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APPENDICE: LE SIEGE DE PARIS (885-886)

 

            Cornequedouille, balanfredaine, il ne fait pas bon être Parisien en ces années 800 et quelques !

            Sapridéluge, persinonette ! Oui, on peut le dire, les temps sont vraiment durs depuis que ces sauvages Normands sont descendus de leur terres glacées du nord et ont commencé leurs razzias le long des côtes franques, remontant les fleuves en pillant tout sur leur passage. Et même Paris est une proie facile, car la Seine est une rivière sans obstacle, au flot tranquille qu'aucune cascade, chute ou rapide ne vient perturber. Ces gaillards n'ont aucun mal à la remonter sur leurs grandes barques qu'une centaine de rameurs, groupés par quatre ou cinq lascars pesant de leurs bras puissants sur un énorme aviron de bois, manient comme des youyous.

 

            Nous sommes en 885. Charles le Gros, l'obèse, le raté, ne soyons pas trop vache, c'est surtout un malade, essaye de régner là-bas dans l'est, loin des Parisiens et de leurs problèmes.

            A cette époque Paris n'est pas capitale, ce n'est même pas une très grande ville, elle a entre 3 et 4 mille habitants. Paris, c'est d'abord l'île de la Cité, cette petite île au centre, où se trouve aujourd'hui Notre Dame. Rive gauche, recouvrant les ruines du beau quartier romain qui s'élevait là jadis, s'étend l'immense abbaye de Saint Germain des Prés, et quelques petites églises au milieu des champs et des vignes. Il ne reste rien des arènes, des temples, des thermes (bains publics), du théâtre et du cirque de la Lutèce romaine, détruite vers l'an 400. Rive droite on trouve un quartier commerçant, le long du fleuve et autour des églises de Saint Gervais et de Saint Germain le Rond qui deviendra plus tard l'église royale de Saint Germain l'Auxerrois. Tous ces noms existent toujours, c'est pour cela que je me permets de te bassiner avec ces détails.

            La dernière attaque date de 866, quand les Normands ont tout pillé pour la quatrième fois en vingt ans. Mais cette fois, les Parisiens en ont eu marre : ils ont construit tout autour de l'île un rempart en pierre, avec des créneaux et des tours, le tout à quelques pas de la berge (la plage) qui sert de chemin de ronde. Maintenant ils sont prêts, et décidés à ne pas se laisser faire et à se venger des humiliations reçues, comme lors de la première attaque, en 845 où, comble de honte pour ces marchands, ils ont dû débourser 7 000 livres d'argent pour avoir la vie sauve. 

            Mais si on parle encore de ces années-là, en ce 24 novembre 885 lorsque les guetteurs aperçoivent la flotte qui remonte le fleuve, les vieux qui grimpent sur les remparts pour jeter un coup d'œil se rendent vite compte avec terreur que ce coup-ci il ne s'agit plus d'une attaque de pillards, mais d'une vraie guerre. La flotte de drakkars, de navires et de barques compte 700 embarcations, pleines de 40 000 hommes armés jusqu'aux dents, et couvre le fleuve sur 10 kilomètres, pardon, 2 lieues et demie. C'est la panique.

            " - Descendons, cachons-nous dans les profondeurs de la terre, loin du regard furieux d'un si terrible adversaire ! " s'écrient les vieillards tremblants au spectacle d'une si puissante armada, tels notre vieil ami Didier, roi de Pavie, au spectacle des armées de Charlemagne.

            " - Ventrebleu, cornedeboeuf, hurle Eudes, comte de Paris, un peu de courage, tas de poltrons. Pas question de flancher, nous défendrons la ville, nous leur tannerons la peau, à ces païens !" Pour ajouter à la confusion, on apprend bientôt qu'en fait, ce n'est pas Paris qui les intéresse. Ils envoient en effet leur chef Siegfried, pour parlementer avec l'évêque de Paris Gozlin et le comte Eudes. Siegfried leur dit: "Écoutez, les gars. Tout ce que nous voulons, c'est passer, nous sommes en route pour la Bourgogne que nous allons piller. Laissez-nous passer et nous ne toucherons pas à votre ville. Sinon, ça va aller très mal pour vous".

