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Entretien avec le docteur Frédéric Rosenfeld, psychiatre lyonnais et pratiquant de la méditation, auteur d’un livre faisant le point sur les bienfaits des pratiques méditatives.

En.marge : Que veut dire méditer, au juste ?
Frédéric Rosenfeld : Un sage vous répondrait qu’il suffit d’essayer pour comprendre, que la méditation ne s’explique pas avec des mots. Dans mon livre, n’étant pas un sage, il m’a fallu tout un chapitre ! Pour résumer, méditer n’est pas une simple rêverie : c’est d’abord une action. Il faut apprendre certaines postures (comme la position du lotus, au yoga), ou des mouvements précis (comme les « formes » du taïchi). C’est une expérience impliquant des sensations et des perceptions, mais aussi un voyage intérieur qui réveille la mémoire corporelle et amène à connaître sur soi-même des choses que l’on ignorait. Seulement voilà, en pratiquant un peu, on découvre que toute connaissance débouche sur plus de mystère. La méditation devient alors l’expérience de ce mystère, touchant à la poésie, voire au silence….
En.marge : Vous parlez de yoga et de taïchi, de postures et de mouvements. On ne médite donc pas toujours en restant immobile, assis en lotus ? 
Frédéric Rosenfeld : Pas forcément ! Sans parler du yoga ou de certaines prières, aux gestes bien codifiés, les méditations zen, tibétaine ou vipassana ne sont pas toujours statiques. On y apprend la marche méditative, par exemple. Quant au taïchi ou au qigong, tout en mouvements, ils sont qualifiés de « pratiques méditatives » dans toutes les publications scientifiques. Et le terme pourrait s’appliquer à nombre d’arts martiaux, pourvu qu’on s’y exerce avec la bonne posture mentale. Car c’est là l’essentiel. Jon Kabat-Zinn, l’homme qui a introduit la méditation dans la médecine occidentale – en l’intégrant dès 1979 dans un programme de réduction du stress –, appelle cette posture mentale la « pleine conscience » (mindfulness). C’est la capacité à considérer tout ce qui vient à la conscience – sensation, émotion, pensée – en étant à la fois complètement présent et détaché, acceptant tout sans agrippement, avidité ni aversion. Tout vient et passe, comme les nuages dans le ciel : observation et tolérance envers l’impermanence des choses. Avec cette posture mentale – et un peu d’entraînement – la méditation se prête à presque toutes les activités. Comme disent certains sages, on peut méditer en épluchant les légumes !
En.marge : Or méditer, dit votre livre, « c’est se soigner ». Quelles maladies la méditation soigne-t-elle ?
Frédéric Rosenfeld : Il faut être clair : aucune pratique méditative ne prétend être, en soi, une thérapie. La guérison vient « de surcroît », il n’y a pas d’indications thérapeutiques officielles. Cependant, depuis une trentaine d’années, de multiples études scientifiquement irréprochables, menées dans des laboratoires occidentaux ou asiatiques, ont trouvé à la méditation des vertus tout à fait concrètes. La MBSR de Jon Kabat -Zinn, dont je parlais, a montré son efficacité contre le stress ou l’agoraphobie avec crises de panique. La MBCT, qui s’en inspire, diminue de moitié le risque de rechute dépressive. Et les effets ne sont pas uniquement psychologiques : ce même programme MBSR – mélange de yoga, de zen et de méditation vipassana – augmente aussi le taux d’anticorps dans le sang. Les preuves de bienfaits physiques ne cessent de s’accumuler, allant des rhumatismes au cancer, en passant par les troubles respiratoires, digestifs, neurologiques ou même immunitaires, et couvrant globalement toutes les pathologies du stress. 
En.marge : Comment s’explique un tel éventail ?
Frédéric Rosenfeld : Par la façon dont la méditation agit sur notre corps et notre esprit. Si elle s’avère conseillée contre les maladies liées au stress, c’est parce qu’elle agit au cœur de notre cerveau le plus ancestral, le système nerveux autonome – celui qui marche tout seul et régit la vie végétative, tous ces automatismes que nous ne contrôlons pas. Plus précisément, elle mobilise le système autonome parasympathique, source du calme, à l’opposé du système sympathique qui actionne le stress. Le cœur ralentit, la tension artérielle baisse, la transpiration diminue, la salivation augmente, la digestion s’opère. Les effets de cette activation parasympathique sont considérables. Sur le système immunitaire, notamment : on sait en effet, grâce à la psycho-neuro-immunologie, que le système nerveux autonome innerve la plus grande partie des organes qui sont chargés de fabriquer et de dynamiser nos cellules immunitaires : rate, ganglions lymphatiques, thymus, certaines zones du foie et moelle osseuse. Alors que le stress provoque la sécrétion de cortisone (une hormone inhibant nos défenses immunitaires) et diminue certains anticorps, la méditation, au contraire, augmente la production et l’efficacité de nos cellules immunitaires – par exemple les immunoglobulines A qui constituent, dans nos muqueuses, les premiers agents de défense contre les infections. Les méditants en constatent empiriquement les bienfaits : moins de rhumes, de grippes, d’eczémas. Mais on a aussi démontré plus scientifiquement l’efficacité, par exemple, du taïchi contre le virus du zona chez des personnes âgées, du yoga sur l’asthme, ou du qigong contre certaines réactions allergiques, inflammatoires et auto-immunes. Alors, évidemment, nombre de ces bienfaits viennent de l’aspect relaxant que toute méditation comporte. Mais la méditation leur ajoute un plus.
