En.marge                            Docteur Catherine Solano, sexologue, auteur de "Psy, sex and fun" (éd. Tornade, 2007)

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En.marge : Pourquoi devient-on sexologue ?
Catherine Solano : Nutritioniste au départ, il me manquait une dimension psychologique. Je l’ai trouvée avec la sexologie. Depuis, je me suis dit que ce choix venait aussi d’une envie de comprendre les hommes. J’ai compris certaines choses, mais les hommes restent un mystère – tant mieux !
En.marge : Qu’avez-vous compris ?
Catherine Solano : Les deux sexes auraient des rapports bien plus simples s’ils en savaient plus l’un sur l’autre ! Si les femmes savaient, par exemple, à quel point les hommes sont souvent ignorants en matière de sexualité. Normal : les mamans parlent à leurs filles, au moins des règles et de la contraception, mais aux garçons, on ne dit pas un mot. Combien d’hommes me racontent qu’ils ne savaient même pas ce qu’était une érection ! Il y a toute une pédagogie à faire, des pères en direction de leurs fils. D’autant que s’ajoute à cette ignorance le fait que les gens s’inquiètent parfois pour des détails insignifiants, n’en parlent avec personne, en font des montagnes, alors qu’il n’y a même pas de problème ou qu’il est passager. Je ne nie pas qu’il existe des problèmes techniques, comme l’éjaculation précoce, qui nécessitent des réponses techniques. Mais quand une femme vient consulter, désespérée, presque dépressive, parce que depuis dix ans elle considère comme un drame de n’atteindre l’orgasme que dans une seule position, je me demande : où est le problème ? Chacun a sa manière de fonctionner ! Il faut dédramatiser la sexualité, la vivre avec plus de légèreté.
En.marge : Encore faut-il la vivre ! Que pensez-vous du mouvement « no sex » ?
Catherine Solano : Je ne crois pas qu’il soit très important, mais il montre une réaction de ras-le-bol que je trouve normale, face à l’envahissement par la pornographie diffuse : spams cochons via internet, films X à la télé, pub qui fait clairement appel, comme l’a montré Xavier Deleu (1), à des codes pornographiques. Résultat : l’idée que l’esthétique et le sexe sont des valeurs marchandes se répand. Des étudiantes considèrent comme normal de faire escort girl – donc de se prostituer –, des lycéens conseillent à une jolie ado de 15 ans de cesser de fréquenter ses amies parce que ce sont des « boudins » - sous-entendant que les beaux forment une classe à part, sont faits pour vivre entre eux. 
En.marge : L’amour reste le grand oublié ?
Catherine Solano : Oui. Selon la mentalité actuelle, l’amour est quelque chose que l’on a ou pas, et c’est tout. En fait, on ne parle pas d’amour mais de désir. Le modèle est celui de l’amour adolescent, de l’attraction. Rares sont les films où les couples déjà anciens sont plausibles. Au lieu de petits gestes de tendresse montrant qu’ils se connaissent depuis longtemps, on nous propose des adultes se comportant comme des adolescents. Rares aussi sont les livres comme « Les 7 habitudes des familles épanouies » (2), où, à la question : « Je ne désire plus ma femme, que dois-je faire ? », l’auteur répond : « Maintenant vous pouvez commencer à l’aimer ». La presse féminine, quand elle fait un dossier sur comment relancer le désir, donne des conseils absurdes. Acheter de la lingerie sexy, faire un strip-tease. Je ne dis pas qu’il ne faut jamais le faire, mais là encore, il faut être un peu plus léger ! La sexualité n’est pas une gymnastique, l’essentiel est dans la tête. Quand je vois des couples en difficulté, je m’attache toujours à pointer ce qui les rapproche. J’utilise comme métaphore – peu poétique – la chaise : la sexualité est un des pieds, et les autres comptent tout autant, qu’il s’agisse de la philosophie de la vie, des petites attentions quotidiennes, des opinions sur l’éducation des enfants, ou d’autres choses pouvant servir de lien.
En.marge : Si le sexe ne marche pas, le couple peut quand même durer ?
