En.marge                        Jacques Pasquier ou les leçons de vie d'un homme engagé

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Il ne s’est jamais inscrit à un parti, son nom n’est attaché à aucune grande cause et pourtant il contribue depuis 30 ans à modifier en profondeur le paysage culturel français, toujours en mettant en œuvre ses convictions politiques. Il anime aujourd’hui un réseau mondial d’artistes issus des mouvements populaires et d'enfants des rues. Portrait d’un être intègre, histoire d’un engagement ? Et si c’était plus que cela : le parcours d’une génération toute entière de joyeux résistants ?

Commencer comme il se doit, par son enfance de gosse pauvre à Montreuil, avec son lit sur le palier, offrira aux amateurs de vérités simples une belle et bonne explication : la sacro-sainte conscience de classe. Peuple de gauche, intégrité, et hop !, le tour est joué. Quoi ? Vous vous étonnez qu’il ne soit pas devenu l’un de nos notables rose-vert-rouge, lui qui lisait Bakounine à 15 ans ? Vous ne comprenez pas qu’après toutes ces années, il ne soit que l’animateur – toujours pauvre - d’un vague réseau “anti-caritatif ” et mondial de musiciens enfants des rues, alors que l’argent coulait à flot dans le milieu où il a travaillé toute sa vie ? Conscience de classe, vous dis-je !
Lui-même propose plutôt, comme deuxième porte d’entrée tout aussi réductrice, la thèse du choc terrible et salutaire, de l’accident à la suite duquel, dit-il, sa " tête s’est mise à bien marcher ". Apprenti à 13 ans, en nettoyant des pinceaux, il renverse de l’essence sur une gazinière allumée. Il brûle, il explose, il passe cent jours entre la vie et la mort, dont vingt-sept dans un coma complet. Il souffre l’enfer de tous les grands brûlés. Les bains d’acide, et cette infirmière-chef qui lui conseille, au moment où la douleur est trop forte, de "penser aux souffrances du Christ", puis qui lui colle une claque quand il répond : "Allez-vous faire foutre, vous et votre Bon Dieu !" comme tout garçon qui souffre le ferait. Et autant pour la religion ! L’enfant sensible, un peu cardiaque, élève au séminaire, révolté par l’école et les curés mais rêvant d’en devenir un, a l’occasion et le temps de penser. Frère traumatisé d’une jeune handicapée, il se demande s’il ne s’est pas livré à un suicide inconscient, à une sorte de rite sacrificiel qu’il ne comprend pas très bien. Fils de la zone, il ouvre aussi les yeux sur les baraques en bois où son père livre le pain aux travailleurs immigrés. Elles ressemblent fort à celles des camps. Il ne s’arrêtera plus d’être toujours révolté. "Les conditions de l'immigration forcée d'hier sont les sources de la rancœur des jeunes d'aujourd'hui", estime-t-il a posteriori.
Fin des années 60. Les temps sont mûrs, son compte semble bon : de la graine de gauchiste ! Il en prend le chemin, passe son adolescence à militer (comités Viêt-nam, de quartier et lycéen), tout en restant un voyou de Montreuil. Quand mai 68 passe par là, Jacques monte sur tous les fronts, comme de bien entendu. Ne sera-t-il pas pour toujours l’ami de Maurice Najman, grande figure de l’extrême-gauche parisienne ? Mais le gauchisme qui suit ne l’attire pas, la lutte armée non plus. Du premier, il n’accepte pas la hiérarchie, la seconde lui paraît à l’évidence contre-productive.
