux vaut se concentrer sur des sujets plus tangibles. 
Prendre en compte le paranormal représente au contraire pour Jung un moyen privilégié d'accéder à une vision beaucoup plus large du psychisme. Cela lui permet de jeter les bases de nouvelles idées, en partie inacceptables pour Freud, qui s'enferme dans la citadelle de ses convictions. Quand on se sent menacé on bétonne. Parfois très mal : les deux fois où Jung développe devant Freud sa conception de la mort comme dimension intrinsèque de la vie et ouverture sur la réalité plus large d'un psychisme cosmique, Freud tombe en syncope ! 
L'inévitable rupture surviendra quelques années plus tard, lorsque la multitude de désaccords théoriques, jointe aux caractères des deux personnages, révèleront que leurs horizons sont trop différents. 

Dans une quête que ses adversaires qualifièrent de dispersion hétéroclyte, Jung frappa à toutes les portes, les laissa grandes ouvertes, alimenta les courants d'air. 
Pour lui tout était bon, tout était à étudier pour améliorer la compréhension de la psyché et, en élargissant son champ, comprendre peut-être les phénomènes paranormaux auxquels elle prenait part. L'alchimie, ses symboles de mue, de sublimation, ses ressemblances avec le processus d'une cure psychanalytique. Les mythes ancestraux, source des fameux archétypes, sortes de grands schémas dominants inconscients communs à toute l'humanité. Les Africains et leur manichéisme, calqué sur l'alternance du jour et de la nuit. Les Indiens d'Amérique et leur symbiose entre homme et nature. Les Hindous, et leur dimension collective de l'âme. Les Chinois, et leur Yi King divinatoire, apologie de l'incessante transformation. Et le paranormal, bien sûr, base de la théorie jungienne de la synchronicité. 
La version originale de son essai sur la synchronicité se trouve dans un ouvrage dont l'autre partie fut écrite par Wolfgang Pauli, célèbre théoricien quantique, prix Nobel de physique en 1945. Ce détail résume bien la différence fondamentale entre Freud et Jung. Les grandes idées de Freud (1856-1939) datent d'avant la révolution quantique. Elles sont encore à l'âge de l'engrenage et de la machine à vapeur, aussi sophistiquée soit-elle. C'est un mécanisme, les éléments s'enchaînent et ont un résultat, inscrit dans la rigueur des engrenages auxquels ils sont soumis. Alors que Jung (1875-1961) essaye de suivre les étincelles du grand coup de balai quantique, du pétillement de la matière sub-atomique jusqu'à l'horrible beauté du champignon hirosimiesque. 

La synchronicité est-elle le nom savant du Yéti ? Nous en avons tous vécu des manifestations, troublantes coïncidences, hasards trop frappants pour ne pas être chargés de sens. Un problème vous préoccupe et le soir même vous tombez justement sur un article à ce sujet, ou un ami l'aborde. Votre mère téléphone au moment précis où vous pensez àelle. Trois fois de suite, vous croisez le même inconnu dans trois endroits différents.
L'exemple célèbre que choisit Jung provient d'une thérapie avec une patiente particulièrement réticente. Une de ces femmes qui ont beaucoup lu et se protègent en inondant l'analyste sous un déluge de banalités et de rationalisations sans rapport avec leur véritable problème. Alors qu'elle lui raconte un rêve où on lui faisait cadeau d'un bijou en forme de scarabée d'or, Jung entend un choc contre la fenêtre et aperçoit un magnifique scarabée, vert doré. "Le voilà, votre scarabée", s'écrie-t-il en lui tendant l'animal qu'il vient d'attraper. Sous l'effet de la surprise, les blocages cessent et la patiente, libérée par le choc de ce concours de circonstances trop étrange pour être considéré comme une simple coïncidence, commence à parler vraiment d'elle-même.
"Concomitance non-causale d'un fait physique et d'un fait psychologique", la synchronicité éclaire d'un jour nouveau tout le paranormal, et particulièrement le poltergeist. Sa non-causalité renvoie de façon troublante aux résultats de l'expérience d'Alain Aspect sur la "communication" hors espace-temps entre les particules. 

