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C'était un vendredi soir sinistre, humide et froid, comme en connait tant la Nouvelle Angleterre, lorsque le Gulf Stream fait une incursion et vient mouiller de ses grains la rigueur hivernale.

Je trouve enfin l'adresse de ma future victime, ainsi qu'une place pour me garer, dans une rue étroite et grisâtre d'un quartier un peu zone mais complètement catholique de Cambridge, ville fameuse pour ses universités (c'est là, en effet, que bouillonnent gaiement les brillants cerveaux de Harvard et M.I.T.). Ce quartier-ci, cependant, semble plus proche d'une glauque banlieue industrielle que d'un réservoir à futurs génies.

Lourdement chargé de mon matériel de présentation, je m'approche de la maison indiquée, à l'heure exacte préalablement fixée par entente téléphonique. Tout seul sur le trottoir désert, je repère un jeune garçon qui me semble bien de l'âge du fils de ma charmante cliente potentielle. Effectivement, il s'agit de Chris, maigre et pâle, le cheveu raide et brun (signalement caractéristique des italos‑américains, les distinguant sans coup férir des irlandais rougeaux aux yeux clairs et des protestants roses et bien nourris), jeune homme d'environ 13 ans, attendant son oncle qui doit passer le prendre pour aller au ciné. Non, il n'est pas au courant (aïe, aïe, me dis-je) de mon rendez-vous avec sa maman, qui, m'annonce-t-il, ne devrait pas tarder car il lui a parlé il y a dix minutes au téléphone et elle allait quitter son boulot à l'instant. Une voiture s'arrête et Chris s'évade avec un soulagement visible, après avoir répondu à mes pernicieuses questions destinées à me donner une meilleure idée des sujets d'intérêt de la petite famille. Le gaillard déteste l'école (re‑aïe!) et n'aime que le Football (américain of course) et les serpents. Après quelques minutes d'attente à patauger dans la boue neigeuse, je regagne la voiture que je fais tourner un peu pour me réchauffer en attendant la maman, il ne faudrait pas en effet avoir la machoire gelée quand le moment viendra de faire mon petit speech.

Une demie heure passe, et je me sens dans la peau d’un détective privé de polar planquant pour son boulot. Finalement, un couple s'engage dans le passage menant vers la maison que je surveille. La femme est brune et pâle – sans doute mon Italienne. Je leur laisse 10 minutes de répit, et escalade enfin l'escalier sombre d'une barraque un peu vieille et décrépite transformée en immeuble. Je sonne et voici… Patricia Caldaroni en personne, Dieu la bénisse elle et ses descendant jusqu'à la 24ème génération, ouvrant tout ronds ses yeux noirs en me voyant.

- "Hello" dis-je de mon ton le plus chaleureux en lui tendant ma carte de visite, "I am Sylvain, from Encyclopaedia Britannica. Are you Patricia Caldaroni ? I'm here to keep my appointment. How are you doing tonight ?" ("Nous avons rendez-vous, comment allez-vous ce soir ?") Patricia, Dieu la bénisse elle et ses descendants jusqu'à la 24ème génération, a une bonne gueule, un peu vieillie par les soucis de la vie et l'inexorable boulot, elle est comme on le dit dans les livres d'anglais, et seulement là : "on the wrong side of the thirties, du mauvais côté de la trentaine".

"Fine, fine" répond-elle (en anglais, c-à-d "ça va, ça va") en se fendant la pêche et en m'invitant à entrer. Un lascar en T-shirt, tatoué jusqu'au cou, avec un accent et des manières sortis tout droit du Sarcelles local, pointe son nez dans l'entrée, les mains pleines de sous-vêtements noirs et très évidemment féminins. Je commence à flipper un peu sur mes chances de succès, tout en me marrant très intérieurement devant cette situation incongrue, moi super straight dans mon costume de vendeur-professionnel, veste-beau-futal-cravate‑imper-nickel-impeccable-je-l'ai-acheté-pour-moi-et-je-me-sens-tel-le‑clown, lui tout en tatouage avec ses calbuts dans les mains, et elle au milieu, oscillant doucement, arrière-avant, droite-gauche, tout en rigolant. "Je vous avais completement oublié" avoue-t'elle enfin d'une voix rauque, "mais je vous en prie, entrez, et ne vous inquiétez pas, on a bu quelques verres avant de rentrer, on est un peu pompettes, mais allez-y, faites votre boulot, vendez-moi votre truc,  je veux absolument avoir la Britannia (toute la soirée elle dira Britannia au lieu de Britannica).  C'est pour mon fils, vous comprenez, le petit salopard n'en fout pas une à l'école, parce que moi, mes parents nous ont offert la Britannia quand j'avais huit ans et c'est ça qui m'a aidée jusqu'à l'université. Elle se tourne vers son bougre : Ouais, monsieur, l’université ! Et puis faites pas attention à Kevin, il est bien gentil il me fait ma lessive, là, merci Kevin, t'es vraiment un ange. (petits bisous dans le cou, le lascar titube de plus belle, sous l'émotion probablement).