Allons, on s’était trompé de peu, ce n’est qu’un anarcho-pacifiste ! Malheureux ! Il a lu les Situationnistes, il croit que " l’autogestion n’est pas le but de la lutte, mais le moyen " ! Qu’on peut " jouir sans entraves " ! Saxophoniste, il aime trop la musique, il veut une révolution ludique ! En fait il se demande : " Comment présenter aux gens une autre vision du monde ? " Et il répond : " En vivant les idées auxquelles on croit. Par les luttes exemplaires, certes, mais aussi en faisant de sa vie un art de vivre générateur d’actes créatifs. L’exemple que l’on veut donner, il faut le traduire en actes esthétiques, en événements qui marqueront les esprits et leur donneront envie de réfléchir, de penser, de changer. "
Belles idées mais la réalité des années 70 – bien déformée depuis – c’est une société figée où la jeunesse étouffe. Certains retournent à la terre, deviennent hippies et bientôt baba cools. Là aussi Pasquier fait tache : il fait partie de ceux qui trouvent cela trop bourgeois, qui veulent jeter des ponts. Avec de la musique. Mais s’il se lance avec ses copains dans l’auto-production musicale, c’est avant tout… pour pouvoir jouer : pas de cafés-musique ni de musiciens dans la rue, non, pas de radios locales, de bande FM, de petits concerts improvisés ou de télés de quartier. Des MJC bureaucratiques, trois radios nationales, une télé d’Etat et un star-system bien verrouillé, voilà ce que rencontrent ces jeunes, dont certains veulent seulement en finir avec la vague yé-yé. Jacques vit en communauté, il part en tournée avec ses potes, mais en même temps il s’agite, contacte Actuel et les médias alternatifs pour travailler ensemble, faire parler de ce qu’ils font.
Et voilà une autre solution simple à l’énigme de ce parcours atypique. Saxophoniste moyen d’un groupe totalement inconnu, il s’est mis à appeler les MJC et les centres sociaux, dans une volonté de transformation des rapports de production, mais aussi "simplement parce que personne ne le faisait et qu’on voulait jouer", dit-il aujourd’hui. Une fois la machine lancée, les réponses arrivant, il faut bien suivre, monter des concerts, trouver des solutions pour le transport, le logement, la sono. Quoi de plus normal en effet ? Le quotidien entraîne, et il se retrouve tout naturellement au centre d’un réseau dont tout le monde dépend. Les cachets, dérisoires, vont droit dans la caisse commune. Les idées fusent, les actes suivent, dans l’urgence, à l’intuition. On achète des amplis, un camion d’occasion, on fonctionne aux limites de la loi, on les franchit parfois. Combien de jeunes entrepreneurs, de membres d’associations, combien d’expérimentateurs des folies de ces années-là commencent-ils à se reconnaître dans cet acteur précoce de la fameuse " société civile " ?
Peu à peu, sans le vouloir, il devient producteur, manager, pour montrer cette autre vision du monde alors que tous les circuits officiels lui sont fermés. Ils jouent n’importe où, mais toujours de façon militante. A Besançon pour les grévistes de Lipp comme à Tours avec son maire le plus réactionnaire de France. Leur arrivée, leurs comportements de Young International People (les hippies pas cools), leurs vêtements, leurs concerts, tout est spectacle, tout sert à proclamer la cause. Il fonde avec Georgio Gomelki (ex manager des Rolling Stones, Yardbird, Mac Laughing) l’association Rock pas Gaga, organisation politico-culturelle situationisto-dadaïste. Ils ouvrent les premiers circuits de diffusion du rock alternatif et expérimental, avec Soft Machine et le Arts Lab, David Allen Gong, Kevin Ayers, Crium Délirium, Magma, Nico, Lou Reed, Captain Beefheart, etc… Très vite le réseau s'agrandit à l'Europe avec les Allemands de Agitation Free, H Ra Remple, Tangerine Dream, Krafwerck. Pasquier participe à la création de Libération, dont il organisera toutes les grandes fêtes. Et si on jouait de la zique au défilé du 1er mai (70 /71)? Et Jacques contacte et fait jouer Colette Magny, Bebs Guerin et Crium Delirium, qu’il doit faire protéger par ses potes loubards (il n’a perdu aucun contact) contre les attaques des “ Lambertistes ”,*ici mentionner Jospin ? : le groupuscule dont Lionel Jospin fit partie* de mèche avec les CRS. Plus tard, comprenant ce qu’il dit et que les gens approuvent (" l’esthétique est le premier élément de la réussite d’une fête "), de nombreuses organisations de gauche lui confieront l’organisation de leurs rassemblements.
