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EMDR : on n'en croit pas ses yeux !

Qui prétend qu'en bougeant les yeux, on peut guérir l'esprit ? L'EMDR, ou "désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires". Introduite et enseignée en France par le docteur David Servan-Schreiber, voici la méthode présentée par sa fondatrice, dans une traduction aux éditions du Seuil.

C'est par hasard, lors d'une promenade autour d'un lac en mai 1987, que la psychologue américaine Francine Shapiro découvrit que ses "petites pensées négatives obsédantes" disparaissaient quand elle faisait aller et venir ses yeux, rapidement et répétitivement, de gauche à droite. Il ne lui en fallut pas davantage pour proposer l'exercice à ses collègues, l'expérimenter auprès de ses patients et créer l'EMDR, avec des résultats éclatants - notamment pour ces états de stress post-traumatique (ESPT) que provoquent souvent guerres, attentats, violences sexuelles ou catastrophes naturelles. Devenue chercheur au célèbre Mental Research Institute de Palo Alto, le docteur Shapiro a reçu en 2002 le Prix Sigmund Freud, plus haute distinction mondiale en psychothérapie. Entre-temps, plus de soixante mille praticiens avaient été formés dans plus de quatre-vingt pays, une association humanitaire était née pour intervenir après les grandes catastrophes. Les études, notamment celles sur l'ESPT menées par l'administration américaine chargée des anciens combattants, n'ont cessé de confirmer l'efficacité de l'EMDR. Les personnes traitées se comptent aujourd'hui par millions.
Car la méthode ne s'applique pas qu'aux grands chocs, mais également aux "traumatismes avec un petit t", comme l'EMDR appelle les expériences pénibles laissant un souvenir trop empreint de souffrance. "Les gens doivent savoir que c'est vraiment miraculeux !" s'exclame Cécile en réponse à notre appel à témoins sur psychologies.com. "Venue consulter pour des angoisses et des paniques auxquelles je ne trouvais aucune cause, j'ai choisi comme événement-cible un souvenir pénible où j'avais pris la fuite. Après une série de balayages, mon thérapeute m'a demandé ce que je ressentais. Je m'apprêtais à répondre "rien", quand j'ai senti une douleur très forte dans mes jambes... Il m'a alors demandé de regarder ses doigts et a dit : "ok, on va faire partir ça!" La douleur, et l'émotion liée au souvenir, sont parties en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, j'étais scotchée !!! Ensuite, nous avons installé une croyance positive à la place de la croyance négative en rapport avec cette émotion. "Je suis nulle" devait être remplacé par "je suis quelqu'un de bien". Et soudainement très calme, je me suis sentie respirer comme jamais." 
Souvenir et émotion négative contre croyance positive. Le secret serait-il dans la tension entre ces représentations contradictoires, dans leur évaluation plusieurs fois par séance, ou réside-t-il simplement dans les mystérieux balayages des yeux ? Marie, institutrice trentenaire, en livre les détails : "Je devais, tout en restant dans mon souvenir et dans son émotion, fixer attentivement les mouvements que la thérapeute faisait avec sa main, de gauche à droite devant moi. Une quinzaine d'allers retours cadencés, amples et précis, ni lents ni rapides, larges d'un mètre environ. Difficile de ne pas anticiper son mouvement et de suivre des yeux sans bouger la tête ! Peu à peu j'y suis arrivée. Ensuite nous avons fait une pause en reparlant de la scène et de mon émotion. J'avais le sentiment qu'elle cherchait à m'y faire rentrer tout à fait. Puis nous avons repris les mouvements. Après la deuxième séquence je me sentais différente, plus calme. Nous avons recommencé encore deux fois avec des pauses où l'on parlait et on évaluait le degré de l'émotion. A la fin, j'étais apaisée."
Il y a de l'hypnose là-dedans - et beaucoup d'autres choses inspirées de la sophrologie, du comportementalisme ou des sciences cognitives, reconnaît Francine Shapiro. Mais le souvenir traumatique ne s'évanouit pas, aucun cliquement des doigts ne vient effacer une portion de temps, comme dans l'hypnose de music-hall. Le réconfort ne vient pas non plus par suggestion ou relaxation, et encore moins par immersion avec visite des lieux du drame. Il ne repose même pas sur des mots, des images ou des sons, comme dans l'immense majorité des thérapies. "Là, c'est différent, explique Marie. On est au coeur d'une émotion qui nous emporte et petit à petit elle nous quitte, ou du moins elle va se blottir quelque part où elle ne fait plus mal, même si on sait qu'elle est là, qu'on l'a vécue, c'est un souvenir." "Pfuitt !", "flouf !", "envolée", "disparue", confirment d'autres courriels - mais toujours l'émotion et jamais le souvenir. "Je regarde le passé autrement, précise Claire, 50 ans, consultante. Plutôt que de subir, j'arrive à me sentir protégée et plus dynamique."
A défaut de savoir comment ça marche (voir encadré), on se demande comment ça peut être aussi simple, même si l'EMDR pose en postulat que l'esprit possède comme le corps une capacité à s'autoguérir. La réponse réside dans une conception nouvelle du traumatisme, faisant appel à la neurologie. "Chaque événement douloureux laisse une marque dans le cerveau, explique David Servan-Schreiber, président de l'association EMDR-France. Celui-ci effectue alors un travail de "digestion" permettant aux émotions qui accompagnent le souvenir de se désactiver. A moins que le traumatisme ait été trop fort ou ait frappé à une période où nous étions particulièrement vulnérables ! Dans ce cas, les images, les pensées, les sons, les émotions, les sensations liés à l'événement sont stockés dans le cerveau, prêts à se réactiver au moindre rappel du traumatisme. Dans l'EMDR, le mouvement oculaire "débloque" l'information traumatique et réactive le système naturel de guérison du cerveau pour qu'il complète son travail."
Cette réactivation n'est pas sans effet. "Beaucoup de choses remontent entre les séances, raconte Cécile sans renier son enthousiasme. J'ai eu par exemple un flash concernant un gros traumatisme subi dans ma petite enfance, dont j'avais complètement oublié l'existence par amnésie totale sur ce moment pénible ! Ces émotions sont très intenses, plus qu’au moment réel. Heureusement elles ne durent pas longtemps… et sont essentielles, en indiquant ce qu’il faudra traiter !" On comprend dès lors l’importance de ne pratiquer l’EMDR qu’au sein d’une véritable thérapie, et pourquoi la formation est réservée aux psychiatres et aux psychologues confirmés, avec deux stages de trois jours et une quarantaine d'heures de supervision. 
Malgré ces précautions, l'EMDR fait l'objet depuis ses débuts d'une vive polémique. Un traitement sans mots, sans transfert, sans travail d'interprétation de l'inconscient ni décodage systématique, cela va à l'encontre des pratiques communes. Les censeurs ont longtemps choisi de mauvaises cibles, discutant l'efficacité alors qu'elle se confirmait, qualifiant l'EMDR de pseudo-science alors qu'elle n'est qu'une technique, se gaussant de la découverte selon laquelle une stimulation sensorielle autre que le mouvement oculaire peut aussi faire l'affaire (un tapotement alternatif des mains par exemple), alors que le problème n'en est que déplacé. Car une gêne persiste, provoquée par les termes "Désensibilisation" et "Retraitement" qui font aussi le nom de cette méthode. Aurions-nous tant de mal à admettre que notre cerveau puisse être dé-programmé comme un ordinateur ?

