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8 :   RETOUR AUX SOURCES

Une famille ? Apparemment rien de plus simple : selon historiens et sociologues, la famille constitue le cadre social à la fois le plus performant et le plus économique que l'humanité ait trouvé pour fabriquer et prendre soin des bébés, éduquer les enfants, les préparer à une vie active et adulte. Les différentes formes qu'elle peut avoir dépendent des époques et des cultures mais ne remettent pas en question ce rôle fondamental. Plus encore : malgré toutes les variantes que le présent impose, le modèle conserve toute sa vigueur. Perte des traditions, révolution sexuelle, maîtrise de la procréation, prolongation du séjour du jeune couple au domicile des parents de l'un ou l'autre, augmentation des divorces, apparitions de cellules monoparentales, partage des rôles éducatifs, intrusion de la télévision, de l'école, des organismes sociaux dans le domaine réservé aux parents, jeux vidéos brisant la communication, tous les bouleversements du dernier demi-siècle devraient avoir transformé la famille et la vision que les Occidentaux en ont. Ils n'ont apparemment rien changé, semblent au contraire avoir renforcé l'image de la famille comme dernier pôle de sécurité au milieu d'un monde devenu menaçant. Les statistiques sont formelles : la famille reste la dernière valeur d'une société qui a paraît-il perdu toutes les autres.
C'est donc qu'elle remplit une fonction très profondément ancrée en nous. Quelle fonction ? Et pourquoi ? Et comment ?
Encore une fois, qu'est-ce donc qu'une famille ?

En quête de réponses, j'entrepris alors d'enquêter systématiquement auprès les psychologues et des thérapeutes de toutes catégories. On me fit gentiment comprendre qu'il fallait quand même revoir un peu les bases.
Il ne s'agit pas de remonter jusques aux Temps Obscurs. En psychologie, l'Histoire commence inévitablement avec Sigmund Freud. Principalement en France, de nombreux psychologues considèrent l'oeuvre de Freud comme une Bible. Le Maître a tout dit, sa pensée sert de base pour défendre pratiquement toutes les thèses. Il parle pourtant bien peu de la famille elle-même. On le comprend, car il cherche à déchiffrer le mystère de la nature humaine, c'est-à-dire de l'individu, dont il dresse la topographie (on dit la topique). Le psychisme remonte de l'inconscient vers le préconscient et le conscient. Le Ça des pulsions, le Moi de la personnalité, l'Idéal du Moi qu'on voudrait être, le Surmoi qui en représente le modèle et en affirme les interdits, forment les instances d'une psyché à plusieurs étages. Celle-ci traverse dans sa formation différents stades, marqués par des traumatismes enfantins résultant des conflits entre désirs et réalités.
C'est évidemment dans le contexte familial que ces traumatismes ont lieu, que s'effectue cette traversée, que sont émis les interdits fondamentaux, dont la nature avant tout sexuelle représente la base de la théorie freudienne.
L'interdit fondamental, commun à toute l'humanité, est celui de l'inceste, qui a permis à la famille de se structurer à partir de la horde primitive, dont l'être humain s'était dégagé par le meurtre du Père tout puissant et tyrannique. Il est significatif que les thérapeutes qui viendront soigner les familles à poltergeist, noteront souvent des dérives, ou "failles psychiques", à tendance incestueuse. 
En réalité, la famille en tant que telle ne paraît guère intéresser Freud, qui affirme même son refus de tout contact entre psychanalyste et famille du patient. Dans Introduction à la Psychanalyse, il écrit : "Il est impossible de faire entendre raison à la famille et de la décider à se tenir à l'écart de toute l'affaire; d'autre part, on ne doit jamais pratiquer une entente avec elle, car on court alors le danger de perdre la confiance du malade". (*) 

