En.marge | |||||||
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Margino blog Vies en marge
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En ce temps-là, En.marge «vivait pour les
seins somptueux d’une passion néfaste» – comme Claude Nougaro dans
La Plume d’Ange avant de devenir fou –, marié à une Jewish American
Princess au physique de surfeuse, à côté de laquelle c’est lui qui
semblait sémite, avec sa petite taille, sa maigreur, sa peau mate et ses
cheveux frisés. L’invocation à Claude Nougaro n’est pas
toute fortuite : en.marge souffrait souvent, alors, de comparer
Boston et Toulouse pour la rougeur de leurs briques, et de mesurer la différence
entre le froid et chaud. Pas d’Espagne poussant ici sa corne, pas de
perles de corail, surtout sous le ciel cotonneux de cet hiver-là, quand
il se lança dans le soft selling. Voici ce qu’il en raconta à des amis. Ce fut ma semaine de vendeur de
dictionnaires... Voici la combine: lundi, mardi et mercredi je
dois visiter toutes, je dis bien toutes les entreprises d'une zone donnée.
Même les écoles et les hôpitaux. Il faut garer la voiture en un point stratégique,
entre congères, ornières et flaques de glace fondue. Sans se tremper les
pieds, se charger comme une mule. Prendre la rue par un bout. Se réchauffer
le cœur en se conditionnant : ô mânes de la Fontaine, à moi, à
moi ! Je suis le renard et ce sont mes corbeaux, que vous êtes
jolis, que vous me semblez beaux. Lorsque se détache derrière son haut comptoir
la tête affairée de la réceptionniste, sourire. Le bla-bla (the pitch)
va comme suit : "Hi, je m'appelle Sam. Je suis le représentant
d'une grande maison de publication. Nous déposons un exemplaire de ce
livre (geste du bras amenant vers le devant de la scène l'énorme dico
pesant trois tonnes que je trimballe avec moi, par paquet de deux ou trois
pour aller plus vite) dans tous les bureaux (magasins) de la ville, juste
pour quelques jours, afin de recevoir votre avis sur cette nouvelle édition.
(tu parles, Charles). Je serai de retour jeudi (vendredi) pour le
reprendre. (Si c'est OK tu continues, sinon, ciao, au suivant). (OK:)
Pouvez-vous me donner le numéro de téléphone d'ici ? (scratch scratch
scratch, doux chant du stylo sur le papier, indiquant que le corbeau a
laissé tomber, sinon le calendos, du moins sa boîte) Et votre nom ?
(Re-scratch scratch scratch) A propos, (ah, ah) si vous ou vos collègues
êtes intéressés, j'aurai plus de livres avec moi lorsque je reviens
jeudi(vendredi). Ce magnifique dictionnaire coûte normalement 89,95
dollars, mais nous l'offrons pour cette campagne d'exposition pour
seulement 20,96 dollars. (Là, apparition du prospectus sur lequel tout
ceci est écrit en GROS) Parfait, alors à jeudi (vendredi).
Oh, à propos, (re-ah ah) (big smile, en anglais dans le texte) si
par bonheur vous trouvez dix personnes intéressées, vous gagnerez un
dico GRATUIT. (Le coup de grâce !). Je sors, et seulement alors j'écris
l'adresse de l'endroit (il faut que tout coule dans le miel pendant que je
place le bouquin). Et hop, au suivant. Le jeudi et vendredi, vous l'avez compris, je
repasse dans tous ces endroits et j'essaye de ne pas repartir les mains
pleines de dicos mais les poches bourrées de biftons et autres chèques. Voilà ce qu’est le "soft selling",
et le pire, c’est que ça marche. En une semaine, j'en ai vendu 130 sur
les 204 que j'avais réussi à caser ! D'abord, bien sûr, parce que 22
dollars au lieu de 90 c'est une bonne affaire. Ensuite, parce que souvent
on laisse le dico à une obscure réceptionniste ou employé(e) de magasin
qui s'emmerde royalement et a donc tout le loisir de compulser le dit-dico
et d'en avoir envie. Et l’idée d’en avoir un gratos s’il elle en
fourgue dix commence à lui occuper l’esprit : ça donne une
occasion de discuter. Ajoutez la bonne conscience d’un achat culturel,
et l’affaire prend bonne figure. Le problème majeur, côté vendeur, c'est
qu'il faut speeder comme un malade, et aussi que si jamais on me le pique
(j'en ai perdu un), les 22 dollars sont pour ma pomme. Au bout de la
semaine, j'en avais plus que marre de me taper le pavé tel la joyeuse
pute, et j'avais pu me rendre compte que, grâce à mon accent français,
mon regard bleu des Vosges ou je ne sais quelle chance de débutant, mes
talents de bonimenteur ont pris un peu d’ampleur... En effet, tenez-vous
bien, j'ai fait pratiquement la meilleure semaine de tout notre petit
groupe de vendeurs foireux. Pas mal pour un début, non ? Tout ceci n'aurait eu aucun intérêt (excusez,
c'est ma minute d'auto satisfaction), si cela ne m'avait permis de visiter
quelques coins pas possibles, et d'avoir quelques surprises de taille.