Retour en France, en 1993. A partir de cette même idée de synchronicité, Djohar tente de relier paranormal et pathologie. Car les phénomènes paranormaux sont encore, pour elle, liés aux psychoses, pathologies graves où le patient perd totalement le contact avec la réalité au point d'en ignorer parfois être malade. Peu à peu cependant, l'exclusivité de ce lien apparaît moins évidente... 
D'abord, les surprenantes et incisives remarques des patients psychotiques de Djohar ont fait resurgir ses propres souvenirs d'enfance en Kabylie, si longtemps oubliés, et dont le cadre n'évoque en rien la pathologie. 
La recherche des "cas cliniques" dont elle a besoin pour sa thèse amène ensuite la psychologue à rencontrer des gens qui vivent ou ont vécu un événement qualifié de paranormal. Ils se soumettent volontiers aux tests psychologiques qu'elle propose. Beaucoup ne présentent aucun symptôme d'affection mentale, et la plupart de ceux qui semblent perturbés sont loin de donner des signes de véritable psychose.
Le mépris que la psychologie officielle cultive envers le paranormal la surprend d'autant plus. Ce mépris est avant tout le fruit de l'ignorance. Bourgeons poisseux des amalgames ! Voyance, télépathie, rêves prémonitoires rejoignent le spiritisme et l'occultisme, englués dans un même panier étiqueté "sorcellerie", d'où semble encore sortir la fumée des bûchers d'antan. Sous les fleurs acides de plaisanteries douteuses se cache l'épine des sarcasmes dont certains collègues accablent la jeune femme : "Tu fais dans la magie maintenant ? Tu vas nous jeter des sorts ?". Leurs moqueries ne font qu'avouer leur profond désarroi face à l'intérêt grandissant pour un irrationnel qu'ils refusent et dont, sans le savoir, ils favorisent de leur sainte ignorance toutes les dérives, au grand avantage des charlatans, exorciseurs à la petite semaine et désenvoûteurs de pacotille, qui profitent de la confusion. Ostracisme agissant d'ailleurs comme un boomerang auprès de leurs patients qui, le percevant, se taisent et s'adressent à des guérisseurs ou à des médiums. Ceux-ci, lorsqu'ils sont sincères, s'avouent parfois bien mal armés pour gérer la relation d'aide que ces demandes impliquent. Combien de fois Djohar n'a-t-elle pas entendu des malades lui avouer : "C'est curieux, vous êtes la première avec qui j'ose aborder ce sujet depuis des années que je vois des thérapeutes !" 
Etonnant paradoxe : les psychologues ne sont-ils pas là justement pour tout entendre, tout accepter ? Ne sont-ils pas, avec les médecins, les prêtres de l'ère moderne ? Si leur refus d'accorder de l'importance à ces phénomènes transparaît, comment peuvent-ils espérer soigner leurs patients ? Et que devient "l'écoute passive du malade", la "non-intervention", "le devoir d'impartialité", idées que l'on croit ingénument préalables de base de toute thérapie ? 
En s'introduisant, pour son enquête, dans la petite communauté des enquêteurs de l'étrange, Djohar constate que l'ostracisme est réciproque. Ce qui, en un sens, est logique. Reniés par la psychologie officielle, les chercheurs en parapsychologie comptent évidemment dans leurs rangs très peu de... psychologues ! La plupart sont des spécialistes d'autres disciplines. Certains sont donc fort peu enthousiastes de voir la jeune femme s'intéresser ainsi aux phénomènes qu'ils étudient. "Les histoires paranormales ne relèvent pas de votre compétence", semblent-ils suggérer, comme s'ils voulaient défendre leur territoire. Certes, ils admettent que la psyché puisse jouer un rôle dans beaucoup de phénomènes, mais cet aspect reste pour eux accessoire et ne justifie pas vraiment qu'on y consacre une recherche. Il faut plutôt se concentrer sur des faits objectivement observables. Mais en privilégiant ceux-ci, ils en oublient la dimension humaine.
C'est le cas, par exemple, d'Henri Marcotte, dont la rencontre permet àDjohar de mesurer à quel point les parapsychologues semblent ignorer l'inconscient, comme si Freud n'avait jamais existé. 
Avec son étrange Groupe d'Entraînement à la Télépathie, Henri Marcotte tente de réaliser le vieux rêve des occultistes du début du siècle : mettre au point une véritable "radio mentale". Les résultats ne sont pas à la hauteur de ses espoirs, même s'ils sont souvent troublants. 
"Pas étonnant, répond la jeune psychologue après plusieurs mois de participation, vous oubliez les parasites !" 
Pour elle il est clair que ces "parasites" prennent leur source dans l'inconscient, dans ses blocages, ses résistances, ses refoulements, ses fantasmes. Exemples simples : On émet l'image d'un balai, c'est celle d'une sorcière qui est reçue ! L'inconscient filtre le message, le déforme, et en code la transcription. Avec parfois beaucoup d'humour, comme lorsque l'image de la Place Vendôme devient pour le télépathe receveur, alsacien d'origine, celle d'un fantôme ! 
Ce que Djohar apprend dans le groupe d'Henri Marcotte, dont elle reprendra, avec Gérald Leroy Terquem, la direction quelques années plus tard, la confirme dans les idées que son contact avec les psychotiques ont fait germer en elle, et fournira l'essentiel de sa thèse. 
Cette thèse est simple, quoique provocatrice : Les extraordinaires capacités télépathiques des psychotiques proviennent du fait que, n'ayant plus de barrières mentales, plus de mécanismes de refoulement, ils "reçoivent" sans parasites. Quant à nous, nous serions tous télépathes, tout le temps ! Mais notre réception serait instantanément brouillée par nos blocages inconscients. 
L'idée a de quoi séduire. Elle rejoint ce que nous appelons souvent l'intuition ou sixième sens, et dont nous avons tous fait l'expérience lorsque nous sentons par exemple que, derrière nous, quelqu'un nous regarde. C'est le flair dont parlent les douaniers, qui leur permet de repérer un contrebandier pourtant à l'aise au milieu d'une foule où rien ne le distingue, ou mieux encore, de décider soudain la fouille d'un bagage perdu parmi tant d'autres.
Vu sous cet angle, l'entraînement à la télépathie deviendrait alors un formidable outil thérapeutique : en travaillant sur le brouillage, on peut avancer dans la connaissance de l'inconscient, en dénouer les blocages, libérer les tensions. Parallèlement, montrer que la télépathie existe et comment elle fonctionne permettrait d'ouvrir à la psychologie un champ nouveau, riche en applications, et de rassurer sur leur état mental ceux qui, sujets par exemple à des rêves prémonitoires, ne rencontrent pour l'instant qu'incompréhension et rejet, et se croient fous ou possédés.
Sur ce point les idées de Djohar rejoignent celle de Laurent Corbin et s'ouvrent au paranormal tout entier. La prise en charge psychologique des victimes d'un poltergeist favoriserait sa résolution, éviterait nombre de ces drames sociaux dont le CRPN a constaté l'acuité.