En.marge : Cette « pleine conscience » dont vous parliez ?
Frédéric Rosenfeld : Oui, certains parlent même de spiritualité – chacun pouvant, selon ses opinions, entendre ce terme dans un sens religieux ou laïque. Le cardiologue américain Herbert Benson, qui fut l’un des premiers chercheurs occidentaux à faire passer des tests à des yogis et à des méditants, remarquait dès les années 1960 qu’ils se sentaient plus proches les uns des autres que des pratiquants de la relaxation. Ils connaissaient moins souvent des états de tristesse, les croyants avouaient se sentir plus en communion avec leur dieu, les non-croyants parlaient d’un sentiment de lien avec la nature et avec l’univers, tous soulignaient l’importance nouvelle accordée aux petites choses de la vie. Plus récemment, en observant au scanner le cerveau de méditants chevronnés, le professeur Davidson, de l’université du Wisconsin (Etats-Unis), a trouvé qu’ils sollicitaient majoritairement leur cerveau gauche, dont il avait démontré par ailleurs le lien avec les émotions positives. Les moines bouddhistes ne sont pas calmes et joyeux de naissance. Leur optimisme et leur pacifisme résultent d’un entraînement mental, dont les neurosciences apportent la preuve. Méditer « muscle » le cerveau gauche – pour le plus grand bien des émotions mais aussi du système parasympathique et donc, comme on l’a vu, de la santé. Mais il faut bien comprendre que la guérison des symptômes n’est pas le but premier, même si le taoïsme a largement inspiré la médecine chinoise et le yoga, la médecine indienne traditionnelle. Le but premier est la sagesse. Même les applications les plus médicales et occidentales, comme la MBSR ou la MBCT, ne prétendent pas directement « guérir ». Elles visent d’abord à diminuer les crispations mentales, l’irritabilité ou la morosité que causent les symptômes dus au stress ou à la dépression. Mais si vous entrez dans ces pratiques avec cette attitude, alors oui, les symptômes physiques peuvent céder, et votre santé s’améliorer. A mon avis, les scientifiques n’ont pas fini de découvrir des bienfaits aux pratiques méditatives. Quand ils auront étudié toutes les techniques qu’elles proposent, et leurs effets souvent différents, peut-être parviendront-ils à prescrire une méditation spécifique pour chaque cas ? 
En.marge : Employez-vous la méditation dans votre pratique psychiatrique ?
Frédéric Rosenfeld : Hélas, je ne dispose pas des moyens techniques permettant de monter un programme. Mais il m’arrive désormais de conseiller à des patients de s’inscrire à un cours de zen ou de taïchi, en pesant très attentivement le bien-fondé de mon conseil. Et surtout, méditer a considérablement fait évoluer ma démarche, la rendant plus ouverte, plus attentive au discours des patients, plus créative et inventive. Il n’y a pas de contradiction entre méditation et psychiatrie. Par exemple, l’exercice méditatif du balayage corporel (bodyscan), quand on passe en revue l’extérieur et l’intérieur du corps, peut déclencher des mémoires corporelles qui font remonter à la conscience les souvenirs de traumatismes. Si vous restez l’esprit neutre et égal, sans passion, acceptant ces souvenirs comme le reste, vous arrivez à éteindre ces mémoires. Les thérapies cognitives disent exactement la même chose : nous sommes conditionnés par notre passé et, si nous déshabituons nos circuits cérébraux, nous pouvons en mettre d’autres à la place, notamment au niveau préfrontal.
En.marge : Méditer peut-il avoir des effets indésirables ?
Frédéric Rosenfeld : Oui, et il faut le souligner. Physiquement, elle peut s’accompagner de douleurs, qui s’estompent avec le temps. Les enseignants de pratiques actives comme le taïchi ou le qigong demandent parfois un certificat médical, mais c’est plutôt pour se protéger. Le bon sens joue : un cardiaque évitera un yoga énergique. D’où l’intérêt de suivre les conseils d’un enseignant. Psychologiquement, il faut être plus prudent. Chez certaines personnalités fragiles, la méditation peut déclencher des bouffées anxieuses, des décompensations, l’impression de ne plus exister, de ne plus savoir où sont le haut et le bas. Elle est à éviter en cas de crise dépressive ou existentielle (deuil, divorce, chômage…). La sensation de vacuité que l’on connaît parfois ne convient pas à tous. Certains, enfin, peuvent s’accrocher à la méditation comme à une drogue, parce qu’elle leur procure des états comparables. Ou méditer pour évacuer leurs problèmes : mon chef me harcèle, je vais méditer et ça va passer, je n’y penserai plus. Alors que la méditation vise, au contraire, à se libérer l’esprit pour aborder les problèmes d’un œil neuf, trouver des solutions, et se rapprocher des autres. 
Notes
Jon Kabat-Zinn : Où tu vas, tu es : Apprendre à méditer pour se libérer du stress et des tensions profondes (Poche, 2005).
MBSR : Mindfulness based stress reduction, réduction du stress basée sur la pleine conscience.
MBCT : Mindfulness based cognitive therapy, thérapie cognitive basée sur la pleine conscience.