Devinez quels furent mes meilleurs clients ? Les bistrots les plus miteux
que vous pouvez imaginer, sombres cavernes sans devantures (nous sommes en
pays puritain, les bars n'ont ici pas de vitrine) ! Un bistrotier m'en a
pris dix d'un coup, j'espère que son chèque n'était pas en bois. Je lui
aurai bisouillé les pieds, à ce brave homme penché au-dessus de ses
verres, dont l’incroyable nez d’ivrogne m’avait fait penser un
instant, sans que je sache pourquoi, qu’il ne pouvait s’agir que
d’un client donnant la main pour la vaisselle ! Les ventes que l'on croirait dans la poche
foirent évidemment à tous les coups. Par contre, les coins super-zones
du genre blanchisserie pleine de Portoricains, restos asiatiques crados et
puant la vieille huile, inévitables pizzerias grises de crasse, s'avèrent
de véritables cavernes d'Ali Baba. Surprise encore : je fraie difficilement
mon chemin dans un hôpital, d'où généralement on se fait vider par un
sbire avec un métallique et définitif "No Solliciting Here!".
Je me traîne d’un somptueux bureau de docteur à l’aseptique bureau
d’un radiologue, et ainsi de suite de service en service, pour
finalement aboutir au sous-sol dans une soupente encombrée de balais, de
sceaux et de grosses femmes noires, local du "Environmental
Services" (un euphémisme pour "nettoyage et
ramasse‑merde"). Trois jours plus tard, pas un acheteur dans
les beaux bureaux bien blancs, mais 7 bouquins achetés par la plus grosse
de toutes les Noires, qui s'est échinée à ma place, histoire de récupérer
son dico gratuit pour lequel il lui faudra trouver 3 acheteurs de plus.
Attendre un peu, n'est-ce-pas depuis toujours le lot des Noirs dans ce
grand et beau pays ? Quelques étonnantes découvertes aussi, tel ce
rez-de-chaussée entre deux magasins, dans lequel je trouve, dans l'ordre
: un tax-accountant (comptable qui calcule tes impôts, une tâche
impossible pour quiconque gagne plus de $500 par mois et ne veut pas les
refiler tous à l'état en fin d'année, la loi d'imposition étant un tel
casse-tête) oisif (étrange, la cueillette bat son plein en ce moment),
se curant le nez dans son bureau rempli de piles de papelards; un Brésilien
agent de voyage, tout seul, assis devant une table vide, dans un bureau
tout nu, s'emmerdant comme un rat; une vieille peau à tête de mégère
s'occupant de trouver du fric pour ériger un "Monument aux Glorieux
Héros Du Vietnam"; et tout au fond d'un couloir sombre, sans le
moindre panneau sur la porte ou dans la rue pour indiquer sa présence,
une incroyable boutique remplie de cassettes, de vidéos, de fringues et
d'indiennes en sari, sorties toutes droites d'un bazar de Bombay ! Résultat
du vendredi : le comptable m'a laissé le fric dans une enveloppe collée
à sa porte, le Brésilien a vendu pour moi son dico à un copain, et
l'Indienne me fait dire par son mari qu'elle appelle au bigo que "no,
sorrrrry, zees ees not ai prrrodouct wee could sell in ouwere storrre"...
("non, desoli, ji ni crrois pas qui ji poux vendri ci livre dans mon
magason"). Bref, malgré les jambes lourdes, les bras
disloqués par le poids des bouquins, le speed, et le sale traitement
infligé au démarreur de la voiture par ces déplacements incessants, ce
fut une belle visite au cœur de la nouvelle Amérique, celle dont
personne ne parle, sinon comme d'une pure abstraction. L'Amérique pas du
tout "profonde", celle qui se fait chaque jour, peuplée de déracinés
de toutes sortes, d'ivrognes irlandais affalés dans les bars dès 9
heures du matin, d'Asiatiques travailleurs et affairés, d'Italiens prêts
à toutes les combines, de Sud-Américains rêvant aux dollars qu'ils ne
gagneront jamais, de grosses secrétaires nourries aux Mars, au beurre de
cacahouète et aux romans-photos; avec parfois la vision terrorisante du
"corporate world" où le patron, (très) ancien protestataire de
campus enfiévré, règne en maître absolu, fier de son autorité et de
sa réussite, de sa petite combine ("l'industrie des services")
montée sur du vent dans l'euphorie des années reaganniennes, animal
puant qui entraînera dans sa chute, un jour, les forces vives d'un pays où
chacun rêve sa vie autant qu'il la subit. Sur ce, après un dimanche passé comme
d'habitude à compulser les offres d'emploi du canard boiteux local, lundi
matin impossible de me convaincre moi-même de reprendre le collier. Ah;
la dure vie du travailleur indépendant lorsqu’il est paresseux ! Ce
boulot finalement se révèle trop dur pour ma petite nature sensible et
fragile. J'ai aussi décidé que vraiment, les dicos et ce type de vente
n'étaient pas assez sophistiqués pour un homme de mon éducation. J'ai
donc procédé à une promotion à l'intérieur de ma propre entreprise,
et décidé de me lancer maintenant dans la vente de... rien de moins que
la magnifique, l'extraordinaire, la sensationnelle, l'inimitable
¡¡¡¡¡¡¡¡¡¡¡¡¡¡¡¡¡¡¡¡ ènSAÏcloPIdia BriTAnnica
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
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