            Enfin, je traduis un peu, car voici ce qu’on écrivit qu'il leur dit :

" - O Gozlin, aie pitié de toi-même et du troupeau qui t'est confié. Pour ne pas te perdre, écoute favorablement nos propos. Accorde-nous seulement la faculté de passer au delà de cette ville; jamais nous ne la toucherons, mais nous nous efforcerons de te conserver tous tes honneurs et ceux d'Eudes également.

" - Nous avons été chargés de la garde de cette ville, répond Gozlin, par le roi Charles, dont l'empire s'étend presque au monde entier, sous l'autorité de Seigneur, Roi et Maître des puissants. Si par hasard des murailles t'avaient été confiées comme à nous, et que tu eusses fait ce que tu nous dis de faire, que trouverais-tu juste qu'il t'arrivât ?

" - On ferait honneur à ma tête, dit Siegfried, en y portant l'épée, puis elle serait digne d'être livrée aux chiens. Cependant, si tu ne cèdes pas à mes prières, nos engins de guerre t'enverront au lever du jour des traits empoisonnés; à la tombée du jour, ce sera le fléau de la faim et ainsi sans arrêt tous les ans." 

            Chose promise, chose due: le lendemain, un jour gris et froid se lève à peine sur la ville que déjà les Normands attaquent. Ils lancent leur assaut rive droite, sur la tour qui commande l'accès au grand pont reliant l'île à la terre. Toute la journée la bataille fait rage, Gozlin, son neveu Ebles, abbé de Saint Germain des Prés et le comte Eudes en première ligne. Gozlin est blessé, la tour endommagée, mais les Parisiens tiennent bon. Profitant de la nuit, ils réparent la tour et la renforcent. Mais ils ne peuvent tenir qu'à 200 dans la tour, alors que les Normands sont des milliers et se renouvellent sans cesse.

            Pendant trois jours, les défenseurs déversent de l'huile bouillante, de la poix et de la cire fondue sur les Normands, qu'ils tiennent à l'écart. Le quatrième jour cependant, les Normands réussissent à percer une brèche par laquelle ils s'engouffrent avec des cris de victoire. Caparaçonnés de cuir, (eh oui, caparaçonnés et non caRaPaçonné, ça vient du mot espagnol caparazon, "manteau" et non du mot carapace), coiffés de leurs casques à aigrettes qui leur couvrent les oreilles, Eudes, Ebles qui fait preuve d'un courage et d'une adresse de grand guerrier malgré son jeune âge, et leurs gens se lancent dans le combat au corps à corps, pendant que d'autres assiégés parviennent à lancer du haut de la tour une énorme roue cloutée qui s'abat sur les assaillants, tuant 6 hommes d'un seul coup et provoquant une panique chez les Normands qui refluent. Les Parisiens profitent de ce répit pour colmater la brèche.

            Les Normands décident d'user de ruse. Ils entassent du bois contre la porte de la tour et y mettent le feu. Asphyxiés et aveuglés, les défenseurs commencent à craindre le pire lorsque soudain le vent tourne et la fumée enveloppe les attaquants. Aussitôt du haut de la tour, les hommes lancent des javelots sur les Normands qui s'enfuient, laissant leurs morts sur la berge.

            Siegfried décide alors d'assiéger la ville. Ses troupes parcourent la campagne alentour, tuent ou volent les troupeaux, et établissent leurs quartiers d'hiver autour de l'église de Saint Germain l'Auxerrois où ils installent étables et abattoirs. Ils se mettent à construire une formidable machine de guerre que les Parisiens voient grandir avec horreur. Certes, la technique du bélier est connue depuis longtemps. Ces longues poutres aux bouts ferrés qu'on lance contre le bas des murs pour en saper la base et les faire s'écrouler, les Grecs et les Romains s'en servaient déjà bien avant les Normands. Et s'il y a des inventions que les hommes n'oublient jamais, même lorsqu'une civilisation disparaît, c'est bien celles qui servent à la guerre. Mais il s'agit maintenant de quelque chose d'encore plus terrible : trois béliers reliés côte à côte par des poutres croisées, montés sur roues et couverts d'un toit sous lequel prennent place une soixantaine de guerriers. Heureusement, alors que l'engin commence à prendre forme, un Parisien tireur d'élite réussit à abattre coup sur coup, du haut des remparts d'où il les a surveillés, les deux ingénieurs chargés de la construction. Incapables de mettre au point leur machine infernale, les Normands l'abandonnent. Cependant ils continuent les préparatifs d'engins plus simples mais tout aussi dangereux : catapultes, chats (une sorte de chariot creux couvert de peaux fraîches sous lesquels les assaillants peuvent se protéger), mantelets (chats en plus petit), etc... Pendant deux mois, de part et d'autre on se prépare. 