D'autres parapsychologues ont déjà tenté la démarche qu'entreprend Djohar Si Ahmed.
Notamment Hans Bender, le grand spécialiste allemand du poltergeist, psychologue de formation. Le centre d'étude qu'il avait fondé dans les années trente et dirigé jusqu'en 1985 s'appelait "Institut pour les Zones Frontières de la Psychologie". Parallèlement à ses méthodiques recherches factuelles, Bender menait des enquêtes psychologiques poussées. Il souligna la présence fréquente d'un adolescent psychologiquement perturbé, fille ou garçon, dans de nombreux poltergeists. Cette présence de l'adolescent, l'Américain Frank Podmore le mentionnait déjà en 19O8, parlant de la "formidable décharge d'énergie psychique" que l'enfant vit à la puberté. Mais c'est grâce à Bender que le rapport adolescent/poltergeist est devenu bien connu. Au point que les familles montrent souvent du doigt aux enquêteurs le ou la "coupable". A moins que ce ne soit l'adolescent qui, tout fier d'être la source de pareils événements, ne se désigne lui-même comme l'agent des troubles, au besoin en y rajoutant quelques facéties de son cru ! Bender fut le premier à se livrer à des investigations psychologiques approfondies, à faire passer des tests, à proposer une thérapie, qu'il conduisait parfois lui-même. Cependant, tout en étant très ouvert à l'aspect psychologique, le grand parapsychologue allemand se consacra avant tout, comme les chercheurs du CRPN, à l'étude des faits matériels. 

En travaillant sur sa thèse, Djohar a pu mesurer la profondeur du gouffre qui sépare parapsychologie et psychanalyse, et celle du fleuve d'ignorance qui court au fond de cette faille. On est encore loin de la coopération à laquelle elle aspire. Elle s'y consacre. En 1988, elle crée, toujours avec le psychiatre Gérald Leroy Terquem, l'Institut des Champs Limites de la Psyché, voué à l'étude, la recherche et l'enseignement de la dimension paranormale du fonctionnement mental. Ils sont amenés à travailler avec des parapsychologues, tels ceux du CRPN, notamment quand s'avère nécessaire une intervention psychologique, ce qui est le cas de la plupart des poltergeist.

             Extrait de Lorsque la Maison crie, phénomènes paranormaux et thérapie familiale, Robert Laffont, Paris, 1994

 

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