Entre temps le succès arrive. Les groupes de musique alternative trouvent leur public, ils tournent de plus en plus. Pour régler les questions d’argent, ils ont créé la première coopérative artistique en France, la Scopa Invisible, société coopérative d’ouvriers - producteurs artistiques. Les revenus sont immédiatement réinvestis dans de nouveaux projets, personne ne parle de salaire. La caisse commune gonfle ? Ils retapent un mas. Le propriétaire les expulse ? Qu’à cela ne tienne ! Bientôt, une tournée triomphale en Italie leur permet de gonfler leur sono. Avec la fête de Rouge, ils ont de quoi acheter un chapiteau. Les tournées de Lou Reed par exemple, vingt concerts en un mois, rapporte un studio. La réussite engendre un tel volume d’affaires qu’ils sont toujours actifs, poussés en avant, débordés. De nouveaux venus participent un moment, beaucoup les quittent dès que le succès vient. A la fin, ils organisent six concerts par jour !
A la fin ? Mais il n’y a pas de fin ! Car c’est bien doucement qu’ils glissent, comme toute la société, dans le matérialisme des années 80. Nul ne vit de plus près que Jacques, noyé dans le show-biz, cette érosion par le fric. Et pourtant il ne voit rien. Les copains se font racheter par de gros producteurs, mais ils n’ont pas changé, ils jouent la même musique, pensent qu’en signant " ils ont juste récupéré de l’argent ". Mais certains se croient vite des stars, prennent la grosse tête, les groupes se disloquent. On le sait bien, l’argent est sale. Jacques préfère ne pas y penser. La coopérative est devenue une mine de talents, mais lui, pris dans sa course, " trop dans son truc ", n’a pas l’intelligence de faire signer des contrats où elle garderait un pourcentage, minime, sur les disques suivants leur rachat. Toujours" pauvre" alternative, marginale, elle fonctionne sans salaires, elle reste une sorte de laboratoire humain coupé de la réalité institutionnelle et légale. Cette dernière n’apprécie guère. Des poursuites judiciaires sont engagées, il faut disparaître, fermer.
Pour en tirer très vite les leçons, il faudrait plus de calme, mais tout se passe au milieu d’intrigues, de luttes de pouvoir, d’histoires de fric qui ne font que montrer combien l’argent, comme prévu, pourrit. Sur le papier la chose s’éclaire : société anonyme contre coopérative. L’heure est venue de ceux qui veulent exploiter le créneau, sans conscience ni but politique, qui produisent de la musique alternative non pour soutenir une vision différente du monde mais pour occuper une niche ignorée par le marché dominant. Jacques ne supporte pas la contradiction, son monde s’écroule.
Il part en Corse pour faire le point, pour décrocher des drogues dures aussi, qui sont venues ajouter leur ravage. Questionnement. Recul. Comment exercer ce métier de producteur avec toute la poésie et la passion qu’il mérite ? Comment exister dans la société des hommes sans renier ses idéaux de " plasticien atmosphériste " ? Ces mots cachent-ils vraiment une réalité différente de celle qu’il veut changer ? Persévérance aussi, dans quelques certitudes : pas question de rentrer dans le rang comme le demande le marché. Quand il produit une manifestation artistique, il veut faire la fête avec tous, pas pomper du fric à la foule ou à quelques artistes. Pas question non plus de copier la forme qu’il a créée, le concert militant, de le vider de son sens en lui faisant servir le charity business, ce spectacle aliénant, ce détournement vers le " pathos " d’aspirations pourtant concrètes à plus de justice et de paix. Cette grande vague caritative lui semble sciemment orchestrée pour faciliter l’acceptation de la misère et de l’aliénation. De grandes messes servent de complément spectaculaire au message proclamé par ailleurs (crise, fracture sociale, tiers-monde, pollution), elles dédouanent, soulagent les consciences. Il n’en veut pas. Que faire ?
Mais la terre corse parle, le reconstruit lentement. Couper le bois, planter des arbres, transhumer ruches, vaches, cochons. Donner des coups de main à la coopérative bio. Ses histoires d'entreprise de spectacles militants et alternatifs, ses récits de concerts épiques donnent des envies aux habitants. Organisons un festival ! Montons une association culturelle, produisons nous-mêmes notre culture, elle est si riche ! Il se laisse d’autant mieux convaincre qu’il a découvert, dans les bars ou les fêtes, cette pratique quotidienne de l'art pour s'exprimer, raconter des histoires, parler politique, discuter d'un différent de voisinage, en chantant à capella des " tiama risponde " fantastiques de poésie avec une maîtrise exceptionnelle des techniques de la voix. Il rencontre I Muvrini, Cantu Populu Corsu, Poleti. Il a très vite l'idée de produire un disque avec les polyphonies corses et la musique électronique, à la ENO, Talking Head, etc., puis vient le festival du Fium’orbu, où il réussit à faire venir pour chanter sur une plage James Brown, Paolo Conte, Higelin, Lavilliers, les anciens de Téléphone, Dou Dou N'Diaye Rose, etc. Cédant au désir des membres de l’association, Jacques se retrouve à organiser la venue du grand Johnny, avec son spectacle total, pari technique réussi sans un seul pro du spectacle. Son plus beau coup ?
