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Ignoré de nos dictionnaires, qui ne connaissent que synchrone ou synchronie, le mot synchronicité vient comme eux des racines grecques sun (avec) et khronos (temps). Il fut forgé par le psychologue Carl Jung pour désigner "l'occurence simultanée de deux événements reliés par le sens et non par la cause". 
Par sa pertinence, son étrangeté ou sa répétition, une coïncidence fortuite frappe l'esprit de celui qui la vit, tant elle semble relever d'un impossible lien entre son histoire personnelle et le monde extérieur. Qui n'a connu à un moment ou à un autre, rarement anodin d'ailleurs, l'expérience d'un hasard trop signifiant pour être honnête ? Un nombre ou un mot se présente de façon récurente àl'attention, chaque fois accompagné ou suivi d'un événement important sans rapport avec lui. On rencontre inopinément une personne ou un objet auquel on venait précisément de penser. Parfois même, personnes, objets, informations et événements se conjuguent pour "tomber à pic", mais pas toujours avec tendresse, et semblent inviter à mieux déchiffrer le puzzle qu'ils dessinent.
Jung aimait illustrer la synchronicité en racontant l'histoire de deux scarabées, dont l'un se cogna un jour contre sa vitre au moment précis où une patiente lui parlait de l'autre, un bijou en or qui lui avait été offert la nuit précédente dans un rêve. Il ne cachait pas le plaisir étonné qu'il avait éprouvé à ouvrir la fenêtre, à saisir l'insecte, à le tendre vers sa patiente et à s'écrier : "Le voici, votre scarabée !", déclenchant chez elle le déclic libérateur de la cure. Il n'hésitait pas non plus à avouer l'émoi qu'avaient causé, pour lui comme pour Freud, les craquements soudains de la bibliothèque du maître au soir du 25 mars 1909, alors que s'achevait leur dispute au sujet de l'intérêt, pour la psychanalyse, d'étudier les phénomènes parapsychologiques.
La réticence de Freud se comprend aisément, et relevait autant d'objections théoriques que d'une stratégie de méfiance face àun domaine dit à l'époque "occulte", aux contours sulfureux et imprécis. Aujourd'hui encore, et bien que Jung ait insisté sur son importance, la synchronicité reste loin d'être acceptée, prise en compte ou même étudiée. Pour Isé Masquelier, auteur d'un livre sur Jung et *(1), cela tient en partie à ce "qu'il ne l'a pas assez formalisée, la laissant à l'état d'hypothèse flottante". Quant à Michel Cazenave, s'il ne craint pas de se risquer à "l'expliciter", c'est en prévenant qu'il s'agit "sans doute du domaine où Jung est, de prime abord, le plus facilement suspect de mysticisme, quand on ne parle pas franchement de magie" (2).
S'approche ici en effet la frontière entre matière et esprit, entre individu et collectif, entre sagesse et folie. Le déchiffrage d'une synchronicité s'avère impossible, au delà du troublant constat des faits ? L'événement a un sens mais il reste confus, même a posteriori ? Il est clair comme de l'eau de roche, mais n'apprend rien de plus ? Effrayée dans les trois cas par le même gouffre, la pensée se rebiffe devant ces "événements reliés par le sens et non par la cause", comme les définit la phrase anodine et abstraite de Jung. Accepter par exemple que des rencontres répétées du même nombre puissent avoir un sens parce qu'elles sont arrivées par hasard mais à une époque déterminante de la vie, c'est présupposer l'existence d'une relation sans cause ni effet entre une aventure individuelle et la réalité. Il faut alors aller au bout du raisonnement : cette relation ne peut s'ordonner qu'au sein d'un univers acausal et intemporel, quoique signifiant et accessible de manière spontanée. Croire en de tels liens ne procède-t-il pas de la pensée magique ou du délire paranoïaque, qui portent leurs victimes à voir des signes partout (voir encadré 4) ? La logique propose d'invoquer le hasard. Cette tentation illustre l'importance ambiguë accordée aujourd'hui à ce concept dans la gestion de l'inconnu, mais escamote la synchronicité elle-même. 
Les Anciens, poussés par leur pragmatisme à prendre en compte toutes les ressources de la réalité plutôt qu'à tenter d'en dégager l'explicable, voyaient au contraire dans ces événements une preuve de l'unité fondamentale entre monde physique et psychique. Ils cultivaient du hasard une toute autre vision, encore présente aujourd'hui dans la pensée orientale (voir ici). La recherche de ses manifestations constitue le fondement de toute pratique divinatoire. C'est d'ailleurs à propos du Yi King chinois que Jung mentionna pour la première fois, en 1930, son principe de synchronicité. Il ne s'agit pas tant, dans la consultation du "livre des transformations", de prévoir un enchaînement temporel de faits, que de sonder l'adéquation entre un parcours individuel et les forces cosmiques d'un univers conçu comme un grand Tout intemporel. La qualité de cette adéquation déterminera le degré d'harmonie général, permettant de fait l'évaluation des chances et de l'évolution. Mais c'est encore présenter l'affaire de façon bien dualiste, car fondamentalement parcours individuel et univers cosmique ne sont qu'une même chose ! 
Croire la pensée occidentale étrangère à cette vision du monde serait serait la limiter au rationalisme mécaniste, dont le culte du hasard commence aujourd'hui à avoir trop bon dos, aux franges de chaque domaine de la connaissance. Jung trouva sans peine des sources où alimenter son principe de synchronicité. Il retint par exemple de la tradition alchimiste sa différence entre l'imaginatio fantastica (l'imaginaire) et l'imaginatio vera, l'imaginal. Cette fonction imaginatrice active ferait apparaître, de façon plus ou moins claire, le sens caché, "a priori et en dehors de l'homme", dans une synchronicité. La pensée de Platon apportait par ailleurs ses Idées fondamentales, images transcendantales servant de modèles (pour Jung, d'archétypes) aux formes empiriques (objets, pensées, actions). La conscience émergerait d'un "savoir absolu", constitué de l'inconscient collectif structuré en archétypes, et servant de façade psychique à un univers conçu comme physico-psychique. La synchronicité, c'est-à-dire l'événement mais aussi l'importance qu'on lui accorde et le sens qu'on lui donne, témoignerait de la concordance entre le psychisme de l'individu et l'archétype avec lequel il entre en résonnance.
La réflexion sur un univers physico-psychique rejoignait tant les questions posées par la physique quantique que Jung s'adjoignît sans peine les talents de Wolfgang Pauli, prix Nobel de physique en 1945 et seul physicien de renom à avoir refusé de participer àl'élaboration de la bombe atomique. La plus audacieuse des disciples de Jung, Marie-Louise von Franz, n'hésita pas à invoquer les "analogies surprenantes" entre la physique quantique et les théories jungiennes pour soutenir qu'il "devient vraisemblablement probable que la dimension de la matière universelle et celle de la psyché objective puisse être une" (3). Ce "Tout physico-psychique" se présenterait comme matériel au physicien qui l'observe de l'extérieur, et comme psychique à qui l'aborde par l'introspection. Malgré l'adhésion de nombreux grands physiciens à des philosophies qui se fondent sur ces idées, la majorité des scientifiques s'en tient aujourd'hui à l'interprétation de l'Ecole de Copenhague et à son compromis dit "réaliste". Il statue que la matière n'étant pas, au niveau quantique, dissociable du processus d'observation, le discours de la physique quantique ne peut prétendre la décrire, mais porte uniquement sur la connaissance que ses théories en donnent.
Les subtilités des dérobades académiques n'ont pas pesé le poids face aux nombreux 48 qui se mirent à apparaître dans la vie de Guillemette Racine, pourtant journaliste scientifique, mais née cette année-là. Ils la conduisirent (et l'accompagnèrent !) dans une "Enquête sur les Coïncidences" qui fut aussi une libération (4). Son témoignage, vivant, émerveillé mais authentique, illustre combien l'importance et le sens donnés à ces signes est le reflet de l'être. "C.Q.F.D. !", pourrait s'exclamer Jung, qui applaudirait sans doute aussi à son attirante démonstration des bienfaits apportés par cette quête du sens (voir encadré 5). L'entreprise est tentante, elle demande attention et contrôle mais chacun a sa chance. Ne sommes-nous pas tous les objets du hasard ?