On retrouve derrière cette réticence à s'intéresser au groupe et cette focalisation sur l'individu bien des racines du différent entre Freud et Jung. Avant même leur rencontre, Jung avait développé, à l'hôpital de Zurich où il était psychiatre, une nouvelle méthode pour soigner les psychotiques, dans laquelle il faisait intervenir les familles. D'autre part, la divergence entre les deux hommes, concernant l'importance àaccorder au paranormal, montrait déjà la différence d'amplitude que chacun accordait à la psyché. Mais leur dispute touche aussi l'idée d'énergie psychique. 
Freud donne la prédominance à l'énergie sexuelle, qu'il appelle libido, du mot latin signifiant désir. Il en fait la source profonde et cachée de tous les processus inconscients. La libido est le carburant du développement psychique, dont Freud détermine les étapes aujourd'hui bien connues, stade oral, anal, génital, complexe d'Oedipe, phase de latence. 
Pour Jung, la libido au sens freudien n'est qu'une énergie instinctive, fondamentale certes, mais permettant seulement d'expliquer la sexualité enfantine et ses effets persistants. Avant même que l'enfant ne reçoive au travers des contacts sociaux des apports plus collectifs, l'énergie psychique aurait aussi une autre source : la psyché des parents, avec laquelle l'enfant entretient une relation étroite - d'abord fusion totale du foetus avec la mère, puis "participation mystique" du bébé -dont le moyen de communication privilégié serait une télépathie inconsciente. Ce qui, pour Freud, provient d'une illusion, "d'un sentiment océanique", évoque pour Jung une réalité fondamentale.
L'importance accordée à la sexualité constitue une pierre d'achoppement du conflit entre les deux hommes. "Quelle que soit votre nouvelle orientation, n'abandonnez pas la théorie de la sexualité. C'est notre dogme." dit Freud à Jung au moment de leur rupture. Dogme compréhensible au vu des moeurs de l'époque, quand l'amour "honnête" se faisait en chemise, et dans le noir ! 
Quoi, semble s'étonner Jung, un dogme ? Mais je croyais que nous étions partis en guerre contre le dogmatisme ambiant ? Pour en introduire un autre ? Pas question, continuons, ouvrons les portes, élargissons ! 
Comme si les deux hommes étaient séparés par une différence d'échelle, concernant aussi la nature de l'inconscient lui-même. 
Pour Freud, l'inconscient forme une sorte de réservoir où s'entassent les refoulements du conscient. Pendant l'enfance, il se peuple de traumatismes dont les plus graves alimenteront les psychoses et les plus bénins, les petites névroses et les grandes tendances du comportement. Le fameux transfert de la cure psychanalytique sert de moyen privilégié pour dénouer ces traumatismes. Il permet de transposer sur l'analyste, au travers de fantasmes, le rôle important qu'y ont joué en général le père ou la mère.
Chez Jung, c'est presque l'inverse. L'inconscient existe d'abord, il est collectif avant d'être personnel. Le conscient en émerge peu à peu, selon un processus que Jung baptise "individuation". Certes, des incidents de la vie ou un comportement parental entraînent souvent des traumatismes. Mais, dit Jung, "parfois on peut arriver à montrer que des fantasmes s'étaient déjà attachés, à un moment donné de l'enfance, au père ou à la mère sans que ceux-ci en eussent fourni un prétexte réel". (*) 
Querelles d'écoles, sans grand intérêt ? Après tout, elles partagent toutes deux une conception énergétique de la psyché, et leurs conceptions de l'inconscient se ressemblent beaucoup dans leur cartographie. Ces points communs ne sont-ils pas plus importants que les divergences ? 
En un sens, oui, car Jung élargit les idées de Freud plus qu'il ne les contredit. Mais ce faisant, il change tout. Et notamment la façon dont le mystère familial peut être abordé. 
Cet inconscient qui nous embête (et où nous savons bien, même si nous ne sommes pas malades, que se cache la source de blocages, d'obsessions, d'incapacités et de complexes) n'est pas seulement le fruit d'une enfance plus ou moins heureuse, soumise à des parents plus ou moins respectueux et attentifs à ne pas nous abîmer la vie. Bien que fondamental, et dans certains cas prédominant, l'incoercible désir de remplacer papa dans le lit de maman, ou vice-versa, n'en est qu'un des piliers. 
Ce n'est pas si simple, s'écrie une voix freudienne. Que faites-vous des autres complexes, des fantasmes, des instances, du Moi, du Surmoi, du Ça ?
Certes, chez Jung, tout cela existe aussi, mais avec en plus de rafraîchissants courants d'air : selon lui, notre inconscient ne se limiterait pas à cette fusée à plusieurs étages - Ça, Moi, Surmoi -toute entière dirigée vers un retour sans fin à l'utérus maternel. Mais l'inconscient serait aussi une sorte de banque de données collective, transpersonnelle, dont nous tirerions notre propre programme. On pourrait même parler d'inconscients multiples. Un premier inconscient dont nous hériterions par croisement des psychés parentales, peut-être génétiquement, comme nous héritons de la couleur de nos yeux. Un autre inconscient expliquerait les traits culturels, nationaux, sociaux, et nous imprègnerait d'une sorte de perception télépathique. Enfin à un niveau plus profond, existerait un inconscient de l'humanité toute entière, forgé depuis sa naissance jusqu'à aujourd'hui. 
Peuplée d'archétypes issus de notre mémoire ancestrale, ouverte aux autres dans une communication extra-sensorielle, la psyché selon Jung n'a quasiment pas de limites. 
"Vous vous êtes arrêtés trop tôt, semblent dire les jungiens à Freud et à ses disciples. Dans son origine comme dans son développement, le psychisme humain tout entier, et pas seulement le Surmoi, possède une dimension trans-individuelle".