            Le 31 janvier, les Normands se lancent à l'assaut. Une forêt de lances, d'épées et de boucliers couvre la plaine ravagée, et fonce vers la tour. Une autre troupe, montée sur les vaisseaux, attaque le pont. Dans la ville c'est l'inquiétude, le tocsin sonne. Puis vient l'agitation. Les frondes ennemies et leur catapultes font tomber à l'intérieur des murs de la cité une pluie de balles de plomb et de boulets de pierre. Les habitants affolés de mettent à courir dans tous les sens. Finalement, les assaillants protégés sous leurs tortues de boucliers aux couleurs terrifiantes se pressent avec succès au pied de la tour. C'est la panique dans Paris.

" - Descendons, cachons-nous dans les profondeurs de la terre, loin du regard furieux d'un si terrible adversaire, gémissent les Parisiens effrayés devant un tel spectacle.

" - Par notre Dieu, le Seigneur tout puissant, courage, tas de poltrons, regroupez-vous et combattez !" hurlent le comte Eudes, l'évêque Gozlin et son neveu Ebles le brave, courant partout pour rassembler leur monde et lui insuffler force et confiance. "Nous les tenons cette fois, jamais ils ne nous vaincront, regardez, sur la rivière ils ont échoué !"

En effet, les vaisseaux normands, mieux conçus pour le transport que pour la guerre, ont essuyé quelques revers dans l'attaque du pont et se replient.

            Le lendemain les Normands passent la journée à combler les fossés au pied de la tour, pour permettre aux chats, aux mantelets et aux béliers de s'approcher. Ils les remplissent de terre, de rochers, de paille, d'animaux morts, même de cadavres de prisonniers massacrés sous les yeux impuissants des assiégés. Triste jour dans Paris, où l'on s'efforce de réparer les dégâts et de se préparer, en évitant de penser à une défaite possible.

            Le 2 février au matin, les Normands, protégés sous leurs mantelets, avancent trois béliers au pied de la tour, qu'ils commencent à pilonner de coups sourds résonnant dans la ville comme un glas. Les assiégés déversent sur eux d'énormes pierres, écrasent mantelets, galeries, boucliers et béliers, et obligent les assaillants à reculer. Ebles, aussi bon archer que combattant, d'un coup splendide embroche d'une seule flèche sept Normands à la fois.

"Portez-moi cette brochette à la cuisine !" plaisante-t-il en riant avec ses compagnons.  

            Les Normands tentent alors d'enflammer le tablier en bois du pont pour isoler la tour et obliger ses défenseurs à l'abandonner. Ils portent trois barques à fond plat qu'ils mettent à l'eau en amont de la ville, les transforment en brûlots et ils les laissent descendre avec le courant. Mais les piles de pierre qui dépassent du pont arrêtent les barques, et les Parisiens peuvent éteindre le feu et même s'emparer des embarcations, qu'ils conservèrent par la suite comme preuve de leur succès. Les Normands abandonnent, et reprennent le siège.

            Mais la situation est dure pour eux aussi, car les bêtes qu'ils ont tuées un peu partout se transforment en charognes et deviennent des foyers d'infection couverts de vermine, empuantissant leurs camps. Le froid qui sévit, la vermine qui les ronge, la maladie qui s'installe dans leurs rangs, ce siège qui n'en finit pas, c'en est trop pour eux, habitués au pillage et aux victoires faciles. La moitié de l'armée quitte le siège pour s'en aller piller la région.

