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                             SURPRENANTE RARETÉ
Jésus eut des visions mais jamais aucun rêve, à en croire les Évangiles. Le contraste avec l'Ancien testament est saisissant. Matthieu est le seul évangéliste à mentionner des rêves, six exactement, faits par des personnages secondaires de l'aventure christique, Joseph, les rois-mages et la femme de Ponce Pilate. Les quatre rêves cités dans les Actes des Apôtres concernent tous Paul, qui n'a jamais connu le Christ. Ils sont loin d'avoir l'impact de la vision qui le convertit sur la route de Damas. Outre leur rareté, les rêves du Nouveau Testament, s'ils ne s'écartent pas de la tradition biblique des rêves annonciateurs, sont brefs, jamais décrits, et apportent plus des messages ponctuels que de véritables prophéties. Et Jude, dans le dernier épître, met en garde les chrétiens contre les impies, "entraînés par leurs rêveries". Ultime avertissement contre l'onirisme, prélude à sa condamnation ?
DE TOLÉRANTS DÉBUTS
Dès son origine, le christianisme sembla donc éprouver de l'indifférence, voire du mépris, envers le rêve. Il serait pourtant hâtif de croire cette attitude inhérente à sa pensée. Oubli et répression viendront plus tard, et dans des circonstances qui tiennent plus à l'histoire qu'au débat d'idées (cf. page /?/ *le rêve condamné*). Les premiers chrétiens, loin de le condamner, professaient sur l'onirisme les opinions de leur époque. Ils réaffirmèrent son rôle de messager divin, dans lequel Xantipe, par exemple, voyait une preuve de l'existence de Dieu. Toujours considéré comme grand théologien par l'église orthodoxe, Saint Jean Chrysostome ("bouche d'or" en grec) étudia en détail chaque rêve biblique et conclut que l'onirisme peut conduire tout humain à la spiritualité. Justin, martyr du IIème siècle, pensait qu'en apportant à l'âme une connaissance située hors du monde sensible les rêves prouvent son immortalité. Sylénius de Cyrène proclamait vers 400 : "l'un apprend réveillé, un autre dans ses rêves". Clément les comparait à la lumière divine et écrivit : "Ne fermons pas la porte, nous qui sommes fils de la lumière, à la lumière des rêves, mais tournons-là vers nous-mêmes". Le rêve, moyen d'introspection et de cheminement spirituel ! Voilà qui détonne avec l'image d'un rejet viscéral, que contredisent aussi les classifications de Macrobe et l'intérêt porté aux aspects profanes du rêve par Tertullien (ci-contre). Plus encore : en 312 l'empereur Constantin adopta à la suite d'un rêve le monogramme du Christ comme étendard, à la veille de la victoire décisive qui conforta son pouvoir et l'incita à cesser la persécution des chrétiens. Et un autre rêve le conduisit à fonder Constantinople, future capitale de l'empire chrétien d'orient. Le paradoxe est total, le rêve servait d'assise à l'institution qui allait le réprimer. 
TERTULLIEN ET LE RÊVE HUMAIN
Au IIIème siècle, Tertullien consacra à l'onirisme et au sommeil huit chapitres de son Traité de l'Âme. Il faisait remarquer qu'à en juger par leurs mouvements les nouveaux-nés doivent rêver beaucoup, et en déduisit que tout le monde rêve. Tournant en ridicule l'idée païenne du voyage de l'âme pendant le sommeil, il comparait le rêve tantôt à une extase, état parallèle montrant que l'esprit humain est toujours actif, tantôt à la folie, en ce qu'il fait croire à la réalité de choses fausses. Il affirmait que les rêves ont toujours un sens, même s'il échappe aux facultés humaines de compréhension. Il en concluait qu'il existe plusieurs niveaux d'interprétation, et demandait : "Qui est étranger à l'expérience humaine au point de n'avoir pas perçu parfois quelque vérité dans ses rêves ?".
LES CLASSIFICATIONS DE MACROBE
Il n'est pas certain que Macrobe, auteur latin du IVème siècle, ait été un chrétien. Son "Commentaire sur le rêve de Scipion" servit pourtant de référence dans les discussions religieuses sur le rêve, jusqu'à la redécouverte des textes grecs. Il divise les rêves en cinq catégories, inspirées d'Artémidore :
- Le rêve énigmatique (somnium) déguise son message sous l'ambiguïté de formes étranges. C'est le rêve ordinaire.
- Le rêve visionnaire (visio) apporte une prophétie. 
- Le rêve prémonitoire (oraculum) prédit un événement plus intime, concernant généralement un parent du rêveur.
- Le cauchemar (insomnium) est causé par la maladie ou l'angoisse.
- Le rêve d'apparition (visum) survient entre sommeil et éveil, sous forme de "spectres délicieux ou troublants".

En.marge avec Nicolas Maillard et Roger Ripert, "Le Livre des Rêves", Albin Michel, 2000, disponible en librairie.
En attendant que l'éditeur proteste, profitez-en !

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