ANNEXES
Comment ça marche ?
De nombreuses pistes s'ouvrent, venues des neurosciences. Sans afficher de certitudes, Francine Shapiro propose un rapprochement entre l'EMDR et le sommeil à mouvements oculaires rapides, ce moment où l'on rêve mais où également, pour les spécialistes, la répartition mémorielle s'effectue. Car tout évidemment repose sur la mémoire, sur l'encodage du souvenir et des émotions qui l'accompagnent.
Ce qui soignerait dans l'EMDR, c'est de reformater cet encodage. Replongé dans son passé afin d'être au plus près des perceptions sensorielles et du ressenti éprouvés au moment de l'événement, le patient est en même temps conduit, grâce à une stimulation sensorielle (les mouvements des yeux), à concentrer son activité cérébrale sur le présent. De cette polarisation, peut-être liée aux hémisphères cérébraux, naîtrait la possibilité de retraiter le traumatisme par dissociation de l'émotion et du souvenir. D'où le fait que celui-ci ne disparaît pas. Il se délivre de sa charge émotionnelle, comme après un deuil.

"L'EMDR est une révolution thérapeutique"
"Jusqu'à présent, la psychothérapie était fondée sur une idée : seules l'écoute et la parole guérissent. On avait tendance à parler des problèmes psychiques uniquement en termes de sens, de sémantique - la rencontre de la mort pour l'ESPT, par exemple. Or ce sont des connexions synaptiques dysfonctionnelles. On se rend compte maintenant de l’importance première du fonctionnement cérébral. La psyché est indissociable de son substrat neurologique : on peut restimuler le traitement de l'information de manière parfois fulgurante - contredisant l'idée reçue selon laquelle il faut du temps pour guérir. La pathologie peut disparaître en quelques séances - remettant en cause les croyances sur sa nature et, du coup, sur le fonctionnement de la psyché. L'EMDR voit s'ouvrir sans cesse de nouvelles perspectives, telle la dépression sans cause traumatique ou la schizophrénie à ses débuts, car elle excelle dans le renforcement des ressources. Psychanalyse, psychiatrie, toutes les thérapies peuvent en bénéficier!" 
Jacques Roques, psychologue et psychanalyste, vice-président de EMDR-France.

