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17 :   DERRIERE LA CATASTROPHE 

Nous sommes paraît-il à la veille d'une grande révolution. Encore ? Pauvres de nous, glabres bipèdes à peaux multicolores. 
Avec Copernic, l'astronomie avait replacé la Terre au sein de l'Univers, satellite d'un soleil comme les autres : adieu, confortable nombril d'un monde géocentré ! 
L'évolutionnisme darwinien abolit ensuite la différence entre espèce humaine et animale. Nous n'étions plus sans passé, maîtres exceptionnels d'une Nature offerte !
L'inconscient freudien anéantit le mythe d'un psychisme uniquement commandé par la conscience. L'humain ne descend pas seulement du singe, mais aussi du songe. Adieu, illusoire liberté d'une pensée raisonnable ! Bonjour, affolants archaïsmes de cerveaux reptiliens !
Mais voilà qu'arriva une nouvelle secousse ! 
A peine la théorie freudienne avait-elle commencé à pénétrer l'inconscient collectif, voilà que le paradigme systémiste nous imposa un nouvel abandon : nous n'étions plus individus uniques, mais membres de systèmes enserrés dans des liens. 

Et ce n'est pas fini.
Sapridéluge, on dirait que le Temps s'accélère.
Car de récentes théories viennent bouleverser ce paradigme lui-même, nous invitent à devancer pour une fois les progrès technologiques au lieu de les subir. En replaçant les relations sur une autre échelle, elles nous obligent à reconsidérer le rôle de la famille dans la formation de l'individu, et vice-versa. Elles éclairent aussi d'un jour nouveau les phénomènes parapsychologiques et la dynamique de la pathologie. 
Elles portent des noms étranges et évocateurs : effet tunnel, champs morpho-génétiques, théorie des catastrophes. Elles concernent d'abord bien sûr cette réalité du premier ordre dont on commence à se demander si elle existe. 

Le terme d'effet tunnel illustre cette étrange propriété de la matière, mentionnée plus haut, grâce à laquelle certaines particules traversent des obstacles qui en arrêtent d'autres, sans qu'on puisse expliquer pourquoi ni comment, ni prédire lesquelles passeront et lesquelles seront bloquées. Cet effet conduit à la question : l'univers serait-il le théatre permanent de mini-poltergeist ?

