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LES ROIS CAROLINGIENS (751-987) : PÉPIN LE BREF (751-768) Pépin est un prénom assez courant à l'époque, et "le Bref" semble vouloir dire qu'il était plutôt petit. Mais surtout, comme il était le plus jeune fils de la famille, on l'avait appelé "minor" qui veut dire le plus jeune en latin, et que l'on a mal traduit ensuite par "bref" au lieu de "jeune". Pour ce qui est de l'intelligence et du savoir-faire, c'est un grand malin. Pépin est en fait le fils de Charles Martel, celui qui a arrêté les Arabes à Poitiers en 732. A la mort de son papa, il devient Maire du Palais, c'est à dire qu'en fait il gouverne à la place du roi. Il faut dire que le pauvre Childéric III n'est pas très à l'aise dans ses royales baskets, ni très aidé par la nature: à moitié dégénéré (on s'est trop marié entre cousins et cousines chez les Mérovingiens, ce qui ne donne jamais de bons résultats), il est terrorisé dès son plus jeune âge au spectacle des crimes par lesquels les membres de sa famille essayent de sauvegarder leurs petits royaumes. Il ne rêve que d'une chose: se réfugier dans un monastère et qu'on lui fiche la paix ! "T'inquiète de rien, j'm'occupe de tout !" lui dit Pépin dont cela arrange bien les affaires. Voici comment un "chroniqueur" (écrivain) de l'époque décrit Childéric III et son règne: "La fortune et la puissance publiques étaient aux mains des chefs de sa maison, qu'on appelait maires du palais et à qui appartenait le pouvoir suprême. Le roi n'avait plus, en dehors de son titre, que la satisfaction de siéger sur son trône, avec sa longue chevelure et sa barbe pendante, d'y faire figure de souverain, d'y donner audience aux ambassadeurs des divers pays et de les charger quand ils s'en retournaient de transmettre en son nom les réponses qu'on lui avait suggérées ou même dictées. Sauf ce titre royal, devenu inutile, et les précaires moyens d'existence que lui accordait à sa guise le maire du palais, il ne possédait en propre qu'un unique domaine, de très faible rapport, avec une maison et quelques serviteurs en petit nombre. Quand il avait à se déplacer, il montait dans un char attelé de boeufs, qu'un bouvier conduisait à la mode rustique. L'administration et toutes les décisions et mesures à prendre, tant à l'intérieur qu'au dehors, étaient du ressort exclusif du maire du palais." Pauvre Childéric ! Bon, alors voilà, nous allons dériver un peu et parler de ce "char attelé de boeufs" du roi Childéric. Il s'agit de quelque chose d'extrêmement important pour des millions de gens, alors qu'après tout le roi, lui, est tout seul. Alors permets-nous de te poser une question: à ton avis, qu'est-ce qu'il est le plus important de savoir: les détails de la vie de Childéric, ce malheureux roi sans pouvoir (dont d'ailleurs on ne sait pas grand chose); ou bien le fait qu'au même moment commence à apparaître une nouveauté fantastique, incroyablement simple mais qui va peu à peu transformer la vie de centaines de milliers de paysans en Europe: la mise au point du collier d'épaule ? Comme avec toutes les découvertes et les inventions, on se demande toujours après coup comment il est possible que les hommes n'aient pas trouvé ça plus tôt, et comment ils faisaient avant. D'ailleurs, comme pour beaucoup de nouveautés au Moyen-Age, celle-ci nous vient des Arabes, qui l'ont apprise eux-même des Chinois. Mais qu'est-ce que c'est que cette histoire de collier d'épaule ? Il s'agit probablement de la plus grande invention depuis la roue et depuis la charrue. Jusque là, pour faire tirer quelque chose par un animal, on avait deux solutions: si c'est un boeuf, facile: on lui coince dans les cornes un gros morceau de bois, appelé un joug, on y attache des lanières de cuir reliées à une charrette ou à une charrue, on se met devant l'animal, on attrape l'anneau accroché à son nez, on tire dessus et en avant ! Çà marche très bien, mais un boeuf c'est plutôt lent, c'est même très lent. Pour les ânes, les mules et les chevaux, il y a comme un défaut : ces sacrées bestioles sont rapides mais elles n'ont pas de cornes où fixer un joug. C'est pourquoi on leur fait plutôt porter des objets. On peut aussi leur mettre des lanières autour du cou, les relier à une charrette, ça marche pas trop mal. A vrai dire c'est pas génial, car le cheval a beaucoup