"Je n'ai pas d'explication… mais tout va tellement mieux !"
"Le même jour d'avril 2004, après 57 ans d'une souffrance que plusieurs thérapies ont définie comme "nécessité de mourir", j'achète une moto et paye mes obsèques, décidée à en finir. En août, le livre Guérir m'ouvre une nouvelle piste. Je consulte. La thérapeute, après 3 entretiens, propose l'EMDR. Au cours de la séance, rien de significatif, mais les 48 heures suivantes sont très dures. Enfin, la deuxième nuit, à 5h du matin, je m'endors. Lorsque le réveil sonne à 6h, je sens immédiatement que l'émotion "nécessité de mourir" n'est plus là.
Du coup tout est différent, je suis dans l'évidence de vivre. Je cultive cette réalité de peur que l'ancienne ne se réinstalle. Après 4 mois et 4 séances d'EMDR je m'apaise. Les émotions négatives d'avant sont comme projetées sur un écran, j'en suis spectatrice. Mais j'ai tout à apprendre : regarder avant de traverser; comment gérer la maladie, la vieillesse; laisser émerger des émotions; rassurer mon entourage qui croit que je vais mal car je n'ai plus à faire semblant." 
Marie-George, retraitée, propriétaire de restaurant.

A lire
Dans "Guérir" (Robert Laffont, 2003), le docteur David Servan-Schreiber consacre plusieurs chapitres à l'EMDR, qu'il qualifie d'"autoguérison des grands traumatismes".
"EMDR, une révolution thérapeutique", de Jacques Roques. En s'adressant à tous comme aux professionnels, ce psychanalyste, ex-praticien au CHU de Nîmes, fait œuvre didactique et offre un portrait complet de l'EMDR : troubles, traitement, développements cliniques (Desclée de Brouwer, 2003).
"Des yeux pour guérir", de Francine Shapiro et Margot Silk Forrest. Aidée d'une journaliste, la créatrice de l'EMDR - une "grande dame" selon David Servan-Schreiber - livre enfin ses secrets en français, dans un festival d'explications et d'exemples (Seuil, 2005).

A voir : sur www..psy.be, une séance d' emdr filmée.

Adresses
EMDR-France, 107 quai du Docteur-Dervaux, 92600 Asnières, info@emdr-france.org
Cet organisme est le seul à délivrer la formation EMDR agréée par Francine Shapiro. Le site emdr-france.org contient la liste de tous les thérapeutes français habilités à pratiquer.
HAP-France, 3 rue de Charonne (4 cour St Joseph), 75011 Paris, hap.france@wanadoo.fr, est l'antenne française de l'association HAP (Humanitarian Assistance Program) qui intervient après les catastrophes, attentats et conflits.
A l'initiative de Jacques Roques, EMDR-France propose des soins gratuits pour les gens ayant perdu un proche lors du tsunami.

ANNEXES
Une photo de Jacques Roques est disponible, à défaut de Francine Shapiro…

Références des études scientifiques
EMDR - REM : R. Stickgold, Harvard : Neurobiological concomitants of EMDR, Journal of Clinical Psychology, 58, 2002, pp. 61-75
Etudes indiquant l'efficacité de l'EMDR : cf site EMDR-France, EMDR-International (en anglais) On compte notamment :
INSERM, Psychothérapie : Trois approches évaluées, INSERM Unité d'Evaluation et d'Expertise Collective, Editeur, 2004, Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale France: Paris, France.
American-Psychiatric-Association, Guidelines for the Psychiatric Treatment of Acute Stress Disorder and Posttraumatic Stress Disorder, R. Ursano and Workgroup-on-ASD-and-PTSD, Editors. 2004, American Psychiatric Association: Washington.
MacCulloch, M.J. and A.L. Barrowcliff. The de-arousal model of Eye-Movement Desensitization and Reprocessing (EMDR), Part I: A theoretical perspective on EMDR. in EMDR Europe 2nd Annual Conference: EMDR innovations in theory and practice. 2001. London, UK.
Servan-Schreiber, D., Eye-Movement Desensitization and Reprocessing: Is Psychiatry missing the point? Psychiatric Times, 2000. 17(7): p. 36-40.

Etudes critiques :
J. Herbert, K. Mueser : Eye Movement Desensitization : A Critique of the Evidence, Journal of Behavior Therapy and Experimental Psychiatry, 23, 169-174, 1992.
J. L. Lohr, S. O. Lilienfeld et al. : EMDR, An Analysis of Specific versus Nonspecific Treatment Factors, Journal of Anxiety Disorders, 13, 185-207, 1999.


ANCRAGE DES TRAUMATISMES
"Les traumatismes, explique Francine Shapiro, sont des expériences pénibles qui se sont stockées sous une mauvaise forme de mémoire : au lieu de la mémoire explicite ou narrative, d'où l'on peut se les rappeler sans souffrance, il se trouvent enkystés dans la mémoire implicite ou non-déclarative, où ils contiennent les émotions et les sensations physiques qui faisaient partie de l'événement initial. L'EMDR comprend un ensemble très particulier de procédures pour assister cette fonction digestive du cerveau que les neurobiologistes appellent le "traitement des informations"."


Article d'En.marge publié dans Psychologies

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