-Oh, vous fûtes à l'Université ? demandai-je de mon ton le plus diplomate, et quel sujet étudiâtes-vous?

- Le business, répond-elle toute fière, avec un clin d'oeil.

- Et vous travaillez à présent ? (Toujours sonder le sujet, d'abord pour créer une atmosphère décontractée, ensuite pour s'assurer qu'il ou elle pourra payer). Quel est votre travail ?

- Je supervise des magasins d'alimentation.

- Oh great ! Tout est toujours great, fine, beautiful, ne jamais projeter du négatif sur le client potentiel, le mettre à l'aise avec des remarques laudatives du genre "Votre appart est superbe, quels jolis tableaux, vue splendide, beaux meubles, n'importe quoi, etc."

Pas si facile ! Dans ce cas-là ce serait carrément gros, c'est la vraie zone là-dedans, cela ne sonnerait pas juste du tout, le papier se décolle des murs, les fenêtres n'ont pas été nettoyées depuis 15 ans, la table est encombrée de vaisselle sale, il y a des kilos de fringues sur chaque chaise.

Le tatoué fait la gueule, tourne pataudement en rond dans la cuisine tout en manipulant le linge. "Vous en faites pas pour lui, dit-elle, il compte pour du beurre, c'est moi qui décide, c'est moi qui paye tout ici." Le tatoué n'est visiblement pas content, râle un peu, demande d'un ton agressif "pourquoi qu'tu veux ach'ter une encyclopédie pour ton couillon de gamin qui s'en fout, et combien qu'ça coute, tu sais combien qu'ça coûte, hein ?" Elle lui rétorque vertement qu'il ferait mieux d'en faire autant pour son gosse à lui, et puis qu'il la ferme un peu, c'est son boulot et son fric, là, enfin, quoi, bon. Bien sûr qu'elle sait combien ça coûte, dans les 500 dollars, quoi, mais d'abord de quoi y's'mêle, c'est son pognon, non?  (Oups, me dis-je, c'est mal, très mal barré, le moins cher commence à 1500 dollars). Il part dans la chambre à côté et pour se venger met la stéréo à fond, l'enfoiré, l'abruti.

Calme et pro jusqu'au bout de mes ongles rongés par les soucis quotidiens, je démarre ma petite présentation: "Savez-vous que Britannica publie aussi les Grands Livres de la Civilisation Occidentale, 143 textes intégraux, écrits par 74 auteurs, de Homère à Freud, dont la pensée a transformé le monde, rassemblés par Britannica en une unique et magnifique collection de 54 volumes prestigieux ?" je claironne en étalant sur la crasseuse table de la cuisine mon dépliant coloré grandeur nature de la fameuse collection. Dès que le tatoué repointe son nez, je lui balance gentiment mais très froidement: "Pouvez-vous s'il vous plait baisser le son, cela m'oblige à forcer ma voix et je ne voudrais pas priver Madâme de tous les détails avant d'avoir fini, merci". Le "merci" est dit d'un ton super sec, et ça marche, l'enfoiré baisse le son, revient et me demande d'un ton déjà plus sympa: "Et pourquoi-qu'tu t'emmerdes, elle t'a d'jà dit qu'elle allait t'les commander, tes bouquins. Allez, vas-y, fais-la signer et qu'on n'en cause plus !

- C'est magnifique, mais vous comprenez, c'est mon travail, et je dois le faire jusqu'au bout, et montrer le programme en entier, il y a là beaucoup plus que quelques livres et il me faut tout bien expliquer." (Autres règles d'or: ne jamais laisser le contrôle à l'autre, ne jamais écourter une présentation.) Patricia cette brave cocotte, Dieu la bénisse elle et ses descendants jusqu'à la 24ème génération, m'approuve gentiment:

- Ne l'écoutez pas, allez-y, montrez-moi tout ca, c'est génial la Britannia, j'vous dis, j'avais ça quand j''tais môme, et toi écoute‑donc aussi et écrase-toi un peu, qu'y puisse finir."