Catherine Solano : Absolument. Tout ne marche jamais à 100 % dans un couple. Et quand le sexe est le seul à marcher, est-ce suffisant pour être heureux dans la vie ? Etre de bons amants ne suffit pas pour durer. Attention, je ne dis pas que la sexualité n’est pas importante et intéressante ! Elle peut même signaler une affinité profonde, comme on le voit chez certains couples pour qui, au lit, ça marche bien depuis longtemps. Dans la sexualité, on ne peut pas trop se cacher, on montre qui l’on est. C’est donc un bon indicateur de correspondance. Mais ça ne veut pas dire que tout ira bien. Pour la vie de couple, ce n’est qu’un des piliers. Seulement voilà : à vivre des expériences sexuelles multiples, on en vient à comparer ! Bien des jeunes femmes, célibataires à la vie sexuelle active, à la recherche de l’homme idéal, s’aperçoivent quand elles le trouvent qu’il n’est pas forcément le meilleur au lit ! C’est l’un des revers de la libération sexuelle.
En.marge : Quels autres revers lui voyez-vous ?
Catherine Solano : En règle générale, la perte des repères. Il y a bien sûr le pire : quand des jeunes voient un film porno avant leur premier rapport, on leur vole leur première fois, la découverte progressive – le moelleux d’un sein, la maladresse d’un garçon – qui rend ces débuts si touchants. Entre l’éducation sexuelle scolaire et le porno, le sexe devient soit scientifique soit cochon – une perte de subtilité qui explique en partie viols et tournantes. Mais des questions se posent aussi face à ce que nous considérons comme le meilleur : certes, il y a eu changement, progrès, surtout pour les filles. Les jeunes sont beaucoup plus informés, plus à l’aise pour parler de sexualité. Leurs parents sont plus relax qu’autrefois – ce n’est pas difficile. Mais sont-ils assez cadrants ? Accepter que les ados aient une vie sexuelle, par exemple, est-ce si bien, et faut-il que ce soit sous le toit familial ? Moi je trouve ça bizarre.
En.marge : Pourquoi ?
Catherine Solano : C’est presque incestueux : les parents, confrontés à la sexualité des ados, sont ramenés à leur propre sexualité. Quant aux ados, c’est comme s’ils avaient une partie de la vie adulte mais pas tout. Or la sexualité est la grande occasion de sortir du nid et de devenir adulte, car il faut assumer. Combien d’ados en sont capables ? Inconscience, négligence, accidents de contraception : beaucoup de jeunes filles, encore aujourd’hui, tombent enceintes sans le vouloir. Moi, je conseille d’attendre. On peut avoir beaucoup de plaisir sans rapport sexuel complet. Pour de nombreuses femmes, selon le rapport Hite, cette période – où l’on n’ose pas encore et où on le fait petit à petit – fut celle de leur plus grand plaisir. 
En.marge : Vous mentionnez le rapport Hite. Qu’en est-il de l’enquête sur le comportement sexuel des Français que mène l’Inserm ?
Catherine Solano : Elle ne sera publiée qu’en décembre. Les résultats partiels confirment une tendance au croisement des comportements féminins et masculins, que je constate depuis quelques années en voyant de plus en plus de femmes consulter pour des problèmes techniques et de plus en plus d’hommes, pour des questions de sentiment. Je trouve cette tendance plutôt positive, car favorable à la rencontre. Mais quand on dit que la libération sexuelle continue parce que la pratique du cunnilingus ou de la fellation augmente dans la population, ou parce que les femmes avouent plus de relations sexuelles, je m’interroge : est-ce vraiment un indice de libération et plus encore, de bonheur ? Mieux vaudrait s’attacher à faire un peu d’éducation. Transmettre quelques techniques issues du Kamasoutra – ou d’ailleurs ! –, montrer qu’une vie sexuelle harmonieuse est légère et joyeuse, rappeler que l’amour en est le meilleur moteur, voilà qui me paraît plus important.

(1) Le Consensus pornographique, Xavier Deleu, édtions Mango, 2002
(2) Les 7 habitudes des familles épanouies, Stephen Coley, First Editions, 1998
(3) Les rapports Hite : Shere Hite, sexologue américaine et professeur au Japon, a publié à 30 ans d’écart deux rapports célèbres sur la sexualité féminine.
                                                                                     Un article pour Nouvelles Clés

 

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