moins de force dans l'encolure et ne peut donc tirer que des chars très légers. Pour tout ce qui demande de la force, comme labourer ou tirer de lourdes charrettes, on se sert donc des boeufs. Jusqu'au jour où un petit malin s'aperçoit que, par contre, le cheval est super costaud du poitrail et des épaules, et bricole une sorte de gros collier qu'il lui pose très en arrière du cou, juste devant les antérieurs, et qui s'appuie sur le poitrail. Avec des anneaux de chaque coté sur lesquels on fixe les bras de la charrette ou les lanières qui vont vers la charrue, hop, le tour est joué ! A côté du changement que provoque le collier d'épaule, les petites misères du pauvre Chidéric et les magouilles de ce brave Pépin sont de la roupie de sansonnet. Le travail des paysans se trouve allégé de moitié. Pendant ce temps, un petit roi de pacotille hésite entre buller sur son trône en se grattant la barbe, ou courir se planquer dans un couvent où Pépin ce sagouin ne pourra plus venir l'embêter ! C'est d'ailleurs Pépin qui choisit pour lui, en l'envoyant prier Dieu pendant que lui s'occupe des hommes. En 75O, il envoie un message au Pape en lui demandant: "Est-il bon que le véritable roi de France ne possède pas le pouvoir royal ?". Le Pape n'est pas bête non plus, et il a à ce moment-là de petits ennuis avec ses voisins les Lombards qui vivent au Nord de l'Italie et voudraient bien le chasser de Rome. Il se dit que c'est un bon moyen de se faire un allié et sa réponse est tout ce qu'il y a de plus positive, d'autant plus que Pépin a promis de rendre à Église des terres que Charles Martel, inquiet du pouvoir et de la fortune grandissante du clergé, lui avait confisquées. Le pape répond: "Il est convenable que le titre de roi soit porté par celui-là même qui en exerce véritablement les pouvoirs." Pépin est donc proclamé roi selon la coutume franque, c'est à dire promené devant la foule et les soldats, debout sur un bouclier porté par les chefs francs. En 752, le Pape vient même en personne célébrer le sacre de Pépin. C'est un moment important, et pas seulement parce qu'on change de dynastie et que c'en est fini des Mérovingiens. Pour la première fois, en se faisant sacrer par un Pape, le roi de France accomplit un geste qui va avoir des conséquences immenses pour le reste de l'Histoire de France. Il introduit une dimension nouvelle dans la conception (l'idée, la façon de voir une chose) franque de la royauté: l'idée que le roi est roi par la volonté de Dieu. Jusque là, c'était beaucoup plus simple et clair: on gagnait à la guerre et on devenait roi du pays conquis. Maintenant, le roi est sacré, il est "l'élu de Dieu", il se place tout d'un coup bien au dessus de son peuple dont il n'est plus seulement le chef. Mais attention ! Il y a un hic ! Du même coup, il se soumet au pouvoir religieux qui le proclame roi. Il doit s'agenouiller devant le Pape qui lui pose la couronne sur la tête. Voilà une ambiguïté (un truc pas clair, un peu contradictoire) qui va peser lourd sur les siècles à venir, et donnera par exemple un caractère fatalement anti-religieux à la Révolution de 1789, quand les gens voudront se débarrasser du roi. Deux ans plus tard, Pépin renvoie la balle. Les Lombards ont envahi deux petits territoires juste au nord de Rome et le Pape commence à prendre peur. Pépin envahit la Lombardie et au lieu de rendre les territoires à leur propriétaire, l'empereur romain de Byzance, il les donne au Pape, histoire de le remercier de l'avoir aidé à devenir roi de France. Et voilà le Pape qui devient roi lui aussi ! Ces territoires, on les appellera les "états pontificaux". Le Vatican, le plus petit pays du monde, en plein centre de Rome, est ce qu'il en reste aujourd'hui. Pépin quant à lui ne perd pas son temps. Il reprend tout le sud de la France et le nord de l'Espagne aux Arabes, il renforce l'administration royale, s'entend avec Église pour qu'elle lui rende un peu du pouvoir qu'elle avait gagné pendant les années de laisser-aller des rois mérovingiens ("je vous redonne les terres confisquées par mon papa Charles Martel, et en échange vous me laissez gouverner mon royaume comme je veux"). Malheureusement, il tombe malade. Avant de mourir en 768, il partage son royaume entre ses deux fils, Charles et Carloman. | ||||||
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