            Mi-février pourtant, le sort leur vient en aide. En pleine nuit, la Seine en crue emporte le pont, la tour se retrouve isolée avec seulement douze hommes pour la défendre. Aussitôt les Normands attaquent, et malgré une résistance acharnée des défenseurs, réussissent à lancer contre la porte une charrette enflammée, que les défenseurs mal équipés ne peuvent éteindre. Asphyxiés, enfumés comme des rats, les douze hommes se voient promettre par les Normands la vie sauve s'ils se rendent. Accablés par la fatigue, la fumée et leurs blessures, les douze héros acceptent. Aussitôt, ils sont mis à mort et jetés dans la Seine. (On est barbare ou on ne l'est pas, persinonette, sapridéluge !)

            Cette fois, la situation devient grave pour les Parisiens. Gozlin envoie un messager au comte Henri, chef des armées franques, pour lui demander du secours. Mais Henri est en Saxe. Il faut plusieurs semaines avant qu'il n'arrive, début avril, à la tête d'une petite troupe. Les forces étant trop inégales, Henri se contente de piller quelques dépôts normands et d'expédier des vivres et des renforts dans la ville. Puis il repart vers l'est.

Les Normands, quant à eux, ont quitté la rive droite infectée et se sont installés dans Saint Germain des Prés.

            Avec le départ d'Henri, l'espoir faiblit dans la ville assiégée, et Gozlin décide de traiter avec Siegfried. Celui-ci accepte de s'éloigner, contre 60 livres d'argent. Une fois payé, il s'en va, mais la plupart des Normands n'a rien reçu et refuse d'abandonner le siège.  Gozlin, épuisé par sa vieille blessure et par le siège, meurt fin avril. Les Parisiens flanchent, mais Eudes est décidé à tenir coûte que coûte.

            Avec une petite troupe, il s'élance dans une folle chevauchée à travers le camp ennemi, massacrant tout sur son passage et réussit à gagner la campagne et à s'enfuir pour chercher du secours. Il finit par contacter l'empereur, ce gros roi Charles qui, n'aimant pas le froid, guerroie en Italie soit-disant pour aider le pape à qui il doit un titre que personne ne voulait vraiment lui donner. Pressé par Eudes, mais à petites étapes et comme à contrecœur, Charles finalement se met en marche vers Paris, pendant qu'Eudes fonce vers la ville. Forçant une fois de plus les rangs ennemis, il rentre dans Paris et annonce l'arrivée de Charles, redonnant espoir aux assiégés. On attend Charles pendant des mois.

            Le 28 août finalement, on aperçoit sur les hauteurs de Montmartre (une colline de la rive droite) l'avant garde de l'armée impériale, commandée par ce cher Henri. Sans attendre le gros des troupes, celui-ci se lance bêtement contre les Normands. La mêlée est confuse, et malgré sa bravoure le comte Henri est tué, l'avant-garde décimée. Un mois plus tard Charles arrive enfin, avec toutes ses troupes, plus nombreuses, mieux armées et en meilleure forme que les Normands décimés par ce rude siège. Charles, en apprenant la mort du comte Henri, hésite à livrer bataille. Il déloge de la rive droite les quelques Normands qui s'y accrochaient encore, envoie quelques hommes en renfort dans la ville, fait passer son armée sur la rive gauche et là, devant le camp normand, il installe son camp et il attend. Tout à coup, un bruit court dans le camp des Francs: Siegfried va revenir, il amène avec lui une troupe fraîche. Charles, ce couard, panique et aussitôt traite avec les Normands, leur promettant pour le printemps 700 livres d'argent, plus le droit de traverser la ville pour aller piller la Bourgogne. C'est la honte. Charles passe l'hiver à courir la région pour rassembler l'argent, tandis que dans et autour de Paris, assiégés et assiégeants attendent.

            En mai les 700 livres sont payées, les Normands traversent Paris, et sitôt passés, assassinent une vingtaine d'habitants. Eudes fait exécuter les Normands qui sont restés dans la ville pour faire du commerce. Le siège de Paris, qui a duré 18 mois et a montré à tous le courage de ses habitants et de leur chef (Eudes, qui deviendra roi), s'achève sur cet épisode sordide. La réputation du peuple de Paris est née, celle de Charles le Gros est à jamais détruite, les Parisiens et les Francs ne lui pardonneront jamais cette liberté achetée au prix du déshonneur.

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