Le biologiste anglais Rupert Sheldrake se pose une autre question, plus fondamentale : pourquoi les choses ont-elles une forme ? La physique, newtonienne ou quantique, pour qui "rien ne se crèe, rien ne se perd, tout se transforme" et qui conçoit la matière en termes d'énergie et de champs, ne permet pas d'expliquer pourquoi elle est structurée. "Jetez au feu un bouquet de fleurs et laissez-le se réduire en poussière, la quantité totale de matière et d'énergie ne sera pas modifiée (puisque convertie en chaleur), mais la forme des fleurs aura tout simplement disparu", écrit Sheldrake dans Une Nouvelle Science de la Vie (*). Même question pour les organismes vivants : pourquoi une cellule semble-t-elle savoir qu'elle est destinée à un foie plutôt qu'à un doigt de pied ? On pense aussitôt au code génétique contenu dans l'hélice d'ADN, mais cela ne fait que repousser le problème. Pourquoi un ADN-foie et un ADN-pied ? Plus encore : pourquoi et comment ces ADN, et les cellules qu'ils codifient, ont-ils évolué au cours du temps ? 
Sheldrake propose une hypothèse qui, si elle n'a pas encore été confirmée, n'a pas non plus été disqualifiée. Il existe, pense-t-il, des champs de formes échappant aux lois énergétiques de l'univers newtonien/einsteinien, et qui pourtant agissent sur la matière-énergie, par résonnance morphique (morphê, en grec : forme), remplissant en quelque sorte le rôle du plan dans les mains du maçon. Avec les mêmes matériaux en quantité égale, celui-ci peut construire des maisons totalement différentes. Le plan, en soi, appartient à l'ordre de l'information, pas à celui de l'énergie-matière. Avec les mêmes briques matérielles élémentaires, dont le tableau est accroché au mur de nos classes de chimie, monde inerte et monde vivant s'organisent en formes. Par une causalité que Sheldrake appelle "formative", elles emprunteraient des "chréodes", grandes vallées morphiques creusées par l'évolution dans le plateau, autrefois vierge, des possibles. 
Cette hypothèse s'applique à la forme des choses, à la structure du vivant, et même à l'activité humaine. Les comportements dits innés résulteraient de chréodes biologiques, qui expliqueraient pourquoi l'homme se cherche compagne et mange en mâchant sa nourriture. Les comportements acquis proviendraient quant à eux de chréodes culturelles, conduisant les uns à manger avec les doigts, les autres avec une fourchette ou avec des baguettes. Les familles se regroupent, se structurent et vivent selon différents critères, plus ou moins déterminés par leur degré d'autonomie et de liberté face aux modèles que leur impose leur appartenance raciale ou sociale. Mais toutes font des enfants, et de la même façon.
De même, elles empruntent avec plus ou moins d'esprit d'indépendance les pensées de leur temps. La pénétration d'une idée dans l'inconscient collectif s'expliquerait par le creusement d'une chréode, de plus en plus profonde à mesure que plus de gens la partagent.
Partage inconscient mais réel des idées ! On retrouve la famille, terrain éminemment favorable à l'action des champs morphogénétiques, au creusement de chréodes inconscientes. On peut aller encore plus loin : ce rêve en fonction alpha qui, selon Bion et Ruffiot, relie mère et nourrisson, devient un champ morphogénétique, creusant dans le cerveau de l'enfant les premières chréodes, apportant une réconfortante structure au désordre des ondes bêta indifférenciées. Les Grecs l'avaient-ils pressenti, en faisant de Morphée le dieu du sommeil et des songes, "celui qui reproduit les formes", d'après l'étymologie exacte ? 
Quant au poltergesit, le voilà éclairé sous un jour nouveau. Influencée par sa croyance dans le paranormal, la famille fissurée descend la vallée de sa chréode et finit par atteindre, à des profondeurs insoupçonnées et tremblantes, le point de non-retour où le "surnaturel" prend forme, où son nébuleux problème se trouve rassemblé par "l'attracteur étrange" de tel ou tel ancêtre, mal digéré par la psyché familiale.
Attracteur étrange ?
La théorie des catastrophes du mathématicien René Thom s'intéresse également au problème des formes, et cherche à modéliser leur évolution par l'influence d'un "attracteur", mis en équation et quantifié. 
Ce que Thom appelle une catastrophe se produit lorsqu'un système, soumis à un conflit entre plusieurs attracteurs opposés, se bat avec lui-même et lutte contre sa propre logique. La catastrophe de la fronce, exemple typique et point de départ de la réflexion de René Thom, montre que des tendances opposées ne vont pas forcément en sens contraire, mais peuvent soumettre le système à des pressions insupportables. Un vêtement mal coupé ou trop étroit fait des fronces au lieu de se déchirer, la croûte terrestre soumise aux tensions tectoniques se fend, mais aussi se plisse. Les sociétés, les familles, les individus vivent dans des conflits incessants entre ces attracteurs ennemis que représentent les caractéristiques majeures de la nature humaine, prédation et soins, amour et haine, sexualité et puritanisme, individualisme égoïste et esprit de solidarité, etc. L'acquisition du langage, attracteur humain fondamental, permet de "désamorcer le pouvoir des formes externes grâce à la construction de concepts", écrit Thom dans Paraboles et Catastrophes. (*)
Nommer les choses, les événements et les sentiments structure la symbiose mère-nourrisson, apporte peu à peu distance et autonomie. Quand une famille déséquilibrée, ou fissurée (par exemple du fait de quelque deuil inaccompli deux ou trois générations auparavant) cherche inconsciemment le salut en libérant son fantôme, par résonance, sous forme d'un poltergeist - et que ce dernier, devenu "autonome", s'envole en spirale - il n'existe que la parole en effet qui puisse, en circulant, stopper l'escalade et réparer la fissure. Plus abruptement, le langage permet aux êtres humains d'exister, comme l'avait montré dès le XIIIème siècle une horrible expérience conduite sous les ordres de Frédéric II, empereur du Saint Empire Romain Germanique. Dans le but de découvrir si le langage humain naturel était l'hébreu, le grec, le latin ou un autre, il ordonna aux nourrices d'un groupe d'enfants de les soigner avec tendresse et amour, mais sans proférer devant eux un seul son. Expérience ratée : tous les enfants moururent avant l'âge de trois ans. 
Les systémismes l'ont montré avec le double lien, l'impossibilité de dire les choses et d'exprimer ses sentiments rend fou. La théorie des catastrophes explique encore autrement l'apparition de pathologies. La schizophrénie par exemple, qui éclate généralement au moment où l'adolescent entre en contact avec des systèmes familiaux inconnus, est assimilée à la catastrophe généralisée d'un système dans laquelle le conflit contre des rites, croyances et mythes différents déstabilise la famille d'origine à un point tel que celle-ci décide inconsciemment de sacrifier un bouc émissaire sur l'autel de sa pérennité, choisissant l'élément le plus faible du système. Le schizophrène ne devient pas seulement victime à cause d'un fonctionnement pathogène interne à la famille et caractérisé par le double lien, comme l'avait vu Bateson, mais parce que les tentatives du jeune homme pour sortir du système servent de révélateur à ce dysfonctionnement. En rencontrant le monde, il devient celui par qui le scandale arrive.
Dans cette optique, on comprend mieux Djohar Si Ahmed quand elle disait le poltergeist préférable à un eczéma, un cancer ou une schizophrénie. En plus du rôle privilégié que la maison et la croyance dans le surnaturel jouent dans ces familles, la "projection du problème sur les murs" deviendrait un autre type de catastrophe généralisée où, s'il est présent comme dans le cas Lemerle, l'adolescent qu'on tente souvent de désigner comme coupable n'est pas assez fragile pour accepter de jouer le jeu et servir de fou. A Cideville, sorcellerie et lutte pour le pouvoir, environnement politique, présence d'enfants dans un contexte éducatif plutôt que familial, en imbriquant des problèmes différents dans un trouble unique, empêchent l'émergence d'une véritable pathologie personnalisée, encore qu'une bonne part des tensions soient aussi déchargées sur le pauvre Clément. Loin d'être la preuve d'une tendance plus ou moins perverse à se fabriquer un malade ou une pathologie collective, le poltergeist indiquerait la tentative désespérée d'une famille aimante pour échapper à cette logique pathogène, en évacuant des tensions insurmontables aggravées par le contexte, telle que la mort dans l'affaire des poteries ou l'ombre que fait la lointaine folle sur la famille de Brigitte et Bernard. Plus que la manifestation d'une culpabilité, le poltergeist deviendrait le signe, certes irrationnel, d'une formidable adaptation de la famille aux circonstances dramatiques dans lesquelles elle est placée. Derrière la catastrophe, qui exprimerait le désir d'un avenir moins tragique, se cacherait l'appel de l'Espérance. 

             Extrait de Lorsque la Maison crie, phénomènes paranormaux et thérapie familiale, Robert Laffont, Paris, 1994

 

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