Je continue mon speech, interrompu par plusieurs coups de fil "oh salut chérie, ouais, on se retrouve plus tard, mais écoute, je te rappelle, j'ai le mec de Britannia qui est là, alors à plus tard. Quoi? non, Britannia j't'dis, l'encyclopédie, quoi, j'chuis en train d'acheter la Britannia pour Chris, c'est super."

La présentation s'achève. Très brièvement, il s'agit d'une sorte de livre avec du texte et des images que je mets sur la table comme ceci: / et le livre tient tout seul; me permettant de lire tout haut ce que tout le monde peut lire tout bas. D'abord le livre explique le programme et ce qu'il y a dedans, toutes les petites merveilles qu'on reçoit avec, et celles qu'on peut avoir pour moitié prix, et patali et patala c'est très gentil, c'est très joli, c'est l'encyclopédie. Cela dit c'est vrai qu'elle est assez chouette. Ensuite, après quelques questions rusées destinées à mettre le client à l'aise et dans une "humeur-d'acheteur", on annonce la couleur, histoire de passer aux choses sérieuses :

"Le prix de l'encyclopédie dépend de la reliure et de la couverture. D'abord, pour les collectionneurs, ceux qui ne veulent que le meilleur (tourner la page, apparition de) la magnifique Edition Présidentielle, cuir doré, gravé, filigranné, 100 exemplaires seulement, bla bla bla... 8000 dollars ! Plus frais de port et taxes. Patricia, Dieu la bénisse elle et ses descendants jusqu'à le 24ème génération, ne bronche pas, elle s'en fout, elle sait bien qu'elle veut la meilleure marché de toute façon. Moi, j'insiste longuement sur les modèles chers en espérant que la pilule passera mieux quand elle verra que la version du pauvre vaut trois fois ce qu'elle pensait ! "Ensuite, l'Edition Impériale Blanche, 5500 dollars. Plus frais de port et taxes, comme pour toutes nos éditions." (Autre ruse pernicieuse: annoncer les frais de port et de taxe en même temps que les prix des éditions que personne ne peut s'offrir permet de ne pas les mentionner plus tard avec les autres prix plus abordables.) "Ensuite, nos éditions meilleur marché." Là, encore la grosse ruse, le prix est soudain donné par volume !!! Sur la page de gauche du livre que je lis il y a la photo d'un volume avec son prix écrit en gros. Sur la page de droite, que je ne lis pas, il y a la photo de toute l'édition avec en tout petit le prix global pour les 32 volumes. C'est tellement débile que l'on se demande encore comment ce genre de truc peut marcher, mais croyez-moi, dans cette fameuse présentation tout à été pensé, étudié, examiné, pesé, considéré, discuté, délibéré, prémédité, calculé, disséqué, mijoté, médité, réfléchi, mûri, revu et corrigé, et donc si on me fait faire comme cela, c'est parce que ça marche. Bref, je continue, imperturbable, et finalement j'arrive au "bouclage". Là non plus, rien n'est laissé au hasard.

- " Laissez-moi vous montrer comment vous pouvez prendre soin de votre paiement. Vous connaissez sans doute les divers clubs du livre du mois ? Comme vous le savez, ces clubs vous envoient un livre par mois, et vous payez chaque livre lorsqu'il arrive. Et bien notre programme est encore meilleur. Vous recevrez tous les livres d'un coup, mais vous pouvez payer comme si vous en receviez un par mois." Là, je sors de ma valoche le bloc de contrats et celui des demandes de crédit. Je déchire une page de demande de crédit et sur le dos j'écris en gros, tout en parlant :

 

 

32 VOLUMES

 

3 TO 5 WEEKS

 

    CLASSIC BROWN          $ 53.10    OVER 36 MONTHS

 

    HEIRLOOM        + $ 10.70

 

    CONSTITUTION + $ 39.70  (86 VOLUMES)

 

    MINIMUM DEPOSIT               $ 50.00

 

