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"Chasse de ton coeur chagrin et inquiétude.
Chagrin et inquiétude ne font qu'engendrer de mauvais rêves"
Tablettes de Kouyundjik. 2ème millénaire.
LE RÊVE DE THOUTMOSIS IV ou l'échange de faveurs. 
"Il arriva un jour que le Prince royal Thoutmosis, se promenant en char à l'heure de midi, alla se reposer à l'ombre du grand sphinx. Il s'assoupit et le sommeil le terrassa au moment où le soleil était à son zénith. Il s'aperçut que la majesté de ce lieu auguste lui parlait de sa propre bouche, disant : "Regarde-moi, contemple-moi, mon fils Thoutmosis. Je suis ton père Harmakhis Khepri, Rê'Atum. Je te donnerai fonction royale sur terre à la tête des vivants, et tu porteras les couronnes de Haute et Basse Egyptes sur le trône de Geb, Prince des dieux. Vois, mon état est semblable à celui de quelqu'un qui souffre, et tous mes membres sont disloqués. Le sable du désert sur lequel j'avais été placé pèse sur moi. J'ai attendu pour que tu accomplisses ce qui est dans mon coeur, car je te sais mon fils et mon champion. Approche ! Vois, je suis avec toi et je serai ton guide." Le Prince royal s'éveilla lorsqu'il entendit ceci et, reconnaissant les paroles de ce dieu, il garda le silence en son coeur." (Devenu pharaon, Thoutmosis fit restaurer le sphinx.)
Stèle au pied du sphinx (14OO avant J.C.).
LE RÊVE DU PHARAON DJOSER ou les bienfaits naturels. "Alors que je dormais en paix, je trouvai le dieu debout devant moi. Je l'apaisai en l'adorant et l'implorant. Il s'ouvrit à moi amicalement et dit : "Je suis Khnoun, ton créateur, mes bras sont derrière toi pour enserrer ton corps afin que tes membres soient bien portants. Je ferai monter pour toi le Nil. Pour aucun terrain il n'y aura d'années où l'inondation manque. Les fleurs pousseront, ployant sous le pollen. La disette finira, qui amène le manque dans les greniers. Les Égyptiens viendront, empressés, les terres resplendiront, car excellent sera le flot et leur coeur sera plus gai qu'auparavant." Alors je m'éveillai, tandis que mes pensées reprenaient leur cours, ayant quitté mon immobilité, je fis ce décret en faveur de mon père Khnoun."
Stèle de la Famine (IXè s.)
LES SERPENTS DE TANOUTAMON ou les bienfaits personnels.
"En la première année de son couronnement royal Sa Majesté eut un songe durant la nuit : deux serpents se tenaient l'un à sa droite et l'autre à sa gauche. Sa Majesté s'éveilla alors et, ne les trouvant pas, dit : "Pourquoi ce rêve m'est-il arrivé ?" Les prêtres lui répondirent : "Le pays du sud t'appartiendra, et tu t'empareras du pays du nord. Les deux Maîtresses brilleront sur ton front, l'Égypte te sera donnée dans sa longueur et dans sa largeur, et personne ne partagera avec toi." Sa Majesté fut couronnée sur le trône d'Horus cette même année. Il quitta la résidence où il demeurait, comme Horus était parti de Memphis. Des millions venaient vers lui et des centaines de milliers le suivaient. Alors Sa Majesté dit : "Certes, le rêve est véridique. Il est utile à qui le place dans son coeur, nuisible pour qui l'ignore."
Stèle de Napata (66O avant J.C)
LE RÊVE A SON APOGÉE
Les Égyptiens remplacèrent par du miel le vinaigre que les Assyriens se passaient sur les lèvres pour conjurer les mauvais rêves. Si leurs pratiques étaient moins rudes, leur survie dépendait tout autant du bon vouloir des dieux. Elle reposait sur la crue annuelle du Nil, sujet d'inquiétude qui détermina en grande partie leur intérêt pour la divination. L'oniromancie devint une véritable science, pratiquée par les scribes de haut rang et les prêtres des Maisons de Vie, instituts religieux servant à la fois de temples, d'écoles et d'hôpitaux. Tout membre important de la société s'attachait les services d'un interprète des rêves. Pour les autres, l'augure se résumait souvent à la consultation par le scribe d'une des nombreuses clés des songes. Leur importance, leur richesse, leur classification selon différents types de rêves, l'apparition de clés d'interprétation des rêves féminins font mériter à l'Égypte le titre de patrie de l'oniromancie, comme le reconnurent les clés des songes ultérieures qui se réclamaient presque toutes d'une tradition égyptienne. 
Les documents égyptiens ne précisaient pas plus qu'en Mésopotamie la nature exacte du rêve. Il était lié au sommeil et celui-ci à la mort, mais conservait aussi l'aspect d'un voyage de l'âme que les dessins et inscriptions gravés sur les appuis-tête visaient à rendre propice. Les préoccupations étaient surtout concrètes. Comme le montre l'égyptologue Serge Sauneron, les rêves égyptiens n'étaient guère "inspirés" ou abstraits, mais reflétaient en majorité des craintes et des espoirs d'ordre social ou sexuel. Pourtant, les clés des songes ne se contentaient pas de compiler les rêves, d'en énoncer les présages, de décrire les rites et les incantations pour les rendre favorables ou éloigner les méfaits d'un rêve funeste. On s'y efforçait aussi de leur appliquer des critères d'ordre psycho-physionomique. Le papyrus Chester Beatty, par exemple, qui date du XIIIème siècle avant notre ère, fait une distinction entre les humains, apparentés soit au dieu Horus soit au dieu Seth. Les êtres de "type Seth" étaient peu séduisants, coléreux, agressifs, violents avec les femmes, asociaux, ivrognes et roux, une tare selon les critères en vogue ! Les contenus de leurs rêves, inscrits sur une partie détruite du texte, restent inconnus. Il manque également la description des suivants d'Horus, qui devait être laudative puisque ce dieu, fils d'Isis et d'Osiris, s'incarnait en Pharaon. Leurs rêves n'étaient pourtant pas tous favorables : descendre un fleuve présageait d'une vie d'amertume, mouiller ses vêtements annonçait un combat. En Égypte comme ailleurs, être du côté du bon dieu n'épargne pas du malheur !
Pour combattre ce malheur, en recevoir prédiction ou en détourner les effets, l'Égypte développa dans sa période tardive des méthodes plus directes. Les Égyptiens ne se contentèrent plus d'interprétations effectuées a posteriori, ils allèrent rêver dans des temples consacrés à Sérapis l'inspirateur divin, à Imhotep le dieu guérisseur, à Isis la grande déesse ou à Bès, le nain difforme pourfendeur de mauvais démons. Accompagnant l'élaboration de clés d'interprétation rigoureuses et complètes, l'évolution des croyances égyptiennes, de la divination à des pratiques d'induction, montre combien le rêve ne fut pas étranger à l'effort de l'homme antique pour s'éloigner d'une vision magique du monde et devenir acteur de son destin.

En.marge avec Nicolas Maillard et Roger Ripert, "Le Livre des Rêves", Albin Michel, 2000, disponible en librairie.
En attendant que l'éditeur proteste, profitez-en !

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