La synchronicité, terrain d'expériences ?
"Il y a peut-être une possibilité que Jung a seulement esquissée à la fin de sa vie, mais qu'il n'a pa pu réaliser avant sa mort. Il avait rassemblé un groupe d'élèves qui devaient se livrer à la tâche suivante : trouver des individus dans une situation relativement cruciale (après un accident, dans le cours d'un divorce, etc.), où l'on peut soupçonner l'activation d'un archétype. Etablir ensuite un horoscope de transit, consulter le Yi King, le Tarot, le calendrier mexicain, l'oracle géomantique, les rêves avant et après l'accident, etc. - et rechercher alors si les résultats de ces techniques convergeaient ou non. Il se serait agi là d'un renversement, ou d'un procédé complémentaire àl'expérience classique des sciences modernes. Dans ces dernières on cherche les mêmes types d'événements pour voir si toutes les mesures coïncident. Ici, au contraire, on observerait un incident avec une multitude de techniques différentes."
Marie-Louise von Franz, Quelques Réflexions sur la Synchronicité, in op. cit p.178.


CITATION :
"La bonne méthode, aussitôt qu'on est confronté à un phénomène apparemment synchronistique, est d'en rechercher d'abord, et à tout prix, toutes les explications causales possibles - et de ne faire appel à la synchronicité qu'à partir du moment où ces explications sont épuisées ou sont demeurées inopérantes." Michel Cazenave, Synchronicité, Physique et Biologie, in op. cit. p.21.