Ensuite je laisse le papier devant les yeux de ma victime, cette charmante Patricia, Dieu la bénisse elle et ses descendants jusqu'à la 24ème génération. Et vite je tourne la page et continue: "Pour résumer de nouveau, voici ce que vous recevrez: les 32 magnifiques volumes de l'Encyclopaedia Britannica, plus le volume annuel de mise à jour, gratuit pour vous cette année, plus les 100 coupons du Service de Recherche Instantané dont je vous ai expliqué le fonctionnement tout àl'heure (pas à vous, chers amis, mais j'abrège), plus le privilège exceptionnel de pouvoir commander ensuite les différents volumes de mise à jour, plus, seulement pendant cette semaine, si vous choisissez l'édition Constitution Semi-Luxe, vous recevrez, entièrement gratuits, les 54 volumes des Grands Livres de la Civilisation Occidentale avec lesquels j'ai commencé ma présentation. Bien, laissez-moi vous poser quelques questions si vous le permettez, (sans attendre de réponse) quel est votre code postal, et votre âge, et depuis combien de temps habitez-vous ici, et patali et patala," questions sans importance destinées à engager le client dans un processus d'acceptation du fait que eh bé oui, ça y est, il est en train de joyeusement s'appauvrir de quelques centaines de ses précieux doulos durement gagnés, et d'acheter la magnifique encyclopédie dont toute famille américaine se doit de faire l'acquisition un jour ou l'autre (alors pourquoi pas de suite, hein, je vous le demande ?) Avant de passer vraiment aux choses sérieuses, attention, moment délicat, cool Abdul, allons-y mollo, virages dangereux et chaussée glissante droit devant, c'est généralement à ce moment-là que les réticences apparaissent mais ne pas fouetter, cela ne veut pas dire qu'on ait raté la vente. Il s'agit, ce que je ne sais pas très bien faire (la preuve : une vente ratée ce matin même, le score est maintenant de une vente pour 3 présentations et encore, quelle vente!) il s'agit donc de contrer gentiment toutes les objections, en commencant bien sûr toujours par "Of course, Mr Dudu, je comprend très bien et vous avez parfaitement raison. Cependant, laissez-moi vous indiquer quelques points importants...") Une fois les objections contrées, une à une et in extenson, on continue: "A propos, si vous n'étiez pas là lorsque votre encyclopédie sera livrée, à qui pouvons-nous la laisser ? Parfait, et leur adresse ? Parfait. Maintenant (aïe aïe aïe, THE moment délicat) combien voulez vous verser en arrhes ? Oh, ce que vous pourrez sera parfait, ils aiment recevoir un tiers à la commande, mais ce n'est pas obligatoire. 50 dollars ? (crotte-zut-flute me dis-je in petto) Parfait. Voilà, comme vous le voyez sur ce papier (le contrat, mais c'est un mot a éviter, tout comme acheter, payer, signer, etc...), tout est garanti par Britannica par écrit, vous recevrez (rebelote, la liste complète de tout le programme, on ne raconte jamais assez au client les merveilles qu'il va recevoir) la seule chose dont j'ai besoin c'est votre OK sur cette ligne, ici. Parfait. Pour finir laissez-moi vous offrir cette documentation et vous expliquer une fois de plus le programme." Suit un petit sketch pour boucler la vente, très précis encore une fois, important pour remonter le moral du patient qui vient de claquer une brique pour des bouquins qu'il n'ouvrira jamais dans la plupart des cas. On parcourt une petite check-list qu'il signe pour bien montrer que j'ai fait mon boulot correctement, que j'ai: présenté ma carte de visite à la porte, laissé le temps de la lire, indiqué clairement que le but de ma visite était de lui donner la chance d'acquérir l'encyclopédie, laissé une liste de prix, mentionné verbalement et par écrit sur le contrat la "période de refroidissement" de 3 jours, etc... Serrage de pince solennel; "Welcome to the Britannica Family, laissez‑moi vous offrir ce petit cadeau personnel (un petit dico qui me coûte 3 dollars, les multinationnales ne connaissent pas de petits bénéfices) et vous demander de signer mon volume de démonstration sur lequel ont signé tous mes clients avant vous."

Avec Patricia,  Dieu la bénisse elle et ses descendants jusqu'à la 24ème génération, pas de panique ni d'embûches. Tout au long de la présentation elle a gentiment suivi mon bla-bla sur le livre, regardé les jolies images, tout en oscillant doucement sur sa chaise et en pouffant de temps en temps. Régulièrement elle se lève en titubant un peu pour aller allumer sur la cuisinière une des Salem qu'elle et son Jules semblent fumer à la chaine. Seul le tatoué fait un peu des histoires, en voulant absolument qu'elle commande la version en cuir noir, "alors quoi, tu vas pas prendre une encyclopédie en plastoc, mégote pas quoi, prends le noir, ch'te dis, le noir quoi !