Non, seulement un nouveau rebond. Peu après, il passe huit mois à Prague pour organiser la venue de plus de mille artistes liés aux luttes de la société civile, lors de l'assemblée européenne des citoyens réunie par Vaclav Havel. C’est là qu’il est alerté de l'extermination des enfants de rue au Brésil. Financé par le producteur de la Lambada, il se rend sur place. Il découvre le monde de la rue et la culture qu’elle produit, mais aussi la corruption caritative et la demande des organisations brésiliennes de terrain, rencontrées en vivant dans la rue avec les gosses, d'organiser une campagne internationale contre l'extermination et la corruption qui ont la même source. Rentré en France avec les preuves du détournement de 8 millions d’Euros, il rédige un rapport qui provoque une levée de bouclier de Médecins du Monde (dont il “ met les équipes en danger ”) et l’ire de son mentor, qui le démet. C’est qu’il n’hésite pas à mettre en cause le gouverneur d’un état, un ministre et la femme du Président Color. Il a raison, ils seront tous condamnés par la suite, mais lui, en attendant, se retrouve seul et sans un sou.
Pas pour longtemps, Maurice Najman l’entraîne à la grande halle de la Villette pour monter des expo-spectacles. Pour “ L'autre Allemagne hors les murs ”, ils réunissent à Paris 300 artistes et intellectuels issus de la dissidence qui a fait tomber le mur. En hommage à Rimbaud, ils organisent une “ Parade sauvage pour Arthur ”. Ces deux événements donneront deux disques, encore une idée qui sera copiée. Un accord un peu particulier avec le patron de la Villette permet à Jacques de lancer, envers et contre tous, la campagne contre l'extermination et la première tournée des Moleques de Rua, les enfants des rues musiciens brésiliens. Comme cette tournée laisse de grandes plages de temps libre, il en profite pour mettre en œuvre un autre projet répondant à ses interrogations sur l'évolution des comportements culturels : les “ ateliers résidence ”, qui mélangent diffusion et transmission. Il veut que les Européens rencontrent les enfants de rue de façon non médiatique, qu'ils fassent de la musique ensemble, qu'ils jouent au foot ensemble, qu'ils mangent ensemble… que cela ne soit pas une guerre de plus vue à la télé entre la poire et le fromage ! Pour cela, il faut ouvrir des espaces de rencontre et de confrontation, à partir des activités que les moleques développent dans les favellas (musique, foot, capoeira…). Son intuition lui souffle qu’ici même, pour rétablir du choix artistique face au marché et aux académismes, de plus en plus de gens pratiquent un art, d'où l'émergence de nouvelles formes comme le tag, le hiphop et la techno. La démocratie culturelle passe par les amateurs ! Il suffit de provoquer la rencontre ! L’immense succès de la tournée vient confirmer qu’il a raison et qu’ils ont mis au point un dispositif (“ les Gamins de l’art rue ”) efficace, souple, adaptable et reproductible. Destiné à déclencher la solidarité, il apporte bien plus : il provoque la participation. Au fil des ans, ils vont en multiplier les adaptations, jusqu'à en faire un espace de création artistique et de citoyenneté dans la politique de la ville. Maintenant, les ateliers résidence ont plusieurs formes et se font dans les deux sens. 