Aujourd'hui le débat entre les deux grands maîtres demeure ouvert, mais semble quelque peu dépassé. Certes, l'Ecole Freudienne paraît avoir eu gain de cause, particulièrement en France. Cependant, elle a intégré de nombreux concepts jungiens, tels que le dualisme animus-anima, cette présence en nous de traits apparemment ambigus, caractéristiques du sexe opposé. Dix ans après que Jung en eût lancé l'idée, le freudien Ferenczi préconisa le contrôle du thérapeute par un superviseur. Plus généralement, et sans qu'on lui en attribue toujours la paternité, les idées de Jung ont autant que celles de Freud imprégné la pensée moderne. L'inconscient collectif devient la clef de voûte de la pratique publicitaire. Aujourd'hui, hors des circuits officiels, une certaine Renaissance spirituelle plonge ses fondations dans l'idée jungienne de communication mystique. 

Ne caricaturons pourtant pas.
Bien sûr, étant donné le caractère fondamentalement social et grégaire de l'être humain, les psychanalystes se sont intéressés très tôt aux rapports que ce dernier entretenait avec ses semblables. Pourtant, l'individu lui-même restant au centre de leurs préoccupations, c'est avant tout l'impact que ceux-ci pouvaient avoir sur lui qui a longtemps retenu l'attention des psy.
Ainsi, comme le montre le titre même de son essai majeur sur le sujet, Psychologie Collective et Analyse du Moi (*), Freud avait surtout cherché à déceler les mécanismes individuels à l'oeuvre dans une masse humaine, et l'effet en retour de celle-ci sur l'individu, en s'inspirant des idées de Gustave Le Bon sur la "psychologie des foules". 
Mais, dans son Introduction à la Psychanalyse, il ajoute une petite phrase dont l'intuition apparaîtra par la suite et dont le génie donne raison aux freudiens qui pensent que le père fondateur avait tout vu : "Les proches du malade sont souvent plus intéressés à le voir rester tel qu'il est qu'à le voir guérir".
En réalité, la grande ouverture des psychanalystes aux dimensions trans-individuelles de la psyché et l'entrée de la famille dans le champ de leur réflexion ne sont pas issues du conflit entre freudiens et jungiens. Comme toute évolution, cette ouverture est le fruit de nombreux facteurs.
Elle provient d'abord d'un constat qui concerne la clinique, c'est àdire la pratique thérapeutique proprement dite. Constat double : 1) Après des décennies d'espoirs déçus, les psychanalystes sont obligés d'admettre qu'avec les psychoses, pathologies lourdes, ils sont loin de remporter les succès qu'ils rencontrent avec les névroses. Or l'origine de la psychose va devenir, à partir du milieu du XXème siècle, une question centrale qui, en retour, va éclairer la nature de la psyché d'un jour entièrement "groupal", c'est-à-dire extrêmement archaïque et, pourrait-on dire, quasi-matériel. Ce qui, on le verra, pourra s'avérer fort utile pour expliquer nos histoires de poltergeist. 2) De plus, les psychanalystes constatent, surtout depuis la révolution des moeurs, que les névroses elles-mêmes ont bien changé depuis Freud. Autrefois d'origine sexuelle, elles sont devenues une "pathologie du mal de vivre", état limite dans lequel le patient se débat non avec des problèmes intimes, mais avec des difficultés d'adaptation à la société. Le fameux dogme que représentait pour Freud sa théorie de la sexualité, et qui fut une des causes de sa mésentente avec Jung, s'il reste en grande partie fondamental, semble battu en brêche, non par un théoricien, mais par les patients eux-mêmes.
Pourtant, curieusement, ni les freudiens ni les jungiens ne tireront toutes les conséquences qu'impose la prise en conpte de la genèse collective du psychisme. Pire : cette prise en compte ne semblera jamais vraiment les intéresser. Jung lui-même reste vague sur la nature profonde de l'inconscient collectif et sur son mode de fonctionnement. Pour devenir une préoccupation majeure des psychologues et changer leurs conceptions de la maladie mentale, de la thérapie, de l'individu, le modèle familial de l'appareil psychique aura subi, venus d'un tout autre secteur, les effets d'une aventure qui, elle, aboutira à une vision nettement plus précise de la famille : l'aventure systémiste. Il va nous falloir revivre toute cette aventure, avant de pouvoir revenir, à petits pas, vers notre énigme originelle - que nous retrouverons, il est vrai, singulièrement "recadrée". 

             Extrait de Lorsque la Maison crie, phénomènes paranormaux et thérapie familiale, Robert Laffont, Paris, 1994

 

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