- Ben oui mon coco, et c'est p-t-être toi qui va raquer 400 dollars de plus pour ça, hein, p-t-être ? Tu parles, ouais, allez, c'est moi la cliente, alors laisse-moi faire, tu veux, c'est pas toi qui paye, hein.

- Le noir ch'te dis, prends le noir.

- Ouais, okay, c'est le noir, okay ça y est; j'ai pris le noir, hein Silvânne, le noir, pas vrai ?" (gros clin d'oeil de connivence, en aparté:) "Vous en faites pas, hein, il est un peu saoul, et de toute facon c'est un abruti, faites pas attention."

Il ne faudrait cependant pas conclure de ma description que Patricia, Dieu la bénisse elle et ses descendants jusqu'à la 24ème génération, soit une vulgaire pocharde. Son langage quoique familier n'est jamais vulgaire; et elle a l'air plutôt gentille qu'autre chose. Elle a l'air assez fine (en français), et n'est certainement pas arrivée à une position comme la sienne sans une certaine dose d'intelligence. Et élever seule un enfant, dans la puritaine jungle américaine, ne doit pas être facile, d'autant plus pour une femme catholique de milieu visiblement ouvrier. Cela dit, vous comprenez certainement pourquoi je n'étais pas trop sûr du succès de cette vente. Mais comme on dit ici, les mendiants ne choisissent pas (à défaut de grives on mange des merles) et il me reste l'espoir... et l'avenir pour lui donner tord ou raison.

Cette chère Patricia Caldaroni (Catsarone !), que le Diable l'emporte elle et ses descendants jusqu'à la 24ème génération, m'ayant claqué dans les pattes en se "refroidissant", il m'a fallu regrouper toutes mes forces et mon courage et reprendre tout à zéro.

Inutile de mentionner en détail le nombre de gens qui m'ont envoyé paître du ton froid et sec qu'ont appris à prendre les Américains harcelés à tout moment dans cette Terre du Commerce. Sans parler de cette charmante maman noire qui, emportée par son enthousiasme et le mien s'était lancée tête baissée dans un achat magnifique annulé lui aussi, -faute de fonds s'est-elle excusée en souriant au téléphone. Un EB-GB en plus ! Prononcé I BI DJI BI cela veut dire Encyclopaedia Britannica - Great Books. Le spécial mois de mars, pour le prix de la magnifique édition constitution en cuir (fibered?) bleu, limitée à49999 exemplaires, vous recevez en prime l'Atlas avec reliure similaire, et ... la collection entière des grands livre de la civilisation occidentale, prix de vente 1699 doulos, scratch, scratch, barrer le 1699, cette collection fameuse que nous voudrions tous avoir. Le IBIDJIBI c'est l'affaire juteuse, et en plus çà compte comme 2 unités dans la course aux 25 ventes, cap majestueux marquant le passage aux eaux béates et bénies de la Mer des 25% où la Coco Mimi baignera, prochainement je l'espère, ses doux flancs élancés . La Cocomission, voyons.

Pour résumer la succession de ventes, 10 en tout depuis Patricia, le diable l'emporte elle et ses descendants jusu'à la 24ème génération, le plus simple est de distinguer entre les différentes méthodes de vente: la visite à domicile et le stand d'exposition. N'importe quel "show" fait l'affaire: pour aggraver des débuts peu prometteurs, j'avais commencé avec un catastrophique Salon de la Voile, minablement riquiqui avec 10 petits bateaux qui se couraient après au milieu d'autres stands ayant plus ou moins à voir avec le nautisme (Zodiacs, canoes, charters, voyages au Bahamas, descentes de rivières, maisons sur le port, adoucisseurs d'eau, eaux minérales, planches à voile, encyclopédies britanniques, etc...) Dans les mêmes locaux près du port eut lieu un peu plus tard le Salon des Art Ménagers, où normalement les chances sont plus favorables. Lors de cette exposition-là, je réussis à pêcher:

Un businessman de retour de 10 ans passés au Japon, et une maman célibataire noire au crédit médiocre, accrochés tous deux à toute vitesse en dépit des consignes officielles de la Compagnie qui exige une présentation "en direct", avec démonstration sur le vif de l'encyclopédie elle-même, questions rituelles qualifiant "Mr ou Mme Prospect" (clients potentiels) et toute la panoplie des habituelles manipulations destinées à les conduire en douceur des mornes plaines de l'indécision aux vallées fertiles de l'achat. Lorsque je parle de crédit médiocre, je veux dire que dans certains cas la Conpagnie n'a pas trop confiance dans les capacités financières du (de la) client(e) et Coco Mimi essuie un petit coup de torchon, avec réduction de voilure à 65% du tarif normal, un partage des risques dont je me passerais bien. A ce jour, mes ventes d'expo se sont toutes passées à toute allure, emportées par l'élan d'une offre magnifique, ou par l'enthousiasme de l'arrivée d'un "walk-in", le client en or qui connait déjà bien et veut tout simplement acheter, entre, signe et aboule sa carte de crédit.

La Conférence Annuelle des Administrateurs d'Ecoles donna lieu à ma vente la plus rapide, une femme noire qui entre directement dans le stand et le vif du sujet en me demandant: "alors, quels livres vais-je acheter aujourd'hui ?", et repart 20 minutes plus tard allégée de 2000 et quelques doulos pour l'achat du grand jeu, l'encyclopédie plus les Grand Livres.

Une vente de dernière minute à la Conférence Annuelle des Professeurs d'Anglais une semaine plus tard, à midi moins cinq le dernier jour, histoire de ne pas perdre l'espoir. Chaque vente a son histoire, et celle-ci fut assez rigolote, avec ma cliente, une armoire à glace àfort accent sudiste, essayant de maintenir éloigné son mari affamé et trépignant à l'autre bout de la salle ("c'est pour son anniversaire" dit-elle en riant pour me rassurer). Le mari, petit, maigre mais pas dupe, réussit à franchir enfin ce barrage de chair et à s'approcher de la table où  j'écris fébrilement le contrat, et s'exclame lorsqu'il comprend de quoi il retourne: "mais enfin tu es cinglée, c'est trop cher pour nous, voyons !

- Ne vous inquiétez pas, me dit elle en hennissant, je sais bien qu'il en crève d'envie, et d'ailleurs j'en fais ce que je veux." Vu son gabarit, ses rires tonitruants entre des bajoues tressautantes, et son débit fort rapide pour une sudiste, je n'ai pas de mal à la croire.

Pour finir avec les expos, une Convention du Personnel de Santé, où mes collègues font merveille et où j'arrive péniblement à fourguer une malheureuse édition à couverture plastique, la moins chère, à un lascar sans carte de crédit, crime presque capital dans notre chère Amérique, qui me vaudra assurément l'affreuse sentence de "crédit insuffisant", ce qui équivaut comme je l'ai dit à un sérieux coup de canif sur ma commission.

A domicile, un certain nombre de ventes surnagent au milieu d'un océan de rendez-vous infructueux, qui commencent un peu à se perdre dans le passé flou d'un boulot devenant routinier. Un couple Egyptien qui reste à ce jour mon plus beau coup, et ma première vente officialisée, un coup double EB-GB, avec en plus la prime de contact incertain (leur nom faisait partie d'une masse de gens pas trop intéressés, 50 doulos en plus) et celle de payement comptant (50 doulos à rajouter) total 600 doulos pour une vente, que demande le peuple dans cette Terre D'Abondance. Un couple de profs radins comme des chacals, qui me bassinent plus de trois heures avant de commander du bout des lèvres l'édition plastoc.

Et Carla ! Carla la merveille, petite et brune, beauté s'épanouissant dans la splendeur de sa quarantaine : bibliothécaire dans une entreprise, elle achète 2 encyclopédies d'un coup, une pour elle et une pour sa boîte, merci Carla, je l'aurai volontiers embrassée, elle était si jolie, quoiqu'un peu froide, comme le sont si durement les femmes qui se prennent au sérieux dans la Terre du Féminisme Triomphant.

Une femme de pêcheur, indolente virginienne un peu hystérique, me fait revenir deux fois dans sa grande maison au bord de l'Océan, avant de se décider à craquer.

Un blanchisseur Coréen courtaud et trapu, ne parlant pas un mot d'anglais, achête sans sourciller, mais en obtenant tous les avantages possibles, ces petits cadeaux divers qu'on peut offrir pour arracher la décision. Un couple de Suédois anthroposophes, un professeur de MIT spécialiste des tremblements de terre, et quelques autres que j'oublie. La vente de matériel culturel ne connait ni frontières ni barrières sociales dans cette Terre de Lait et de Miel. Que Vive Longtemps L'Internationale Commerçante !

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