A LIRE
Méditer c’est se soigner, Dr Frédéric Rosenfeld, les Arènes, 2007
Psychiatre depuis 2000, le docteur Frédéric Rosenfeld découvre la méditation vipassana, d’origine indo-birmane, en écoutant les bienfaits qu’en ressent son propre frère, devenu pratiquant lors d’un voyage en Asie. Il hésite deux ans avant d’essayer, non sans avoir mené une petite enquête. Enthousiasmé, il pratique aujourd’hui également la méditation zen et le taïchi ! Mais il a poursuivi l’enquête, dont ce livre témoigne, passant les différentes pratiques méditatives au crible de la science, les explorant sous tous les angles, médical, psychologique ou philosophique. De la première étude scientifique sur les bienfaits du yoga en 1920, aux huit semaines de la thérapie MBCT contre la rechute dépressive, vous saurez tout, même l’adresse d’un centre proche de chez vous – il ne manque que le cours pratique. Oui, la méditation soigne, même s’il ne faut pas méditer que dans cette intention. Non, elle n’est ni conseillée à tous ni sans risques, comme tout ce qui concourt à nous ouvrir l’esprit.

EXERCICE
Selon le docteur Rosenfeld, il faut d’abord créer le calme en soi. En essayant de se concentrer, par exemple, sur le souffle et sur la sensation physique qui l’accompagne : l’air dans les narines, la poitrine qui se gonfle puis se dégonfle, le ventre qui suit le mouvement. Relâchez vos muscles – sans vous avachir ! Relâchez aussi votre esprit. Si ça ne marche pas, pas grave, ça marchera la prochaine fois.
La pleine conscience, c’est aussi très concret. En voiture, elle vous incitera à ressentir les vibrations du moteur à travers le volant, votre respiration, l’air qui caresse votre visage si la fenêtre est ouverte, le champ visuel qui défile à côté de vous. Au bureau, vous pouvez prendre conscience de la lumière, de la couleur des murs, de la fraîcheur de l’air, du dossier du fauteuil appuyant entre telle vertèbre dorsale et telle vertèbre lombaire… Vous intégrez le plus possible, par vos sens et votre pensée, le moment présent, avec ce qu’il a de simple et riche, et à côté duquel nous passons si souvent.
                                                                                     Un article pour Psychologies Magazine

 

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