Pourquoi des synchronicités ?

A quoi servent les synchronicités ? Voici ce qu'en pense Alain Brêthes, thérapeute et auteur d'un livre sur le sujet : " Les synchronicités peuvent être perçues comme des signes susceptibles d'être interprétés, car elles peuvent nous donner des indications sur notre évolution. Les personnes entrant en relation synchrone avec nous représentent souvent des parties de nous-même demandant à être révélées. Elles apparaissent pour nous inciter à ne plus refouler nos besoins véritables ou nous proposer d'acquérir des qualités et des aptitudes nouvelles. Elles annoncent souvent l'étape suivante à parcourir. En cela, nous pouvons affirmer qu'elles jouent un rôle hautement initiatique. Ce sens initiatique ne leur donne pas forcément une apparence fascinante et grandiloquente. Car l'initiation ne revêt pas souvent des formes merveilleuses et exotiques. Elle se vit dans la simplicité du quotidien, dans la vigilance de tous les instants, dans le fait d'assumer ses responsabilités et dans l'incessant effort de tension qui permet de réaliser ses objectifs. " " Il est dans la nature des synchronicités d'être interactives, c'est même leur spécificité. Si ce n'était le cas, elles n'auraient pas lieu d'exister, ou alors on n'aurait pas vraiment de raison de leur prêter attention. " A lire : Synchronicités, les signes magiques de la vie, Alain Brêthes, Ed. Oriane.

 

Coïncidences macabres
Rappelons qu'une coïncidence, aussi étonnante soit-elle, mérite le nom de synchronicité uniquement lorsqu'elle prend une signification, même diffuse, pour celui ou celle qui la vit. A défaut de faire sens, la plus spectaculaire série de hasards de l'Histoire illustre avec brio combien le diable est parfois compliqué.
L'étude des assassinats des présidents américains Lincoln et Kennedy révèle immédiatement d'évidentes similitudes. Les deux hommes furent élus à un siècle d'écart (1860, 1960). Leurs assassins, nés en 1839 et 1939, leur tirèrent par derrière une balle dans la tête et furent abattus avant d'être jugés. Leurs successeurs, nés en 1808 et 1908, s'appelaient tous deux Johnson, avaient été sénateurs démocrates d'un Etat du sud et moururent dix ans après eux. Leurs femmes, dont chacune avait perdu un enfant lorsqu'elle habitait la Maison Blanche, étaient présentes sur les lieux du crime, où elles leur avaient précédemment conseillé de ne pas se rendre. Regardée plus avant, l'affaire se corse de coïncidences croisées : la secrétaire de Lincoln s'appelait Kennedy, et celle de Kennedy, Lincoln ! Alors que Lee Oswald tira sur Kennedy depuis un entrepôt et se réfugia dans un théatre (un cinéma, "movie theater" en américain), l'assassin de Lincoln fit exactement l'inverse. Pour les amoureux des chiffres : les noms des présidents comptent sept lettres, tout comme ceux de leurs successeurs qui, de plus, en contiennent treize avec le prénom (Andrew et Lyndon), tandis que ceux de leurs assassins en totalisent quinze avec prénom et "middle name" (John Wilkes Booth et Lee Harvey Oswald). Une porte ouverte à l'imagination, ou au délire paranoïaque ?

D'après "Histoires Extraordinaires", Guy Breton et Louis Pauwels (Albin Michel 1980).
*non vérifié car cité et repris sous forme de tableau dans Enigmatiques Coïncidences et Unité du Monde, Jean Moisset, Ed. Présence 1993*


Bibliographie
(1) références livre d'Isé Masquelier ? 
(2) La Synchronicité, l'Ame et la Science; Reeves, Cazenave, Solié, Pribram, Etter et von Franz, Ed. Poiesis, Paris, 1984.
(3) Ibid. p.163. La psyché objective équivaut pour M-L v F. àl'inconscient collectif de Jung.
(4) Enquête sur les Coïncidences, Guillemette Racine, Ed. J.C. Lattès, 1996.
Citons aussi :
Carl Jung, Synchronicité et Paracelsica, Ed. Albin Michel, 1988. La traduction, particulièrement tardive en français, de tous ses principaux essais sur le sujet.
Jean Moisset, Enigmatiques Coïncidences et Unité du Monde, Ed. Présence, 1993. Un ouvrage exhaustif bourré d'informations.
Christian Moreau, Freud et l'occultisme, Ed. Privat, 1976. L'avis de Freud sur les phénomènes paranormaux n'était pas très clair, mais bien moins négatif que celui de son Ecole ! 

Mélange d'articles Jeu du Tao et Nouvelles Clés  

 

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