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Deux livres pour comprendre la société mondiale de marché et ses désastres pour les humains et leur planète
Trois leçons sur la société post-industrielle, Daniel Cohen, éd. du Seuil, 2006, 10,5 euros
Comment les riches détruisent la planète, Hervé Kempf, éd. du Seuil, 2007, 14 euros

Il y a quelque chose de dangereux pour notre survie dans l'apothéose capitaliste que nous propose l'actuelle mondialisation. Mais à quoi tient ce lien ? Comment marche-t-il, surtout à l'heure où le capitalisme lui-même a changé de visage, devenant financier ? 
Deux livres sont venus cette année apporter des outils d'analyse à celles et ceux qui présentent qu'une économie en roue libre fait plus de mal que de bien, aux hommes comme à la planète. 
Dans le premier, Daniel Cohen, professeur de sciences économiques à l'Ecole normale supérieure, nous livre "Trois leçons sur la société post-industrielle" aux titres éloquents : "L'ère des ruptures", "La nouvelle économie-monde" et "Existe-t-il un modèle social européen ?". 
On aura compris que ce modèle européen est présenté comme ultime espoir (menacé !) de réconcilier la société et l'économie, dans un marché mondial qui les a séparées, notamment par "une désintégration verticale de la production" qui ôte tout pouvoir aux acteurs sociaux, disséminés sur la planète et soumis à des législations sociales divergentes. Avons-nous mesuré l'étendue de la fracture créée par cette nouvelle forme d'exploitation de l'homme par l'homme ? Un style clair et simple, et de nombreux exemples concrets, permettront aussi de décrypter les arcanes de ce libéralisme auquel la pensée unique nous condamne depuis la chute du Mur de Berlin, tout en minimisant sa perversité. 
Hervé Kempf ne manque pas non plus d'exemples pour pousser le bouchon un peu plus loin. C'est que longtemps, ce journaliste scientifique, spécialiste de l'environnement au Monde, a cru que les faits "suffisaient à parler à l'intelligence" et que "l'intelligence suffisait à changer le monde". Son constat de blocage est aujourd'hui sans appel : la dégradation de la planète et l'existence d'une oligarchie rassemblant pouvoirs économiques, médiatiques et politiques sont indissociables. Les exemples ne lui manquent pas pour décortiquer ce lien et en montrer les raisons. D'abord, préserver l'environnement irait à l'encontre des intérêts de cette oligarchie, qui sont fondés sur une exploitation sans contrainte des ressources naturelles et humaines. Ensuite, ses propres valeurs - la réussite par la compétition - l'entraînent dans une course permanente au profit et à la consommation. Elles lui interdisent d'en prôner les limites. Elles l'obligent à en diluer les responsabilités, avec l'aide des Etats, et en promouvoir le modèle, avec celle des médias. 
C'est l'un des mérites de ce livre que d'avoir rappelé les théories de l'économiste américain d'origine norvégienne Thorstein Veblen, qui le premier s'intéressa aux motivations des acheteurs et mis en évidence ce moteur que constitue notre besoin de nous comparer avec la classe sociale immédiatement supérieure, aboutissant au sommet à une "consommation ostentatoire" proposée en modèle. Et nous voilà pris dans une course planétaire effroyable alors même - autre idée de Veblen - qu'il serait assez facile de satisfaire aux besoins élémentaires de tous. Ce rééquilibrage, pour Hervé Kempf comme pour Daniel Cohen, n'ira pas sans une reprise en main par les peuples des pouvoirs politiques et des institutions, imposant à l'oligarchie de nouvelles règles environnementales et commerciales. A défaut, ces règles pourraient bien s'imposer sous une autre forme de privation de liberté, individuelle et comportementale, via une dictature. On regrettera que l'hypothèse ne soit qu'esquissée, tant la possibilité devient grande qu'un jour, un régime sécuritaire-vert apparaisse aux yeux de cette oligarchie comme le meilleur moyen de sauvegarder ses intérêts. Peut-on en voir le signe avant-coureur dans la soudaine découverte du réchauffement climatique par le sommet de Davos, où se réunit la crème de la crème ? De quel danger nous préviennent vraiment les récentes déclarations révolutionnaires de Jacques Chirac, assourdies par la gent médiatique ?

Trois leçons sur la société post-industrielle, Daniel Cohen, éd. du Seuil, 2006, 10,5 euros
Comment les riches détruisent la planète, Hervé Kempf, éd. du Seuil, 2007, 14 euros
The Theory of the Leisure Class, Thorstein Veblen (1899)