« Quand nous avons fait LES GAMINS DE L'ART RUE à la grande halle de la villette, ce fut contre la nouvelle direction qui annula les accord que nous avions et avec une interdiction partielle de Pasqua (alors ministre de l'intérieur). Quelque année plus tard il reprenait le concept en le vidant de son sens pour en faire une vitrine, un midem du pauvre. Notre idée première était de faire un grand rassemblement français puis européen pour devenir mondial, des émergences artistiques et des pratiques artistiques populaires. Mais nous voulions que cette manifestation soit le résultat d'un travail commun entre des émergences de différentes régions, que tous les artistes, techniciens, organisateurs présents en soient les producteurs, pour éviter que ce soit une accumulation de groupes sur la scène et surtout pour créer un nouvel espace qui permettent d'irriguer les pratique et de ce fait constituer un réseau , et généré des formes nouvelles d'administration de projet correspondant au nouvelles formes esthétiques. Notre expérience prouvait que c'était possible : je dus quitter la villette mais il était trop tard ! Le reseau existait et la dynamique était lancée…
« IL L'ON FAIT PARCE QUE PERSONNE NE LEUR A DIT QUE C'ÉTAIT IMPOSSIBLE DE LE FAIRE » TELLE EST LA DEVISE …
Sinon, c'est bien le moment de glisser que je suis à l'initiative du reseau FANFARE et son fondateur …(bien qu'on essaye de m'y marginaliser ). Ce réseau d'ailleurs correspond de moin en moins à l'esprit du départ parce qu'il se construit comme un lobby. Il lui faut pour être efficace et retrouver tous son sens, arrêter de ne se déterminer qu'en fonction des institutions pour se définir sur les problèmes de société. Ses membres détiennent des éléments de réponce qui devraient influence les politiques publiques. »

Aujourd’hui, la petite cinquantaine, un peu mal fagoté, un peu brouillon, pendu à son portable en ligne avec le Ministère, Rio ou Bucarest, Jacques Pasquier organise le séjour à New York de plusieurs groupes musicaux composés d’enfants des rues roumains, brésiliens, d’une fanfare de handicapés français. Peu après, il se bat pour que le réseau Fanfare, qui regroupe des opérateur culturel et de la politique de la ville et dont il fut le fondateur, ne perde pas son âme. “ Il faut retrouver une dynamique de production et d'expérimentation, marginaliser les politiques personnelles et les ambitions de contrôle, et surtout s'ouvrir aux autres organisations de la socitéé civile et aux artistes individuels qui ont une volonté de démarche et d'œuvre collective ” plaide-t-il ardemment. A l’évidence, il a l’air aussi pauvre ou presque que le gosse de Montreuil d’autrefois. Demain, il part à Cuba discuter d’échanges culturels. Il est impressionnant tant il connaît de monde et a de relations. L’air toujours disponible, ouvert à toute nouvelle personne et à tout événement, ne fait-il qu’exercer le talent naturel aux gens de son métier ? Mais on le voit agir – il dirige mais ne s’adresse pas à une employée, il travaille avec une copine qui, comme lui, donne un coup de main. Il parle d’une voix tranquille mais pleine de conviction, accentuant les points forts, les accompagnant parfois d’un geste de l’avant-bras vertical et tranchant. Derrière cet enthousiasme qu’ont facilement les gens convaincus, ni certitude absolue ni prosélytisme. Apparaissent assez vite, au contraire, doutes et questionnements, exprimés en mots simples. " J’ai agi poussé par les événements, faisant mes choix par intuition. Si toutes mes trouvailles ont été reprises et vidées de leur sens, c’est peut-être parce que nous n’avons pas assez réfléchi, pas assez produit de pensée ", estime-t-il par exemple. Si le sujet devient trop vaste ou quand, parfois, l’émotion transparaît, le geste devient plus rond, plus flou et il n’hésite pas sur les " bon, quoi, tu vois ". Ce qu’il voit, lui, c’est que l’histoire commence à lui donner raison : " La lutte pour le pouvoir, analyse-t-il, devient une lutte pour les droits, qui peut générer créativité et contrôle citoyens. La culture, étouffée par l’argent et par l’académisme, laisse place à la prise de risque, au chaos, à la reconstruction. Au karaoke, les jeunes préfèrent vite l’ampli qui leur permet le rap. Il s’ensuit une acquisition d’outils (la parole), la création d’une histoire collective, l’envie de créer des structures autonomes. Qu’importe si les succès sont maigres, quand ce sont des progrès ! Qu’importe si je suis Sysiphe avec son caillou à remonter ! Chaque jour, j’ai la preuve que je ne suis pas seul, qu’ensemble on trouve mieux des idées, qu’on peut faire de sa vie une simple œuvre d’art, et que c’est passionnant. "
Et alors on comprend : cet homme-là est simplement vivant !

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