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Tout
le monde a vu une fois le Pays de Caux. Mais
si, si. Sur les cartes postales et dans les livres de géographie, c'est
le symbole de la côte normande toute entière : de grandes falaises de
craie blanche battues par les vagues. On ne connaît de ce pays que sa
tranche. Et on oublie qu'au-dessus, gros sourcil froncé sur l'estuaire de la Seine, un plateau domine la mer, couvert de limon fertile, prospère mais sauvage. D'impénétrables bosquets alternent avec des terres cultivées grasses et lourdes. Des landes d'ajoncs et de genêts assombrissent les bords des prairies vertes à en brouter. En un quadrillage serré et anarchique de talus hauts de plusieurs mètres, des chemins creux profonds comme des ravins et des haies noyées par les ronces relient des villages inaccessibles et minuscules. Chaque ferme isolée est un monde clos. D'où
peut-elle tirer son bonheur et sa joie, cette terre si fertile, ouverte au
large et à toutes ses folies, perchée à plus de cent mètres au-dessus
des vagues comme le nid-de-pie d'un voilier du Cap Horn ? Elle n'en reçoit
que de la pluie et du vent, encore et encore de la pluie, et du vent. Le
pays s'efforce tant bien que mal de respecter le rythme naturel des bois,
des bêtes, des feuilles, des fleurs et des petits oiseaux. Mais il n'a
finalement pour horizon que la mer, et pour faire briller ses richesses,
deux saisons aux frontières confuses : la bonne et la mauvaise. Le
ciel de beau temps secoue comme un drap au séchoir, en reflets métalliques,
un soleil insolite et trop bref. En rayons verts, translucides, les
diamants de la dernière pluie cliquètent sur les herbes, fleurissent
d'or pâle genêts et ajoncs. Même au plus fortes chaleurs, les moissons
frissonnent sous l'ombre effilochée de nuages cotonneux et fuyants. Dès
septembre et son équinoxe, les tempêtes maritimes commencent leur
attaque. Elles vont se succéder tout l'hiver, raclant les nerfs de la
terre en violentes et interminables rafales. Là dessous, le pays vibre
comme la guitare d'un musicien irascible. Tempo, pause, souffle. Tout est
humide, froid, boueux. Les peupliers bruissent en swiisshant comme une
troupe de roseaux bavards. Les ormes taillés court s'efforcent d'éparpiller
le vent. Dans leur ramure fournie et droite, les rejets les plus fins,
dont on fait les paniers, s'assouplissent en claquant les uns contre les
autres comme des drisses. Parfois, un nuage bas et noir arrose les fourrés
touffus d'une cascade aigrelette. Après son passage tombe souvent un
silence effrayé et spongieux, haché par le craquement des arbres
gonflant sous la bruine. L'air acide qui salait la bouche sent soudain la
feuille morte mouillée et pourrie, et s'alourdit au froid d'un brouillard
pénétrant. Les
événements étranges que nous allons vous conter commencent justement au
moment où, comme tous les ans, le Pays de Caux plie l'échine sous les
alternances de vent et de pluie, ingrédients de base de son menu
hivernal. Ce
climat toujours instable porte sur les nerfs. Ce pays cloisonné et touffu
assourdit les idées. L'horizon s'étale en bas des falaises sur une mer
qui paraît trop plate, ou bien il s'agite en l'air dans un ciel trop
changeant, trop souvent fou furieux. Le moindre désir, la plus petite rancœur
y prennent des proportions inhumaines. Pas
étonnant alors que le paysan cauchois n'ait pas froid aux yeux, mange du
crabe au petit déjeuner, boive un cidre âpre comme de la pierre à
fusil. On le dit fidèle à ses amis, mais tête de mule, beau parleur
mais brutal, enjoué mais indiscipliné, rebelle, secret. Son humour est
un mélange irrévérencieux de finesse acide et de rudesse, de respect
sans crainte pour la Force et l'Autorité. Plus têtu qu'un Breton,
violent comme un Corse, malin comme un singe et courageux comme un tigre,
ce lointain fils de Viking ne connaît qu'une seule crainte, celle des
choses plus sauvages que lui. Crainte
et sauvagerie ! Les habitants de Cideville vont en avoir leur compte, en
cet hiver 1850-1851... Pourtant, Cideville n'est qu'un petit village perdu
comme tous les autres, au fin fond du canton d'Yvetot. Autant dire rien :
un café, une forge, quelques maisons autour d'une église, un presbytère
entouré d'un cimetière. Oui, un presbytère... là où tout va se
passer... |
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